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FILENAME : LE RETOUR DE SAINT‑GERMAIN 1 страница



Depuis cinq siè cles, dé sormais, la main vengeresse du Tout‑ Puissant m'a poussé des profondeurs de l'Asie jusque sur ces terres. J'apporte avec moi l'é pouvante, la dé solation, la mort. Mais courage, je suis le notaire du Plan, mê me si les autres ne le savent pas. J'ai vu bien pire, et les manigances la nuit de la Saint‑ Barthé lemy m'ont coû té plus d'ennui que ce que je me dispose à faire. Oh, pourquoi mes lè vres se plissent‑ elles dans ce sourire satanique? Je suis celui qui est, si le maudit Cagliostro ne m'avait pas usurpé jusqu'à ce dernier droit.

Mais le triomphe est proche. Soapes, quand j'é tais Kelley, m'a tout appris, dans la Tour de Londres. Le secret c'est de devenir un autre.

Par d'astucieuses manœ uvres, j'ai fait enfermer Joseph Balsamo dans la forteresse de San Leo, et je me suis emparé de ses secrets. En tant que Saint‑ Germain, j'ai disparu, maintenant tout le monde croit que je suis le comte de Cagliostro.

Minuit vient de retentir à toutes les horloges de la ville. Quel calme peu naturel. Ce silence ne me dit rien qui vaille. Le soir est splendide, encore que trè s froid, la lune haute dans le ciel illumine d'une clarté glaciale les venelles impé né trables du vieux Paris. Il pourrait ê tre dix heures du soir: le clocher de l'abbaye des Black Friars a depuis peu sonné lentement huit heures. Le vent secoue avec de lugubres grincements les girouettes de fer sur l'é tendue dé solé e des toits. Une é paisse couche de nuages recouvre le ciel.

Capitaine, remontons‑ nous? Non! Au contraire! Nous descendons! Damnation, bientô t le Patna coulera à pic, saute Jim de la Papaye, saute. Ne donnerais‑ je pas peut‑ ê tre, pour é chapper à cette angoisse, un diamant gros comme une noisette? Lofe en grand, la barre dessous toute, la grand‑ voile, le perroquet, et quoi encore, hô te de malheur, là ‑ bas ç a souffle!

Je grince horriblement de toutes mes dents, tandis qu'une pâ leur de mort embrase mon visage cireux de flammes verdâ tres.

Comment suis‑ je arrivé ici, moi qui semble l'image mê me de la vengeance? Les esprits de l'enfer n'auront que sourires de mé pris devant les larmes de l'ê tre dont la voix menaç ante les a fait trembler si souvent au sein mê me de leur abî me de feu.

Holà, un flambeau.

Combien de marches ai‑ je descendues avant de pé né trer dans ce bouge? Sept? Trente‑ six? Il n'est pierre que j'aie effleuré e, pas que j'aie accompli, qui ne cachâ t un hié roglyphe. Quand je l'aurai dé voilé, à mes fé aux sera enfin ré vé lé le Mystè re. Aprè s, il n'y aura plus qu'à le dé chiffrer; et sa solution sera la Clef, derriè re laquelle se cache le Message, qui, à l'initié, et à lui seul, dira en lettres claires quelle est la nature de l'É nigme.

De l'é nigme au dé cryptage, le pas est bref, et il en sortira, é clatant, le Hié rogramme sur quoi affiner la priè re de l'interrogation. Ensuite, il ne pourra plus ê tre ignoré de personne, l'Arcane, voile, couverture, tapisserie é gyptienne qui recouvre le Pentacle. Et de là vers la lumiè re pour dé clarer du pentacle le Sens Occulte, la Question Kabbalistique à quoi ils seront peu à ré pondre, pour dire d'une voix de tonnerre quel est le Signe Insondable. Plié s sur lui, Trente‑ six Invisibles devront donner la ré ponse, l'é nonciation de la Rune dont le sens n'est ouvert qu'aux fils d'Hermè s, et qu'à eux soit donné le Sceau Moqueur, Masque derriè re lequel se profilerait le visage qu'ils cherchent de mettre à nu, le Ré bus Mystique, l'Anagramme Sublime...

