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FILENAME : LE RETOUR DE SAINT‑GERMAIN 4 страницаInventer, fré né tiquement inventer, sans se soucier des liaisons, jusqu'à ne plus parvenir à faire un ré sumé. Un simple jeu de relais entre emblè mes, l'un qui dise l'autre, sans trê ve. Dé composer le monde en une sarabande d'anagrammes en chaî ne. Et puis croire à l'Inexprimable. N'est‑ ce pas ç a la vraie lecture de la Torah? La vé rité est l'anagramme d'une anagramme. Anagrams = ars magna.
C'est ce qui a dû se passer ces jours‑ là. Belbo avait dé cidé de prendre au sé rieux l'univers des diaboliques, non par excè s mais par dé faut de foi. Humilié par son incapacité à cré er (et pendant toute sa vie il avait utilisé ses dé sirs frustré s et ses pages jamais é crites, les uns comme mé taphore des autres et vice versa, le tout à l'enseigne de sa pré sumé e, impalpable lâ cheté ), maintenant il se rendait compte qu'en construisant le Plan, en ré alité il avait cré é. Il tombait amoureux de son Golem et en tirait motif de consolation. La vie – la sienne et celle de l'humanité – comme art, et, à dé faut de l'art, l'art comme mensonge. Le monde est fait pour aboutir à un (faux) livre. Mais à ce faux livre il essayait de croire car, il l'avait mê me é crit, si complot il y avait eu, il n'aurait plus é té lâ che, vaincu et inerte. D'où ce qui est arrivé par la suite, cette faç on d'utiliser le Plan – qu'il savait irré el – pour battre un rival – qu'il croyait ré el. Et puis, quand il s'est rendu compte que le Plan é tait en train de l'encercler comme s'il existait, ou comme si lui, Belbo, é tait fait de la mê me pâ te dont é tait fait son Plan, il s'est rendu à Paris comme pour aller au‑ devant d'une ré vé lation, d'un recours. Pris par le remords quotidien, pendant des anné es et des anné es, de n'avoir fré quenté que ses propres fantô mes, il trouvait un soulagement à entrevoir des fantô mes qui é taient en train de devenir objectifs, connus aussi d'un autre, fû t‑ il l'Ennemi. Il est allé se jeter dans la gueule du loup? Bien sû r, parce que ce loup prenait forme, il é tait plus vrai que Jim de la Papaye, peut‑ ê tre plus que Cecilia, peut‑ ê tre plus que Lorenza Pellegrini mê me. Belbo, malade de tant de rendez‑ vous manqué s, sentait à pré sent qu'on lui donnait un rendez‑ vous ré el. Si bien qu'il ne pouvait pas mê me se dé rober par lâ cheté : il se trouvait le dos au mur. La peur l'obligeait à ê tre courageux. En inventant, il avait cré é le principe de ré alité.
