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Mais à ce point‑ là nous devions tenir compte d'un autre fait, dont le pauvre Agliè n'arrivait pas à se dé pê trer. Pourquoi de Maistre, un homme des jé suites, et sept bonnes anné es avant que se manifestâ t le marquis de Luchet, s'é tait‑ il rendu à Wilhelmsbad pour semer la zizanie entre les né o‑ templiers?

« Le né o‑ templarisme allait bien dans la premiè re moitié du XVIIIe siè cle, disait Belbo, et il allait trè s mal à la fin du siè cle, d'abord parce que les ré volutionnaires s'en é taient emparé s, pour lesquels entre la Dé esse Raison et l'Etre Suprê me tout é tait bon pourvu qu'on coupâ t la tê te au roi, voyez Cagliostro; et puis parce qu'en Allemagne les princes allemands y avaient mis la patte, et au sommet Fré dé ric de Prusse, dont les fins ne coï ncidaient certes pas avec celles des jé suites. Quand le né o‑ templarisme mystique, quel qu'en soit l'inventeur, produit la Flû te enchanté e, il est normal que les hommes de Loyola dé cident de s'en dé barrasser. C'est comme dans les finances, tu achè tes une socié té, tu la revends, tu la liquides, tu la mets en faillite, tu en augmentes le capital, cela dé pend du plan gé né ral, tu n'as bien sû r pas le souci de savoir où va finir le concierge. Ou comme une voiture usagé e: quand elle ne marche plus, tu l'envoies à la casse. »

 

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On ne trouvera point dans le vrai code maç onnique d'autres dieux que celui de Manè s. C'est celui du Maç on cabaliste, des anciens Rose‑ Croix; c'est celui du Maç on martiniste... D'ailleurs toutes les infamies attribué es aux Templiers sont pré cisé ment celles qu'on attribuoit aux Maniché ens.

Abbé BARRUEL, Mé moires pour servir à l'histoire du jacobinisme, Hambourg, 1798, 2, XIII.

La straté gie des jé suites nous devint claire lorsque nous dé couvrî mes le pè re Barruel. Celui‑ ci, entre 1797 et 1798, en ré action à la Ré volution franç aise, é crit ses Mé moires pour servir à l'histoire du jacobinisme, un vé ritable roman‑ feuilleton qui dé bute, la coï ncidence! avec les Templiers. Lesquels, aprè s le bû cher de Molay, se transforment en socié té secrè te afin de dé truire monarchie et papauté et de cré er une ré publique mondiale. Au XVIIIe siè cle, ils mettent la main sur la franc‑ maç onnerie qui devient leur instrument. En 1763, ils fondent une acadé mie litté raire composé e de Voltaire, Turgot, Condorcet, Diderot et d'Alembert, qui se ré unit chez le baron d'Holbach et, complote que je te complote, en 1776 ils font naî tre les jacobins. Qui d'ailleurs sont des marionnettes aux mains des vrais chefs, les Illuminé s de Baviè re – ré gicides par vocation.

Il s'agit bien de voiture à la casse! Aprè s avoir coupé la maç onnerie en deux avec l'aide de Ramsay, les jé suites la ré unissaient de nouveau pour la battre de front.

 

Le livre de Barruel avait fait un certain effet, à telle enseigne que dans les Archives nationales on dé couvre au moins deux rapports de police demandé s par Napolé on sur les sectes clandestines. Ces rapports, un certain Charles de Berkheim les ré dige, lequel – comme font tous les services secrets, qui vont piocher leurs renseignements ré servé s là où ils ont dé jà é té publié s – ne trouve rien de mieux à faire que de copier bê tement d'abord le livre du marquis de Luchet, et puis celui de Barruel.

Devant ces terrifiantes descriptions des Illuminé s et cette dé nonciation pé né trante d'un directoire de Supé rieurs Inconnus capables de dominer le monde, Napolé on n'a pas d'hé sitation: il dé cide de devenir des leurs. Il fait nommer son frè re Joseph Grand Maî tre du Grand Orient et lui‑ mê me, à en croire de nombreuses sources, il prend des contacts avec la maç onnerie, et, à en croire d'autres, il va jusqu'à devenir un trè s haut dignitaire. Sans qu'on sache clairement de quel rite. Peut‑ ê tre, par prudence, de tous.