– Sator Arepo! crié ‑ je d'une voix à faire trembler un spectre.

Et, abandonnant la roue qu'il tient avec le concours diligent de ses mains homicides, Sator Arepo apparaî t, soumis à mon commandement. Je le reconnais, et dé jà je soupç onnais qui il é tait. C'est Luciano, l'expé ditionnaire mutilé, que les Supé rieurs Inconnus ont dé signé comme exé cuteur de ma tâ che infâ me et sanglante.

– Sator Arepo, demandé ‑ je moqueur, tu sais toi quelle est la ré ponse finale qui se cache derriè re la Sublime Anagramme?

– Non, comte, ré pond l'imprudent, et je l'attends de tes paroles.

Un é clat de rire infernal sort de mes lè vres pâ les et ré sonne sous les voû tes antiques.

– Naï f! Seul le vrai initié sait qu'il ne la sait pas!

– Oui, maî tre, ré pond, obtus, l'expé ditionnaire mutilé, comme vous voulez. Je suis prê t.

Nous sommes dans un bouge sordide de Clignancourt. Ce soir, c'est toi que je dois punir, avant tout le monde, toi qui m'as initié à l'art noble du crime. Me venger de toi, qui feins de m'aimer, et, ce qui est pis, le crois, et des ennemis sans nom avec qui tu passeras le prochain week‑ end. Luciano, té moin importun de mes humiliations, me prê tera son bras – l'unique – puis il en mourra.

Un bouge avec une trappe dans le pavement, qui ouvre sur une espè ce de ravin, de ré servoir, de boyau souterrain, utilisé depuis des temps immé moriaux pour y entreposer des marchandises de contrebande, à l'humidité inquié tante parce qu'il touche aux é gouts collecteurs de Paris, labyrinthe du crime, et les vieux murs suent d'indicibles miasmes, si bien qu'il suffit, avec l'aide de Luciano, trè s fidè le dans le mal, de pratiquer un trou dans le mur et l'eau entre à flots, inonde le sous‑ sol, fait crouler les murs dé jà branlants, et le ravin se confond avec le reste des collecteurs, où surnagent à pré sent des rats gras putré fié s, la surface noirâ tre qu'on entrevoit du haut de la trappe est dé sormais le vestibule de la perdition nocturne: trè s loin, la Seine, puis la mer...

De la trappe pend une é chelle assuré e au bord supé rieur, et sur celle‑ ci, à fleur d'eau, Luciano s'installe, avec un couteau: une main ferme sur le premier barreau, l'autre qui serre le coutelas, la troisiè me prê te à saisir la victime. Maintenant attends, et en silence – lui dis‑ je –, tu verras.

Je t'ai convaincue d'é liminer tous les hommes avec une cicatrice – viens avec moi, sois mienne à jamais, é liminons ces pré sences importunes, je sais bien que tu ne les aimes pas, tu me l'as dit, nous resterons toi et moi, et les courants souterrains.

Tu viens d'entrer, hautaine comme une vestale, recroquevillé e et racornie comme une mé gè re – ô vision d'enfer, toi qui secoues mes lombes centenaires et me serres la poitrine dans l'é tau du dé sir, ô splendide mulâ tresse, instrument de ma perdition. De mes mains crochues je lacè re ma chemise de fine batiste qui pare ma poitrine, de mes ongles je strie ma peau de sillons sanglants, tandis qu'une brû lure atroce incendie mes lè vres froides comme les mains du serpent. Un sourd rugissement monte des plus noires cavernes de mon â me et jaillit de la rangé e de mes dents cruelles – moi centaure vomi du Tartare –, et le vol d'une salamandre est presque inaudible, car je retiens mon hurlement, et je m'approche de toi avec un sourire atroce.