– 106 – La liste n° 5, six maillots, six caleç ons et six mouchoirs, a toujours intrigué les chercheurs et fondamentalement pour la totale absence de chaussettes. Woody ALLEN, Getting even, New York, Random House, 1966, « The Metterling List », p. 8. Ce fut ces jours‑ là, il n'y a pas plus d'un mois, que Lia dé cida qu'un mois de vacances me ferait du bien. Tu as l'air fatigué, me disait‑ elle. C'é tait peut‑ ê tre le Plan qui m'avait é puisé. D'autre part le bambin, comme disaient les grands‑ parents, avait besoin du bon air. Des amis nous avaient prê té une maisonnette à la montagne. Nous ne sommes pas partis aussitô t. Il y avait quelques affaires à expé dier à Milan, et puis Lia avait dit qu'il n'est rien de plus reposant que des vacances en ville, quand on sait qu'aprè s on part. Ces jours‑ là, j'ai parlé pour la premiè re fois du Plan à Lia. Auparavant elle é tait trop occupé e avec l'enfant: elle savait vaguement qu'avec Belbo et Diotallevi nous é tions en train de ré soudre une sorte de puzzle qui nous emportait des jours et des nuits entiers, mais je ne lui avais plus rien dit, depuis son sermon sur la psychose de la ressemblance. Peut‑ ê tre avais‑ je honte. Ces jours‑ là, je lui ai raconté tout le Plan, peaufiné dans ses moindres dé tails. Elle é tait au courant de la maladie de Diotallevi, et je ne me sentais pas la conscience tranquille, comme si j'avais fait quelque chose que je ne devais pas faire, et j'essayais de le raconter pour ce que c'é tait, rien qu'une prouesse ludique. Et Lia m'a dit: « Poum, je n'aime pas ton histoire. – Elle n'est pas belle? – Les sirè nes aussi é taient belles. É coute: qu'est‑ ce que tu sais de ton inconscient? – Rien, je ne sais mê me pas s'il existe. – Voilà. Maintenant imagine qu'un gai luron viennois, histoire de ré jouir ses amis, s'é tait amusé à inventer toute l'histoire du Ç a et de l'Œ dipe, et qu'il avait imaginé des rê ves qu'il n'avait jamais faits, et des petits Hans qu'il n'avait jamais vus... Et puis qu'est‑ il arrivé ? Des millions de personnes é taient prê tes à devenir né vrosé es pour de bon. Et d'autres milliers prê tes à les exploiter. – Lia, tu es parano. – Moi? Toi! – On peut ê tre des paranos, mais tu dois me concé der au moins ç a: nous sommes partis du texte d'Ingolf. Excuse, mais tu te trouves devant un message des Templiers, il te vient l'envie de le dé chiffrer de fond en comble. Mê me si tu forces un peu, pour te moquer des dé chiffreurs de messages, le message n'en existait pas moins bel et bien. – De toute faç on tu ne sais que ce que t'a dit cet Ardenti, qui, d'aprè s ce que tu racontes, é tait un fieffé bluffeur. Et puis ce message, j'aimerais bien le voir. » Rien de plus facile, je l'avais dans mon classeur. Lia a pris le feuillet, l'a regardé recto verso; elle a froncé le nez, relevé les mè ches de devant ses yeux pour mieux voir la premiè re partie, la chiffré e. Elle a dit: « Tout là ? – Ç a ne te suffit pas? – Ç a me suffit et j'en ai de reste. Donne‑ moi deux jours pour y ré flé chir. » Quand Lia demande deux jours pour ré flé chir, c'est pour me dé montrer que je suis stupide. Je l'accuse toujours de ç a, et elle ré pond: « Si je comprends que tu es stupide, je suis sû re que je t'aime vraiment. Je t'aime mê me si tu es stupide. Ç a ne te rassure pas? » Pendant deux jours nous n'avons plus abordé le sujet, et d'ailleurs elle a presque toujours é té dehors. Le soir, je la voyais tapie dans un coin, qui prenait des notes, dé chirant feuillet sur feuillet. Quand nous sommes arrivé s à la montagne, le petit s'est roulé toute la journé e sur le pré, Lia a pré paré le dî ner, et elle m'a dit de manger parce que j'é tais maigre comme un clou. Aprè s le repas, elle m'a demandé de lui pré parer un double whisky avec beaucoup de glace et peu de soda, elle a allumé une cigarette, ce qu'elle fait seulement dans les moments importants, elle m'a dit de m'asseoir et elle m'a expliqué. « É coute‑ moi bien, Poum, parce que je vais te dé montrer que les explications les plus simples sont toujours les plus vraies. Votre colonel vous a dit qu'Ingolf a dé couvert un message à Provins, et je ne le mets pas en doute. Il a dû descendre dans le souterrain et il a vraiment dû trouver un é tui avec ce texte dedans », et elle frappait du doigt sur les versiculets en franç ais. « Personne ne nous dit qu'il a dé couvert un é tui constellé de diamants. La seule chose que le colonel vous a raconté e, c'est que, d'aprè s les notes d'Ingolf, un é tui avait é té vendu: et pourquoi pas, c'é tait un objet ancien, il en aura mê me tiré une somme rondelette mais personne ne nous dit que ç a l'ait fait vivre. Il devait avoir un petit hé ritage de son pè re. – Et pourquoi l'é tui devait ê tre un é tui de peu de valeur? – Parce que ce message est une liste des commissions. Allons‑ y, relisons‑ le. a la... Saint Jean 36 p charrete de fein 6... entiers avec saiel p... les blancs mantiax r... s... chevaliers de Pruins pour la... j. nc 6 foiz 6 en 6 places chascune foiz 20 a... 120 a... iceste est l'ordonation al donjon li premiers it li secunz joste iceus qui... pans it al refuge it a Nostre Dame de l'altre part de l'iau it a l'ostel des popelicans it a la pierre 3 foiz 6 avant la feste... la Grant Pute.
