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Et puis notre logique é tait une logique des faits. Nous avions beaucoup aimé l'affaire du cimetiè re de Prague. C'é tait l'histoire d'un certain Hermann Goedsche, petit employé des postes prussien. Celui‑ ci avait dé jà publié des faux documents pour discré diter le dé mocrate Waldeck, l'accusant de vouloir assassiner le roi de Prusse. Dé masqué, il é tait devenu le ré dacteur de l'organe des grands proprié taires conservateurs, Die Preussische Kreuzzeitung. Puis, sous le nom de sir John Retcliffe, il avait commencé à é crire des romans à sensation, entre autres Biarritz, en 1868. C'est dans celui‑ ci qu'il dé crivait une scè ne occultiste qui se dé roulait dans le cimetiè re de Prague, trè s semblable à la ré union des Illuminé s que Dumas avait dé crite au dé but de Joseph Balsamo, où Cagliostro, chef des Supé rieurs Inconnus, parmi lesquels Swedenborg, ourdit le complot du Collier de la Reine. Dans le cimetiè re de Prague se ré unissent les repré sentants des douze tribus d'Israë l qui exposent leurs plans pour la conquê te du monde.

En 1876, un pamphlet russe rapporte la scè ne de Biarritz, mais comme si elle s'é tait ré ellement passé e. Et de mê me en 1881, en France, Le Contemporain. On dit que la nouvelle provient d'une source sû re, le diplomate anglais sir John Readcliff. En 1896, un dé nommé Bournand publie un livre, Les Juifs, nos contemporains, et relate la scè ne du cimetiè re de Prague, disant que le discours subversif est tenu par le grand rabbin John Readclif. Une tradition posté rieure dira au contraire que le vrai Readclif avait é té conduit dans le cimetiè re fatal par Ferdinand Lassalle, dangereux ré volutionnaire.

Et ces plans sont plus ou moins ceux dé crits, en 1880, peu d'anné es avant, par la Revue des É tudes Juives (antisé mite) qui avait publié deux lettres imputé es à des juifs du XVe siè cle. Les juifs d'Arles demandent de l'aide aux juifs de Constantinople parce qu'ils sont persé cuté s, et ceux‑ ci ré pondent: « Bien‑ aimé s frè res en Moï se, si le roi de France vous oblige à vous faire chré tiens, faites‑ le, parce que vous ne pouvez faire autrement, mais conservez la loi de Moï se dans vos coeurs. Si on vous dé pouille de vos biens, faites en sorte que vos fils deviennent des marchands, de faç on que peu à peu ils dé pouillent les chré tiens des leurs. Si on attente à vos vies, faites devenir vos fils mé decins et pharmaciens, pour qu'ainsi ils ô tent leur vie aux chré tiens. Si on dé truit vos synagogues, faites devenir vos fils chanoines et clercs de faç on qu'ils dé truisent leurs é glises. Si on vous inflige d'autres vexations, faites que vos fils deviennent avocats et notaires et qu'ils se mê lent aux affaires de tous les É tats, de faç on qu'en mettant les chré tiens sous votre joug, vous dominiez le monde et puissiez vous venger d'eux. »

Ils s'agissait toujours du plan des jé suites et, en amont, de l'Ordonation templiè re. Rares variations, permutations minimes: les Protocoles se faisaient tout seuls. Un projet abstrait de complot é migrait de complot en complot.

 

Et quand nous nous é tions ingé nié s à repé rer l'anneau manquant, qui unissait toute cette belle histoire à Nilus, nous avions rencontré Rackovskij, le chef de la terrible Okhrana, la police secrè te du tsar.

 

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Une couverture est toujours né cessaire. Dans la dissimulation ré side grande partie de notre force. C'est pourquoi nous devons toujours nous cacher sous le nom d'une autre socié té.

Die neuesten Arbeiten des Spartacus und Philo in dem Illuminaten‑ Orden, 1794, p. 165.