« Ma ché rie, ma Sophia, te dis‑ je plein de la grâ ce fé line avec laquelle seul sait parler le chef secret de l'Okhrana. Viens, je t'attendais, blottis‑ toi avec moi dans la té nè bre, et attends – et tu ris, recroquevillé e, visqueuse, savourant à l'avance quelque hé ritage ou butin, un manuscrit des Protocoles à vendre au tsar... Comme tu sais bien masquer, derriè re ce visage d'ange, ta nature de dé mon, pudiquement bandé e par tes blue‑ jeans androgynes, le T‑ shirt presque transparent qui toutefois cache le lys infâ me imprimé sur ta chair blanche par le bourreau de Lille!

Est arrivé le premier sot, par moi attiré dans le piè ge. J'aperç ois difficilement ses traits, sous la cape qui l'enveloppe, mais il me montre le signe des templiers de Provins. C'est Soapes, le sicaire du groupe de Tomar.

– Comte, me dit‑ il, le moment est venu. Pendant trop d'anné es nous avons erré, dispersé s de par le monde. Vous avez le fragment final du message, moi celui qui apparut au dé but du Grand Jeu. Mais ceci est une autre histoire. Ré unissons nos forces, et les autres...

Je complè te sa phrase: « Les autres, aux enfers. Va, frè re, au centre de la piè ce il y a un é crin, dans l'é crin ce que tu cherches depuis des siè cles. N'aie peur de l'obscurité, elle ne nous menace pas mais nous protè ge. »

Le sot dirige ses pas presque à l'aveuglette. Un bruit sourd, é touffé. Il est tombé dans la trappe; à fleur d'eau Luciano le saisit et lui donne du tranchant de sa lame, une coupure é clair à la gorge, le gargouillis du sang se confond avec le bouillonnement du purin chthonien.

On frappe à la porte.

– C'est toi, Disraeli?

– Oui, me ré pond l'inconnu, dans lequel mes lecteurs auront reconnu le grand maî tre du groupe anglais, dé sormais parvenu au faî te du pouvoir, mais encore insatisfait.

Il parle: « My Lord, it is useless to deny, because it is impossible to conceal, that a great part of Europe is covered with a network of these secret societies, just as the superficies of the earth is now being covered with railroads...

– Tu l'as dé jà dit aux Communes, 14 juillet 1856, rien ne m'é chappe. Venons‑ en au fait.

Le juif baconien jure entre ses dents. Il poursuit:

– Ils sont trop nombreux. Les trente‑ six Invisibles sont à pré sent trois cent soixante. Multiplie par deux, sept cent vingt. Soustrais les cent vingt anné es au terme desquelles s'ouvrent les portes, et tu as six cents, comme la charge de Balaklava.

Diable d'homme, la science des nombres n'a pas de secrets pour lui.

– Eh bien?

– Nous avons l'or, toi la carte. Unissons‑ nous, et nous serons invincibles.

D'un geste hié ratique je lui montre du doigt l'é crin fantasmatique: aveuglé par sa convoitise, il croit l'apercevoir dans l'ombre. Il s'avance, tombe.

J'entends le sinistre é clair de la lame de Luciano, et, malgré la té nè bre, je vois le râ le qui luit dans la pupille muette de l'Anglais. Justice est faite.

J'attends le troisiè me, l'homme des Rose‑ Croix franç ais, Montfaucon de Villars, prê t à trahir, j'en suis dé jà pré venu, les secrets de sa secte.

– Je suis le comte de Gabalis, se pré sente‑ t‑ il, menteur et fat.

J'ai peu de mots à susurrer pour l'induire à se diriger vers son destin. Il tombe, et Luciano, avide de sang, accomplit sa besogne.

Tu souris avec moi dans l'ombre, et tu me dis que tu es mienne, et tien sera mon secret. Mets‑ toi le doigt dans l'œ il, sinistre caricature de la Shekhina. Oui, je suis ton Simon, attends, tu ignores encore le meilleur. Et quand tu le sauras, tu auras cessé de le savoir.

Qu'ajouter? Un à un entrent les autres.

Le pè re Bresciani m'avait informé que pour repré senter les illuminé s allemands viendrait Babette d'Interlaken, arriè re‑ petite‑ fille de Weishaupt, la grande vierge du communisme helvé tique, é levé e dans la ripaille, la rapine et le sang, experte à ravir les secrets impé né trables, à ouvrir les dé pê ches sans en violer les sceaux, à administrer les poisons selon les ordres de sa secte.