– Et alors? – Mais bon sang, il ne vous est pas venu à l'esprit d'aller voir un guide touristique, une notice historique sur ce Provins? Et tu dé couvres tout de suite que la Grange‑ aux‑ Dî mes où a é té trouvé le message é tait un endroit de rassemblement pour les marchands, parce que Provins é tait le centre des foires de la Champagne. Et que la Grange est situé e dans la rue Saint‑ Jean. A Provins on faisait commerce de tout, mais en particulier les piè ces d'é toffe marchaient bien, les draps ou dras sans p comme on é crivait à l'é poque, et chaque piè ce avait une marque de garantie, une sorte de sceau. Le deuxiè me produit de Provins, c'é taient les roses, les roses rouges que les croisé s avaient ramené es de Syrie. Tellement cé lè bres que quand Edmond de Lancaster é pouse Blanche d'Artois et prend aussi le titre de comte de Champagne, il met la rose rouge de Provins dans ses armes; et voilà le pourquoi de la guerre des Deux‑ Roses, vu que les York avaient pour emblè me une rose blanche. – Et qui t'a dit ç a? – Un petit livre de deux cents pages é dité par l'Office du tourisme de Provins, que j'ai trouvé au Centre culturel franç ais. Mais ce n'est pas fini. A Provins, il y a une forteresse qui porte bien son nom: le Donjon; il y a une Porte‑ aux‑ Pains; il y avait une Eglise du Refuge; il y avait é videmment plusieurs é glises dé dié es à Notre‑ Dame, par‑ ci par‑ là ; il y avait, ou il y a encore, une rue de la Pierre‑ Ronde, où se trouvait une pierre de cens, sur laquelle les sujets du comte allaient dé poser les monnaies des dî mes. Et puis une rue des Blancs‑ Manteaux et une rue dite de la Grande‑ Putte‑ Muce, pour les raisons que je te laisse deviner, autrement dit c'é tait la rue des bordels. – Et les popelicans? – A Provins, il y avait eu les cathares, qui avaient fini dû ment brû lé s, et le grand inquisiteur é tait un cathare repenti, on l'appelait Robert le Bougre. Rien d'é trange donc s'il y avait une rue ou une zone qu'on indiquait encore comme le lieu des cathares, mê me si les cathares n'existaient plus. – Pourtant, en 1344... – Mais qui t'a donc dit que ce document est de 1344? Ton colonel a lu 36 ans post la charrette de foin, mais remarque bien qu'en ces temps‑ là un p fait d'une certaine faç on, avec une espè ce d'apostrophe, voulait dire post, mais un autre p, sans apostrophe, voulait dire pro. L'auteur de ce texte est un paisible marchand, qui a pris quelques notes sur les affaires qu'il a faites à la Grange, c'est‑ à ‑ dire dans la rue Saint‑ Jean, pas dans la nuit de la Saint‑ Jean, et il a enregistré un prix de trente‑ six sous, ou deniers ou autres monnaies de l'é poque, pour une ou pour chaque charrette de foin. – Et les cent vingt anné es? – Et qui parle d'anné es? Ingolf a trouvé quelque chose qu'il a transcrit comme 120 a... Qui a dit que ce devait ê tre un a? J'ai vé rifié sur un tableau des abré viations en usage à l'é poque, et j'ai trouvé que pour denier ou dinarium on utilisait des signes bizarres, un qui paraissait ê tre un delta et l'autre un thê ta, une sorte de cercle brisé à gauche. Tu l'é cris mal et à la hâ te, et en pauvre marchand, et voilà qu'un exalté genre ton colonel peut le prendre pour un a, parce qu'il avait dé jà lu quelque part l'histoire des cent vingt anné es; je ne vais pas t'apprendre qu'il pouvait lire ç