Ce que Napolé on savait, nous ne le savions pas mais nous n'oubliions pas qu'il avait passé pas mal de temps en Egypte et qui sait avec quels sages il avait parlé à l'ombre des pyramides (et là, mê me un enfant comprenait que les fameux quarante siè cles qui le contemplaient é taient une claire allusion à la Tradition Hermé tique).

Mais il devait en savoir long, parce qu'en 1806 il avait convoqué une assemblé e de Juifs franç ais. Les raisons officielles é taient banales, tentative de ré duire l'usure, de s'assurer la fidé lité de la minorité israé lite, de trouver de nouveaux bailleurs de fonds... Mais cela n'explique pas pourquoi il avait dé cidé d'appeler cette assemblé e Grand Sanhé drin, é voquant l'idé e d'un directoire de Supé rieurs, plus ou moins Inconnus. En vé rité, le Corse rusé avait repé ré les repré sentants de l'aile hié rosolymitaine, et il cherchait à ré unir les diffé rents groupes dispersé s.

« Ce n'est pas un hasard si, en 1808, les troupes du maré chal Ney sont à Tomar. Vous saisissez le rapport?

– On n'est ici que pour saisir des rapports.

– Maintenant, sur le point de battre l'Angleterre, Napolé on a en main presque tous les centres europé ens, et, à travers les Juifs franç ais, les hié rosolymitains. Qui lui manque‑ t‑ il encore?

– Les pauliciens.

– Pré cisé ment. Et nous n'avons pas encore dé cidé où ils se sont fourré s. Mais Napolé on nous le suggè re, qui va les chercher où ils sont, en Russie. »

 

Bloqué s depuis des siè cles dans l'aire slave, il é tait normal que les pauliciens se fussent ré organisé s sous les diffé rentes é tiquettes des groupes mystiques russes. Un des conseillers influents d'Alexandre Ier é tait le prince Galitzine, lié à certaines sectes d'inspiration martiniste. Et qui trouvions‑ nous en Russie, avec une bonne douzaine d'anné es d'avance sur Napolé on, plé nipotentiaire des Savoie, en train de nouer des liens avec des cé nacles mystiques de Saint‑ Pé tersbourg? De Maistre.

A ce moment‑ là, celui‑ ci se mé fiait de toute organisation d'illuminé s, qui, à ses yeux, ne faisaient qu'un avec les hommes des Lumiè res, responsables du bain de sang de la Ré volution. En effet, c'est à cette pé riode qu'il parlait, ré pé tant presque à la lettre Barruel, d'une secte satanique qui voulait conqué rir le monde, et il pensait probablement à Napolé on. Si donc notre grand ré actionnaire se proposait de sé duire les groupes martinistes c'est parce qu'il avait eu la clairvoyante intuition que ces derniers, tout en s'inspirant des mê mes sources que le né o‑ templarisme franç ais et allemand, é taient cependant l'expression de l'unique groupe non encore corrompu par la pensé e occidentale: les pauliciens.

Pourtant, à ce qu'il paraî t, le plan de De Maistre n'avait pas ré ussi. En 1816, les jé suites sont expulsé s de Saint‑ Pé tersbourg et de Maistre s'en retourne à Turin.

« D'accord, disait Diotallevi, nous avons retrouvé les pauliciens. Faisons sortir de scè ne Napolé on qui n'est é videmment pas parvenu à ses fins, sinon, depuis Sainte‑ Hé lè ne, d'un claquement de doigts il aurait fait trembler ses adversaires. Qu'est‑ ce qui arrive à pré sent au milieu de tous ces gens? Moi j'en perds la tê te.

– La moitié d'entre eux l'avaient dé jà perdue », disait Belbo.