Entre donc le jeune agathodé mon du crime: elle est enveloppé e d'une fourrure d'ours blanc, ses longs cheveux blonds fluent de dessous son colback crâ neur, regard hautain, mine sarcastique. Et, avec l'habituelle manoeuvre, je la dirige vers sa perdition.

Ah, ironie du langage – ce don que la nature nous a fait pour taire les secrets de notre â me! L'Illuminé e tombe victime de l'Obscurité. Je l'entends é ructer d'horribles jurons, l'impé nitente, tandis que Luciano lui retourne deux fois le couteau dans le cœ ur. Dé jà vu, dé jà vu...

C'est le tour de Nilus, qui, pendant un instant, avait cru avoir et la tsarine et la carte. Sale moine luxurieux, tu voulais l'Anté christ? Il se trouve devant toi, mais tu l'ignores. Et je le conduis, aveugle, au milieu de mille mystiques cajoleries, au piè ge infâ me qui l'attend. Luciano lui ouvre la poitrine d'une blessure en forme de croix: il s'abî me dans le sommeil é ternel.

Je dois surmonter l'ancestrale mé fiance du dernier, le Sage de Sion, qui pré tend ê tre Ahasvé rus, le Juif Errant, comme moi immortel. Il n'a pas confiance, alors qu'il sourit, onctueux, la barbe encore souillé e du sang des tendres cré atures chré tiennes dont il est habitué à faire carnage dans le cimetiè re de Prague. Il sait que je suis Rackovskij, il faut que je le dé passe en astuce. Je lui laisse entendre que l'é crin ne contient pas seulement la carte, mais aussi des diamants bruts, encore à tailler. Je sais la fascination qu'exercent les diamants bruts sur cette engeance dé icide. Il va vers son destin, entraî né par sa cupidité et c'est à son Dieu, cruel et vindicatif, qu'il lance des impré cations tout en mourant, transpercé comme Hiram, et lancer ses impré cations lui est mê me malaisé, parce que de son Dieu il ne parvient pas à prononcer le nom.

Naï f, moi qui croyais avoir mené le Grand Œ uvre à son terme.

Comme heurté e par un tourbillon, une fois encore s'ouvre la porte du bouge et apparaî t une silhouette au visage livide, les mains dé votement racornies sur la poitrine, le regard furtif, qui ne ré ussit pas à cacher sa nature parce qu'elle s'habille des noirs habits de sa noire Compagnie. Un fils de Loyola!

– Cré tineau! m'é crié ‑ je, induit en erreur.

Il lè ve la main en un geste hypocrite de bé né diction.

– Je ne suis pas celui que je suis, me dit‑ il avec un sourire qui n'a plus rien d'humain.

C'est vrai, ce fut de tout temps leur technique: tantô t ils nient à eux‑ mê mes leur propre existence, tantô t ils proclament la puissance de leur ordre pour intimider le couard.

– Nous sommes toujours autre que ce que vous pensez, fils de Bé lial (dit à pré sent ce sé ducteur de souverains). Mais toi, ô Saint‑ Germain...

– Comment sais‑ tu que je suis vraiment? demandé ‑ je troublé.

Il sourit, menaç ant:

– Tu m'as connu en d'autres temps, quand tu as cherché à m'é loigner du chevet de Postel, quand, sous le nom d'Abbé d'Herblay, je t'ai amené à terminer une de tes incarnations au cœ ur de la Bastille (oh, comme je sens encore sur mon visage le masque de fer auquel la Compagnie, avec l'aide de Colbert, m'avait condamné ! ), tu m'as connu quand j'espionnais tes conciliabules avec d'Holbach et Condorcet...

– Rodin! m'exclamé ‑ je, comme frappé par la foudre.