Justement ces jours‑ ci, en lisant quelques pages de nos diaboliques, nous avions trouvé que le comte de Saint‑ Germain, parmi ses diffé rents travestissements, avait pris aussi celui de Rackoczi, ou c'est du moins ainsi que l'avait identifié l'ambassadeur de Fré dé ric II à Dresde. Et le landgrave de Hesse, chez qui Saint‑ Germain, apparemment, é tait mort, avait dit qu'il é tait d'origine transylvanienne et s'appelait Ragozki. Il fallait ajouter que Comenius avait dé dié sa Pansophie (œ uvre certainement en odeur de rosicrucianisme) à un landgrave (que de landgraves dans notre histoire) qui s'appelait Ragovsky. Derniè re touche à la mosaï que, en fouillant dans l'é ventaire d'un bouquiniste, piazza Castello, j'avais dé couvert un ouvrage allemand sur la maç onnerie, anonyme, où une main inconnue avait ajouté en faux titre une note selon laquelle le texte é tait dû au dé nommé Karl Aug. Ragotgky. Considé rant que le mysté rieux individu qui avait sans doute tué le colonel Ardenti s'appelait Rakosky, voilà que nous trouvions toujours faç on d'inté grer, sur les traces du Plan, notre comte de Saint‑ Germain.

« Ne donnons‑ nous pas trop de pouvoir à cet aventurier? demandait, l'air pré occupé, Diotallevi.

– Non, non, ré pondait Belbo, il le faut. Comme la sauce de soja dans les plats chinois. S'il n'y en a pas, ce n'est pas chinois. Regarde Agliè, qui s'y entend: il n'est pas allé chercher Cagliostro ou Willermoz comme modè le. Saint‑ Germain est la quintessence de l'Homo Hermeticus. »

 

 

Pierre Ivanovitch Rač kovskij. Jovial, insinuant, fé lin, intelligent et rusé, faussaire de gé nie. Petit fonctionnaire entré en contact avec les groupes ré volutionnaires, il est arrê té en 1879 par la police secrè te et accusé d'avoir donné asile à des amis terroristes qui avaient attenté à la vie du gé né ral Drentel. Il passe du cô té de la police et s'inscrit (tiens tiens) aux Centuries Noires. En 1890, il dé couvre à Paris une organisation qui fabriquait des bombes pour des attentats en Russie, et il ré ussit à faire arrê ter dans son pays soixante‑ trois terroristes. Dix ans aprè s, on apprendra que les bombes avaient é té confectionné es par ses hommes.

En 1887, il diffuse la lettre d'un certain Ivanov, ré volutionnaire repenti, qui assure que la majorité des terroristes sont juifs; en 9U, une « confession par un vieillard ancien ré volutionnaire », où les ré volutionnaires exilé s à Londres sont accusé s d'ê tre des agents britanniques. En 92, un faux texte de Plekhanov où on accuse la direction du mouvement Narodnaï a Volia d'avoir fait publier cette confession.

En 1902, il tente de constituer une ligue franco‑ russe antisé mite. Pour parvenir à ses fins, il use d'une technique proche de celle des Rose‑ Croix. Il affirme que la ligue existe, pour qu'ensuite quelqu'un la cré e. Mais il use aussi d'une autre technique: il mê le avec doigté le vrai et le faux, et le vrai apparemment lui nuit, ainsi personne ne doute du faux. Il fait circuler à Paris un mysté rieux appel aux Franç ais pour soutenir une Ligue Patriotique Russe dont le siè ge est à Kharkov. Dans l'appel il s'attaque lui‑ mê me comme celui qui veut faire é chouer la ligue et il souhaite que lui, Rackovskij, change d'idé e. Il s'auto‑ accuse de se servir de personnages discré dité s tels que Nilus, ce qui est exact.

Pourquoi peut‑ on attribuer à Rackovskij les Protocoles?