a dans n'importe quelle histoire des Rose‑ Croix, il voulait trouver quelque chose qui ressemblerait à post 120 annos patebo! Et alors qu'est‑ ce qu'il va faire? Il trouve des it et les lit comme iterum. Mais iterum s'abrè ge en itm, tandis que it voulant dire item, é galement, est justement utilisé pour des listes ré pé titives. Notre marchand calcule combien lui rapportent certaines commandes qu'il a reç ues, et il fait la liste des livraisons. Il doit livrer des bouquets de roses de Provins, et c'est ce que veut dire r... s... chevaliers de Pruins. Et là où le colonel lisait vainjance (car il avait à l'esprit les chevaliers Kadosch), on doit lire jonché e. On utilisait les roses soit pour faire des chapeaux de fleurs soit pour des tapis floraux, à l'occasion des diffé rentes fê tes. Par consé quent, voilà comment on doit lire ton message de Provins: parce qu'elles aussi, les pauvres, voulaient sans doute cé lé brer la fê te en se faisant un beau bibi de roses. Dans la rue Saint‑ Jean 36 sous par charrette de foin. Six draps neufs avec sceau rue des Blancs‑ Manteaux. Roses des Croisé s pour faire une jonché e: six bouquets de six aux six endroits qui suivent, chacun 20 deniers, qui font en tout 120 deniers. Voici dans l'ordre: les premiers à la Forteresse item les deuxiè mes à ceux de la Porte‑ aux‑ Pains item à l'É glise du Refuge item à l'É glise Notre‑ Dame, au‑ delà du fleuve item au vieil é difice des cathares item à la rue de la Pierre‑ Ronde.
Et trois bouquets de six avant la fê te, rue des putains – Mon Dieu, dis‑ je, j'ai l'impression que tu as raison. – Que oui j'ai raison. C'est une liste des commissions, je te ré pè te. – Un instant. Va pour celui‑ ci, qui peut bien ê tre une liste des commissions, mais le premier est un message chiffré qui parle de Trente‑ Six Invisibles. – En effet. Le texte en franç ais, je lui ai ré glé son compte en une heure, mais pour l'autre j'ai peiné pendant deux jours. J'ai dû me taper Trithè me à la bibliothè que, à l'Ambrosiana et à la Trivulziana, et tu sais comment sont les bibliothé caires, avant de te laisser mettre les mains sur un livre de la ré serve ils te regardent comme si tu voulais le bouffer. Mais l'histoire est des plus simples. D'abord, et ç a tu aurais dû le dé couvrir tout seul, es‑ tu certain que les " 36 inuisibles separez en six bandes " est dans le mê me franç ais que celui de notre marchand? De fait, vous aussi vous é tiez rendu compte qu'il s'agissait de l'expression utilisé e dans un pamphlet du XVIIe, quand les Rose‑ Croix sont apparus à Paris. Mais vous avez raisonné comme vos diaboliques: si le message est chiffré selon la mé thode de Trithè me, ç a signifie que Trithè me a copié sur les Templiers, et comme il cite une phrase qui circulait dans le milieu des Rose‑ Croix, ç a veut dire que le plan attribué aux Rose‑ Croix é tait dé jà le plan des Templiers. Mais essaie de renverser le raisonnement, ainsi que ferait n'importe quelle personne sensé e: puisque le message a é té é crit à la Trithè me, il a é té é crit aprè s Trithè me, et puisqu'il cite des expressions qui circulaient au XVIIe rose‑ croix, il a é té é crit aprè s le XVIIe. A ce point, quelle est l'hypothè se la plus é lé mentaire? Ingolf trouve le message de Provins, et puisque lui aussi, comme le colonel, est un mordu de mystè res hermé