– Oui, Rodin, le gé né ral secret des jé suites! Rodin que tu ne tromperas pas en le faisant tomber dans la trappe, ainsi que tu l'as fait avec les autres naï fs. Sache, ô Saint‑ Germain, qu'il n'est crime, artifice né faste, piè ge criminel, que nous n'ayons inventé avant vous, pour la plus grande gloire de notre Dieu qui justifie les moyens! Que de tê tes couronné es n'avons‑ nous pas fait tomber dans la nuit qui n'a pas de matin, dans des leurres bien plus raffiné s, pour obtenir la domination du monde. Et maintenant tu veux empê cher que, à un pas du but, nous ne mettions nos mains rapaces sur le secret qui meut depuis cinq siè cles l'histoire du monde?

Rodin, en parlant de la sorte, devient é pouvantable. Tous ces instincts d'ambition sanguinaire, sacrilè ge, exé crable qui s'é taient manifesté s chez les papes de la Renaissance, transparaissent à pré sent sur le front de ce fils d'Ignace. Je vois juste: une soif de domination insatiable agite son sang impur, une sueur brû lante l'inonde, une espè ce de vapeur nausé abonde se ré pand autour de lui.

Comment frapper ce dernier ennemi? Je me rappelle l'intuition inattendue, qui seule sait nourrir celui pour qui l'esprit humain, depuis des siè cles, n'a pas de replis inviolé s.

– Regarde‑ moi, dis‑ je, moi aussi je suis un Tigre. D'un seul coup, je te pousse toi au milieu de la piè ce, et je t'arrache ton T‑ shirt, je dé chire la ceinture de la moulante cuirasse qui cache les grâ ces de ton ventre ambré. Maintenant toi, à la pâ le lumiè re de la lune qui pé nè tre par la porte entrouverte, tu te dresses, plus belle que le serpent qui sé duisit Adam, fiè re et lascive, vierge et prostitué e, vê tue de ton seul pouvoir charnel, parce que la femme nue est la femme armé e.

Le klaft é gyptien descend sur tes cheveux touffus, bleus à force d'ê tre noirs, ton sein palpitant sous la mousseline lé gè re. Autour de ton petit front bombé et obstiné s'enroule l'uraeus d'or aux yeux d'é meraude, dardant sur ta tê te sa triple langue de rubis. Ô ta tunique de voile noir aux reflets d'argent, serré e par une é charpe brodé e d'iris funestes, en perles noires. Ton pubis replet tout rasé afin d'offrir, aux yeux de tes amants, la nudité d'une statue! La pointe de tes mamelons dé jà suavement effleuré e par le pinceau de ton esclave du Malabar, trempé dans le mê me carmin qui t'ensanglante les lè vres, invitantes comme une blessure!

Rodin à pré sent respire pé niblement. Les longues abstinences, la vie passé e dans un rê ve de puissance, n'ont rien fait d'autre que le pré parer encore plus à son dé sir irré pressible. Face à cette reine belle et impudique, aux yeux noirs comme ceux du dé mon, aux é paules rondes, aux cheveux odorants, à la peau blanche et tendre, Rodin est pris par l'espé rance de caresses ignoré es, de volupté s ineffables, il fré mit dans sa chair mê me tel fré mit un dieu des forê ts en observant une nymphe nue qui se mire dans l'eau où s'est dé jà damné Narcisse. Je devine à contre‑ jour son rictus irré pressible; il est comme pé trifié par Mé duse, sculpté dans le dé sir d'une virilité ré fré né e et maintenant à son dé clin, des flammes obsé dantes de lascivité lui tordent les chairs; il est comme un arc bandé vers le but, bandé jusqu'au point où il cè de et se brise.

D'un coup, il est tombé sur le sol, rampant devant cette apparition, la main telle une serre tendue pour implorer une gorgé e d'é lixir.

– O, râ le‑ t‑ il, ô comme tu es belle, ô ces petites dents de jeune louve qui brillent quand tu ouvres tes lè vres rouges et renflé es... Ô tes grands yeux d'é meraude qui tantô t é tincellent et tantô t languissent. Ô dé mon de la volupté.

Il y a de quoi, le misé rable, tandis que tu remues à pré sent tes hanches moulé es par la toile bleuâ tre et que tu tends le pubis pour pousser le flipper à la derniè re dé mence.