Le protecteur de Rackovskij é tait le ministre Sergheï Witte, un progressiste qui voulait transformer la Russie en un pays moderne. Pourquoi le progressiste Witte se servait‑ il du ré actionnaire Rackovskij, Dieu seul le savait, mais nous é tions dé sormais pré paré s à tout. Witte avait un adversaire politique, un dé nommé É lie de Cyon, qui l'avait dé jà attaqué publiquement avec des pointes polé miques rappelant certains passages des Protocoles. Mais dans les é crits de Cyon, il n'y avait pas d'allusions aux juifs, parce que lui‑ mê me é tait d'origine hé braï que. En 1897, par ordre de Witte, Rackovskij fait perquisitionner la villa de Cyon à Territat, et il trouve un pamphlet de Cyon inspiré du livre de Joly (ou de celui de Sue), où l'on attribuait à Witte les idé es de Machiavel‑ Napolé on III. Rač kovskij, avec son gé nie de la falsification, met juifs à la place de Witte et fait circuler le texte. Le nom de Cyon semble fait exprè s pour rappeler Sion, et on peut dé montrer qu'un repré sentant juif faisant autorité dé nonce un complot juif. Voilà que sont né s les Protocoles. C'est alors que le texte tombe aussi entre les mains de Iuliana ou Justine Glinka, qui fré quente à Paris le milieu de Madame Blavatsky, et, à ses moments perdus, espionne et dé nonce les ré volutionnaires russes en exil. Glinka est certainement un agent des pauliciens, lesquels sont lié s aux proprié taires fonciers et donc veulent convaincre le tsar que les programmes de Witte se confondent avec le complot international juif. Glinka envoie le document au gé né ral Orgeievskij, et celui‑ ci, à travers le commandant de la garde impé riale, le fait parvenir au tsar. Witte se trouve dans le pé trin.

C'est ainsi que Rackovskij, entraî né par son fiel antisé mite, contribue à la disgrâ ce de son protecteur. Et probablement à la sienne propre. En effet, à partir de ce moment‑ là, nous perdions ses traces. Saint‑ Germain é tait peut‑ ê tre parti vers de nouveaux travestissements et de nouvelles ré incarnations. Mais notre histoire avait pris un contour plausible, rationnel, limpide, parce qu'elle s'é tayait sur une sé rie de faits, vrais – disait Belbo – comme Dieu est vrai.

 

Tout cela me remettait en esprit les histoires de De Angelis sur la synarchie. Le piquant de toute l'histoire – de notre histoire, certes, mais peut‑ ê tre de l'Histoire, comme insinuait Belbo, le regard fé brile, tandis qu'il me passait ses fiches –, c'é tait que des groupes en lutte mortelle s'exterminaient à tour de rô le en utilisant chacun les mê mes armes que l'autre. « Le premier devoir d'un bon infiltré, commentais‑ je, est de dé noncer comme infiltré s ceux chez qui il s'est infiltré. »

Belbo avait dit: « Je me souviens d'une histoire à ***. Sur le cours, au soleil couchant, je croisais toujours un certain Remo, ou un nom de ce genre, derriè re le volant de sa petite Fiat, une Balilla noire. Moustaches noires, cheveux noirs frisé s, chemise noire, et dents noires, horriblement carié es. Et il embrassait une fille. Et moi ces dents noires me dé goû taient, qui embrassaient cette chose belle et blonde, je ne me rappelle mê me pas la tê te qu'elle avait, mais pour moi elle é tait vierge et prostitué e, elle é tait l'é ternel fé minin. Et moult en fré missais. » D'instinct, il avait adopté un ton ampoulé pour dé clarer son intention ironique, conscient de s'ê tre laissé emporter par les langueurs innocentes de la mé moire. « Je me demandais et j'avais demandé pourquoi ce Remo, qui appartenait aux Brigades Noires, pouvait s'exposer ainsi à la ronde, mê me dans les pé riodes où *** n'é tait pas occupé par les fascistes. Et on m'avait dit qu'il se murmurait que c'é tait un infiltré des partisans. Tout à coup, un soir je le vois dans sa mê me Balilla noire, avec les mê mes dents noires, en train de rouler des patins à la mê me fille blonde, mais avec un foulard rouge au cou et une chemise kaki. Il é tait passé aux Brigades Garibaldiennes. Tous lui faisaient fê te, et il avait pris un nom de bataille, X9, comme le personnage d'Alex Raymond dont il avait lu des aventures dans L'Avventuroso. T'es un brave, X9, lui disaient‑ ils... Et moi je le haï ssais encore plus parce qu'il possé dait la fille avec le consentement du peuple. Pourtant, certains en parlaient comme d'un infiltré fasciste au milieu des partisans, et je crois que c'é taient ceux qui dé siraient la fille; mais il en allait ainsi, X9 é tait suspect...

– Et puis?

– Excusez‑ moi, Casaubon, pourquoi vous inté ressez‑ vous tellement à mes histoires personnelles?

– Parce que vous racontez, et les ré cits sont faits de l'imaginaire collectif.