tiques, il lit trente‑ six et cent vingt et pense aussitô t aux Rose‑ Croix. Et puisque c'est un mordu des cryptographies, il s'amuse à ré sumer le message de Provins en le chiffrant. Il fait un exercice, é crit selon un cryptosystè me de Trithè me sa belle phrase rose‑ croix. – Explication ingé nieuse. Mais elle a autant de valeur que la conjecture du colonel. – Jusqu'ici, oui. Mais imagine que tu en fais plus d'une, de conjectures, et que toutes ensemble elles se soutiennent les unes les autres. Tu es dé jà plus sû r d'avoir deviné, non? Moi je suis partie d'un soupç on. Les mots utilisé s par Ingolf ne sont pas ceux que suggè re Trithè me. Ils sont du mê me style assyro‑ babylo‑ kabbalistique, mais ce ne sont pas les mê mes. Et pourtant, si Ingolf voulait des mots qui commencent par les lettres qui l'inté ressaient, chez Trithè me il en trouvait autant qu'il en voulait. Pourquoi n'a‑ t‑ il pas choisi ceux‑ là ? – Pourquoi? – Peut‑ ê tre avait‑ il besoin de certaines lettres pré cises, mê me en deuxiè me, en troisiè me, en quatriè me position. Peut‑ ê tre notre ingé nieux Ingolf voulait‑ il un message à chiffrement multiple. Il voulait ê tre plus fort que Trithè me. Trithè me suggè re quarante cryptosystè mes majeurs: dans l'un, seules comptent les initiales; dans l'autre, la premiè re et la troisiè me lettre; dans un autre encore, une initiale sur deux, et ainsi de suite, de faç on qu'avec un peu de bonne volonté, des systè mes, il peut en inventer cent autres encore. Quant aux dix cryptosystè mes mineurs, le colonel n'a tenu compte que de la premiè re rotule, qui est la plus facile. Mais les suivantes marchent selon le principe de la deuxiè me, dont voici la copie. Imagine que le cercle inté rieur soit mobile et que tu puisses le faire de maniè re que le A initial coï ncide avec n'importe quelle lettre du cercle inté rieur. Tu auras ainsi un systè me où le A se transcrit X et ainsi de suite; un autre, où le A coï ncide avec le U et ainsi de suite... Avec vingt‑ deux lettres sur chaque cercle, tu tires non pas dix mais vingt et un cryptosystè mes, et seul le vingt‑ deuxiè me reste nul, où le A coï ncide avec le A... – Tu ne vas pas me dire que pour chaque lettre de chaque mot tu as essayé tous les vingt et un systè mes... – J'ai eu de la jugeote et de la chance. Comme les mots les plus courts sont de six lettres, il est é vident que seules les six premiè res sont importantes, et le reste est pour faire joli. Pourquoi six lettres? J'ai imaginé qu'Ingolf avait chiffré la premiè re, ensuite qu'il en avait sauté une, qu'il avait chiffré la troisiè me, ensuite qu'il en avait sauté deux et avait chiffré la sixiè me. Si pour l'initiale il a utilisé la rotule numé ro un, pour la troisiè me lettre j'ai essayé la rotule numé ro deux, et ç a avait un sens. Alors, j'ai essayé la rotule numé ro trois pour la sixiè me lettre, et ç a avait de nouveau un sens. Je n'exclus pas qu'Ingolf ait utilisé d'autres lettres aussi, mais trois é vidences me suffisent, et si tu veux continue tout seul. – Ne me tiens pas en haleine. Qu'est‑ ce qui en est sorti? – Regarde ton message, j'ai souligné les lettres qui comptent. » Kuabris Defrabax Rexulon Ukkazaal Ukzaab Urpaefel Taculbain Habrak Hacoruin Maquafel Tebrain H m c at u in R o k as o r H i m es o r A r g aa b il K a q ua a n D o c ra b ax R e i sa z R e i sa b rax D e c ai q uan O i q ua q uil Z a i ta b or Q a x ao p D u g ra q X a e lo b ran D i s ae d a M agis u an R ai t a k H u i da l U s c ol d a A r a ba o m Z i p re u s M e c ri m C o s ma e D u q ui f as R o c ar b is