– Ô vision, dit Rodin, sois mienne, pour un seul instant, comble par un instant de plaisir une vie passé e au service d'une divinité jalouse, console d'un é clair de luxure l'é ternité de flamme à quoi ta vision maintenant me pousse et entraî ne. Je t'en prie, effleure mon visage de tes lè vres, toi Antinea, toi Marie‑ Madeleine, toi que j'ai dé siré e dans la face des saintes troublé es par l'extase, que j'ai convoité e au cours de mes hypocrites adorations de visages virginaux, ô ma Dame, tu es aussi belle que le soleil, blanche comme la lune, et voilà que je renie et Dieu et les Saints, et le Pontife de Rome soi‑ mê me, je dirai plus, je renie le Loyola, et le serment criminel qui me lie à ma Compagnie, j'implore un seul baiser, et puis que j'en meure.

Il a fait encore un pas, rampant sur ses genoux racornis, la soutane soulevé e sur ses reins, la main encore plus tendue vers ce bonheur impossible à atteindre. Soudain il est retombé en arriè re, les yeux paraissent lui sortir des orbites. D'atroces convulsions impriment à ses traits des secousses inhumaines, semblables à celles que la pile Volta produit sur le visage des cadavres. Une é cume bleuâ tre empourpre ses lè vres, d'où sort une voix sifflante et é tranglé e, comme celle d'un hydrophobe, car lorsqu'elle arrive à sa phase paroxystique, ainsi que le dit fort bien Charcot, cette é pouvantable maladie qu'est le satyriasis, punition de la luxure, marque des mê mes stigmates que la folie canine.

C'est la fin. Rodin é clate en un rire insensé. Aprè s quoi, il s'é croule sur le sol, inanimé, image vivante de la rigidité cadavé rique.

En un seul instant, il est devenu fou et il est mort damné.

Je me suis limité à pousser le corps vers la trappe, avec cautè le, pour ne pas salir mes poulaines vernies contre la soutane graisseuse de mon dernier ennemi.

Nul besoin du coutelas homicide de Luciano, mais le sicaire ne parvient pas à contrô ler ses gestes, lancé qu'il est dans une funeste compulsion de ré pé tition. Il rit, et poignarde un cadavre dé sormais sans vie.

A pré sent je me dirige avec toi vers l'extrê me bord de la trappe, je te caresse le cou et la nuque alors que tu te penches pour jouir de la scè ne; je te dis: « Es‑ tu contente de ton Rocambole, mon amour inaccessible? »

Et tandis que tu fais signe que oui, lascive, et que tu ricanes en salivant dans le vide, je serre imperceptiblement les doigts, que fais‑ tu mon amour, rien Sophia, je te tue, doré navant je suis Joseph Balsamo et n'ai plus besoin de toi.

L'amante des Archontes expire, tombe à pic dans l'eau, Luciano ratifie d'un coup de lame le verdict de ma main impitoyable et je lui dis: « Maintenant tu peux remonter, mon fé al, mon â me damné e, et au moment où en remontant il m'offre son dos, je lui plante entre les omoplates un trè s fin stylet à lame triangulaire, qui ne laisse presque aucune cicatrice. Il dé gringole, je ferme la trappe, c'est fait, j'abandonne le bouge, alors que huit corps naviguent vers le Châ telet, par des conduits connus de moi seul.

Je reviens dans mon petit appartement du faubourg Saint‑ Honoré, je me regarde dans mon miroir. Voilà, me dis‑ je, je suis le Roi du Monde. De mon aiguille creuse je domine l'univers. En de certains moments ma puissance me fait tourner la tê te. Je suis un maî tre d'é nergie. Je suis ivre d'autorité.

Hé las, la vengeance de la vie ne tardera pas. Des mois aprè s, dans la crypte la plus profonde du châ teau de Tomar, maî tre maintenant du secret des courants souterrains et seigneur des six lieux sacré s de ceux qui avaient é té les Trente‑ six Invisibles, dernier des derniers Templiers et Supé rieur Inconnu de tous les Supé rieurs Inconnus, je devrais é pouser Cecilia, l'androgyne aux yeux de glace, de laquelle plus rien ne me sé pare dé sormais. Je l'ai retrouvé e aprè s des siè cles, depuis qu'elle m'avait é té soufflé e par l'homme au saxophone. A pré sent, elle marche en é quilibre sur le dossier du banc, bleue et blonde, et je ne sais toujours pas ce qu'elle a sous le tulle vaporeux qui la pare.