– Good point. Alors, un matin, X9 circulait hors de la zone habité e, peut‑ ê tre avait‑ il donné rendez‑ vous à la fille dans les champs, pour aller au‑ delà de ce misé rable petting et montrer que sa verge é tait moins carié e que ses dents – pardonnez‑ moi, mais je n'arrive pas encore à l'aimer –, en somme, voilà que les fascistes lui tendent une embuscade, l'emmè nent en ville et à cinq heures, le lendemain matin, ils le fusillent. »

Une pause. Belbo avait regardé ses mains, qu'il tenait jointes comme s'il é tait en priè re. Puis il les avait é carté es et dit: « Preuve que ce n'é tait pas un infiltré.

– Sens de la parabole?

– Qui vous a dit que les paraboles doivent avoir un sens? Mais à bien y repenser, cela veut peut‑ ê tre dire que souvent, pour prouver quelque chose, il faut mourir. »

 

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Ego sum qui sum.

Exode 3, 14.

Ego sum qui sum. An axiom of hermetic philosophy.

Mme BLAVATSKY, Isis Unveiled, p. 1.

Qui es‑ tu? demandè rent ensemble trois cents voix, en mê me temps que vingt é pé es é tincelaient aux mains des fantô mes les plus proches... Ego sum qui sum, dit‑ il.

Alexandre DUMAS, Joseph Balsamo, II.

J'avais revu Belbo le matin suivant. « Hier, nous avons é crit une belle page de feuilleton, lui avais‑ je dit. Mais peut‑ ê tre, si nous voulons faire un Plan cré dible, devrions‑ nous coller davantage à la ré alité.

– Quelle ré alité ? m'avait‑ il demandé. Seul peut‑ ê tre le feuilleton nous donne la vraie mesure de la ré alité. On nous a trompé s.

– Qui?

– On nous a fait croire que d'un cô té il y a le grand art, celui qui repré sente des personnages typiques dans des circonstances typiques, et de l'autre le roman‑ feuilleton, qui raconte l'histoire de personnages atypiques dans des circonstances atypiques. Je pensais qu'un vrai dandy n'aurait jamais fait l'amour avec Scarlett O'Hara ni avec Constance Bonacieux ou Aurore de Caylus non plus. Moi je jouais avec le feuilleton, pour faire un petit tour hors de la vie. Il me rassurait parce qu'il proposait ce qu'on ne peut atteindre. Eh bien non.

 

– Non?

– Non. Proust avait raison: la vie est mieux repré senté e par la mauvaise musique qu'elle ne l'est par une Missa Solemnis. L'art se moque de nous et nous rassure, il nous fait voir le monde comme les artistes voudraient qu'il fû t. Le feuilleton fait semblant de plaisanter, mais au fond il nous fait voir le monde tel qu'il est, ou au moins tel qu'il sera. Les femmes ressemblent plus à Milady qu'à Clé lia Conti, Fu Manchu est plus vrai que Nathan le Sage, et l'Histoire ressemble davantage à ce que raconte Sue qu'à ce que projette Hegel. Shakespeare, Melville, Balzac et Dostoï evski ont fait du feuilleton. Ce qui est vraiment arrivé, c'est ce qu'avaient raconté à l'avance les romans‑ feuilletons.

– C'est qu'il est plus facile d'imiter le feuilleton que l'art. Devenir la Joconde est un travail, devenir Milady suit notre penchant naturel à la facilité. »

Diotallevi, qui jusqu'alors é tait resté silencieux, avait observé . « Voyez notre Agliè. Il trouve plus facile d'imiter Saint‑ Germain que Voltaire.

– Oui, avait dit Belbo, au fond les femmes aussi trouvent que Saint‑ Germain est plus inté ressant que Voltaire. »

Par la suite, j'ai retrouvé ce file, où Belbo avait ré sumé nos conclusions en termes romanesques. Je dis en termes romanesques parce que je me rends compte qu'il s'é tait amusé à reconstituer l'é pisode en n'y mettant de son cru que de rares phrases de raccord. Je ne repè re pas toutes les citations, les plagiats et les emprunts, mais j'ai reconnu de nombreux passages de ce collage furibond. Une fois de plus, pour é chapper à l'inquié tude de l'Histoire, Belbo avait é crit et reparcouru la vie par é criture interposé e.

 

 



  

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