« Or, le premier message nous le connaissons, c'est celui sur les Trente‑ Six Invisibles. A pré sent, é coute ce que ç a donne quand on remplace selon la deuxiè me rotule les troisiè mes lettres: chambre des demoiselles, l'aiguille creuse. – Mais je le connais, c'est... – En aval d'É tretat – la Chambre des Demoiselles – Sous le Fort du Fré fossé – Aiguille creuse. C'est le message dé crypté par Arsè ne Lupin lorsqu'il dé couvre le secret de l'Aiguille Creuse! Tu t'en souviens sans doute: à É tretat se dresse au bord de la plage l'Aiguille creuse, un châ teau naturel, à l'inté rieur habitable, arme secrè te de Jules Cé sar quand il envahissait les Gaules, et puis des rois de France. La source de l'immense puissance de Lupin. Et tu sais que les lupinologues sont fous de cette histoire, ils vont en pè lerinage à É tretat, ils cherchent d'autres passages secrets, ils anagrammatisent chaque mot de Leblanc... Ingolf é tait aussi un lupinologue comme il é tait un rose‑ cruciologue, et donc chiffre que je te chiffre. – Mais mes diaboliques pourraient toujours dire que les Templiers connaissaient le secret de l'aiguille, et que, par consé quent, le message a é té é crit à Provins, au XIVe siè cle... – Certes, je sais. Mais maintenant vient le troisiè me message. Troisiè me rotule appliqué e aux sixiè mes lettres. É coute un peu: merde i'en ai marre de cette sté ganographie. Et ç a c'est du franç ais moderne, les Templiers ne parlaient pas comme ç a. C'est Ingolf qui s'exprime de la sorte, lequel, aprè s s'ê tre cassé la tê te à chiffrer ses sornettes, s'est amusé encore une fois en envoyant au diable, en chiffre, ce qu'il é tait en train de faire. Mais comme il n'é tait pas dé nué de subtilité, je te fais remarquer que les trois messages sont chacun de trente‑ six lettres. Mon pauvre Poum, Ingolf jouait autant que vous, et cet imbé cile de colonel l'a pris au sé rieux. – Et alors, pourquoi Ingolf a disparu? – Qui te dit qu'on l'ait assassiné ? Ingolf en avait marre d'ê tre à Auxerre, de ne voir que le pharmacien et sa vieille fille de fille qui pleurnichait toute la journé e. Il peut trè s bien aller à Paris, faire un beau coup en revendant un de ses vieux livres, se trouver une gentille petite veuve qui ne demande pas mieux, et il change de vie. Comme ceux qui sortent pour acheter des cigarettes, et leur femme ne les revoit plus. – Et le colonel? – Tu ne m'as pas dit que mê me le policier n'é tait pas sû r qu'on l'ait tué ? Il a fait quelques embrouilles, ses victimes l'ont repé ré, et lui il a dé campé. En ce moment, il est probablement en train de vendre la tour Eiffel à un touriste amé ricain et il s'appelle Dupont. » Je ne pouvais pas cé der sur tous les fronts. « D'accord, nous sommes partis d'une liste des commissions, mais nous avons é té d'autant plus ingé nieux. Nous le savions nous aussi que nous é tions en train d'inventer. Nous avons fait de la poé sie. – Votre plan n'est pas poé tique. Il est grotesque. Il ne vient pas à l'esprit des gens de revenir brû ler Troie parce qu'ils ont lu Homè re. Avec lui l'incendie de Troie est