La chapelle est creusé e dans le roc, l'autel est surmonté d'une toile inquié tante qui repré sente les supplices des damné s dans les entrailles de l'enfer. Quelques moines encapuchonné s me font té né breusement haie, et encore point ne me troublent, fasciné que je suis par l'imagination ibé rique...

Mais – horreur – la toile se soulè ve, et, derriè re elle, oeuvre admirable d'un Arcimboldo des cavernes, apparaî t une autre chapelle, en tout semblable à celle où je me trouve, et là, devant un autre autel, est agenouillé e Cecilia, et à cô té d'elle – une sueur froide emperle mon front, mes cheveux se dressent sur ma tê te – qui vois‑ je arborer, narquois, sa cicatrice? L'Autre, le vrai Joseph Balsamo, que quelqu'un a libé ré du cachot de San Leo!

Et moi? C'est à cet instant que le plus vieux des moines soulè ve son capuchon, et je reconnais l'horrible sourire de Luciano, ré chappé qui sait comme à mon stylet, aux é gouts, à la boue sanglante qui aurait dû l'entraî ner, cadavre maintenant, dans le fond silencieux des océ ans, passé à mes ennemis par juste soif de vengeance.

Les moines se libè rent de leur froc et surgissent cataphracté s dans une armure jusqu'alors caché e, une croix flamboyante sur leur manteau blanc comme neige. Ce sont les Templiers de Provins!

Ils s'emparent de moi, me contraignent à tourner la tê te: dans mon dos est apparu un bourreau accompagné de deux aides difformes, on me fait ployer sur une sorte de garrot, et avec une marque au fer rougi à blanc on me consacre proie é ternelle du geô lier, le sourire infâ me du Baphomet s'imprime à jamais sur mon é paule – maintenant je comprends: afin que je puisse remplacer Balsamo à San Leo, autrement dit reprendre la place qui m'avait é té assigné e de toute é ternité.

Mais ils me reconnaî tront, me dis‑ je, et puisque tous croient dé sormais que moi je suis lui, et lui le damné, on me viendra mê me en aide – mes complices, au moins –, on ne peut remplacer un prisonnier sans que personne s'en aperç oive, nous ne sommes plus au temps du Masque de Fer... Naï f! En un é clair, je comprends, quand le bourreau me fait pencher la tê te sur une cuvette de cuivre d'où s'é lè vent des vapeurs verdâ tres... Le vitriol!

On m'assujettit un chiffon sur les yeux, et mon visage est poussé au contact du liquide vorace, une douleur insupportable, lancinante, la peau de mes joues, du nez, de la bouche, du menton, se recroqueville, s'é caille, un instant suffit, et comme on me relè ve en me tirant par les cheveux, mon visage est maintenant mé connaissable, un tabè s, une variole, un indicible né ant, un hymne à la ré pugnance, je reviendrai au cachot ainsi qu'y reviennent beaucoup de fugitifs qui eurent le courage de se dé figurer pour ne pas ê tre repris.

Ah, m'é crié ‑ je vaincu; et, au dire du narrateur, un mot sort de mes lè vres corrompues, un soupir, un cri d'espoir: Ré demption!

Mais ré demption de quoi, vieux Rocambole, tu savais bien qu'il ne fallait pas tenter d'ê tre un protagoniste! Tu as é té puni, et par tes artifices mê mes. Tu as humilié les é crivains de l'illusion, et à pré sent – tu le vois – tu é cris, avec l'alibi de la machine. Tu t'imagines que tu es spectateur, parce que tu te lis sur l'é cran comme si les mots é taient ceux d'un autre, mais tu es tombé dans le piè ge, voilà que tu cherches à laisser des traces sur le sable. Tu as osé changer le texte du roman du monde, et le roman du monde te reprend dans ses trames, et t'enserre dans son intrigue, que tu n'as pas choisie.



  

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