devenu quelque chose qui n'a jamais é té, ne sera jamais et pourtant sera toujours. S'il a tant de significations, c'est que tout est clair, tout est limpide. Tes manifestes des Rose‑ Croix n'é taient ni clairs ni limpides, ils é taient un borborygme et promettaient un secret. C'est pour ç a qu'ils sont si nombreux ceux qui ont essayé de les rendre vrais, et chacun y a trouvé son compte. Chez Homè re, il n'y a aucun secret. Votre plan est bourré de secrets parce qu'il est bourré de contradictions. C'est pour ç a que tu pourrais trouver des milliers d'inquiets disposé s à s'y reconnaî tre. Balancez tout ç a. Homè re n'a pas fait semblant. Vous, vous avez fait semblant. Gaffe à faire semblant, tout le monde te croit. Les gens n'ont pas cru Semmelweis, qui disait aux mé decins de se laver les mains avant de toucher les parturientes. Il disait des choses trop simples. Les gens croient ceux qui vendent des lotions pour faire repousser les cheveux. Ils sentent instinctivement que ceux‑ là ré unissent des vé rité s qui ne vont pas ensemble, qu'ils ne sont pas logiques ni ne sont de bonne foi. Mais on leur a dit que Dieu est complexe, et insondable, et donc l'incohé rence est ce qu'ils ressentent de plus semblable à la nature de Dieu. L'invraisemblable est la chose la plus semblable au miracle. Vous, vous avez inventé une lotion pour faire repousser les cheveux. Je n'aime pas ç a, c'est un vilain jeu. »
Loin que cette histoire nous ait gâ ché nos semaines de montagne, j'ai fait de belles excursions à pied, j'ai lu des livres sé rieux, je n'ai jamais é té autant avec le petit. Mais entre Lia et moi, il é tait resté quelque chose de non dit. D'un cô té Lia m'avait mis le dos au mur et il lui dé plaisait de m'avoir humilié ; d'un autre cô té, elle n'é tait pas convaincue de m'avoir convaincu. De fait, j'é prouvais de la nostalgie pour le Plan, je ne voulais pas le balancer, j'avais trop vé cu avec lui. Il y a à peine quelques matins, je me suis levé tô t afin de prendre l'unique train pour Milan. Et à Milan je devais recevoir de Belbo son coup de fil de Paris, et commencer l'histoire que je n'ai pas encore fini de vivre. Lia avait raison. Nous aurions dû en parler avant. Mais je ne l'aurais pas crue davantage. J'avais vé cu la cré ation du Plan comme le moment de Tif'é ré t, le coeur du corps sefirotique, l'accord de la rè gle avec la liberté. Diotallevi me disait que Moï se Cordové ro nous avait avertis: « Qui s'enorgueillit de sa Torah devant l'ignorant, c'est‑ à ‑ dire devant l'ensemble du peuple de Iahveh, celui‑ là amè ne Tif'é ré t à s'enorgueillir devant Malkhut. » Mais ce que pouvait ê tre Malkhut, le Royaume de cette terre, dans son é clatante simplicité, je ne le comprends qu'à pré sent. A temps pour comprendre encore, trop tard peut‑ ê tre pour survivre à la vé rité. Lia, je ne sais pas si je te reverrai. S'il en allait ainsi, la derniè re image que j'ai de toi est de quelques matins en arriè re, ensommeillé e sous les couvertures. Je t'ai donné un baiser et j'hé sitais à sortir.
N É T S A H
– 107 – Ne vois‑ tu pas ce chien noir qui rô de à travers les champs ensemencé s et les é teules?... Il me semble qu'il tend autour de nos pieds de fins lacets magiques... Le cercle se resserre, il est dé jà tout prè s de nous.
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