 

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Oh comme vous avez bien dé masqué ces sectes infernales qui pré parent la voie à l'Anté christ... Toutefois, il est une de ces sectes que vous n'avez touché e que lé gè rement.

Lettre du capitaine SIMONINI à BARRUEL, extraite de La civiltà cattolica, 21. 10. 1882

La manœ uvre de Napolé on avec les juifs avait provoqué une modification de parcours chez les jé suites. Les Mé moires de Barruel ne contenaient aucune allusion aux juifs. Mais, en 1806, Barruel reç oit la lettre d'un certain capitaine Simonini, qui lui rappelle que Manè s aussi et le Vieux de la Montagne é taient juifs, que les francs‑ maç ons avaient é té fondé s par les juifs et que les juifs avaient infiltré toutes les socié té s secrè tes existantes.

La lettre de Simonini, qu'on a fait habilement circuler à Paris, avait mis en difficulté Napolé on qui venait juste de contacter le Grand Sanhé drin. Ce contact avait é videmment pré occupé les pauliciens, car en ces anné es‑ là le Saint Synode de l'É glise Orthodoxe Moscovite dé clarait: « Napolé on se propose de ré unir aujourd'hui tous les Juifs que la colè re de Dieu a dispersé s sur la face de la terre, pour leur faire renverser l'É glise du Christ et le proclamer Lui comme le vrai Messie. »

Le bon Barruel accepte l'idé e que le complot n'est pas seulement maç onnique mais judaï co‑ maç onnique. Entre autres, l'idé e de ce complot satanique é tait bien commode pour attaquer un nouvel ennemi, c'est‑ à ‑ dire la Haute Vente de la Charbonnerie, et donc les pè res anticlé ricaux du Risorgimento, de Mazzini à Garibaldi.

« Mais tout ç a a lieu au dé but du XIXe, disait Diotallevi. Alors que la grande offensive antisé mite commence à la fin du siè cle, avec la publication des Protocoles des Sages de Sion. Et les Protocoles paraissent dans les milieux russes. C'est donc une initiative paulicienne.

– Normal, dit Belbo. Il est clair qu'à ce moment‑ là le groupe hié rosolymitain s'est fragmenté en trois. Le premier, à travers les kabbalistes espagnols et provenç aux, est allé inspirer l'aile né otempliè re; le deuxiè me a é té absorbé par l'aile baconienne, et ils sont devenus des scientifiques et des banquiers. C'est contre eux que se dé chaî nent les jé suites. Quant au troisiè me, il s'est é tabli en Russie. Les juifs russes sont en bonne partie de petits commerç ants et des prê teurs, et donc ils sont mal vus par les paysans pauvres; et en bonne partie, puisque la culture hé braï que est une culture du Livre et que tous les Juifs savent lire et é crire, ils vont grossir les rangs de l'intelligentsia libé rale et ré volutionnaire. Les pauliciens sont des mystiques, ré actionnaires, trè s lié s aux feudataires, et ils se sont infiltré s à la cour. É vident qu'entre eux et les hié rosolymitains il ne peut y avoir de fusions. Donc ils ont inté rê t à discré diter les juifs et, à travers les juifs – ils l'ont appris des jé suites –, ils mettent en difficulté leurs adversaires à l'exté rieur, aussi bien les né o‑ templaristes que les baconiens.

 

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Il ne peut y avoir aucun doute. Avec toute la puissance et la terreur de Satan, le rè gne du Roi triomphateur d'Israë l s'approche de notre monde non ré gé né ré; le Roi né du sang de Sion, l'Anté ‑ Christ, s'approche du trô ne de la puissance universelle.

Sergheï NILUS, É pilogue aux Protocoles.

L'idé e é tait acceptable. Il suffisait de considé rer qui avait introduit les Protocoles en Russie.

Un des plus influents martinistes de la fin du siè cle, Papus, avait sé duit Nicolas II pendant une de ses visites à Paris, puis il s'é tait rendu à Moscou et avait emmené avec lui un certain Philippe, autrement dit Philippe Nizier Anselme Vachod. Possé dé par le diable à six ans, gué risseur à treize, magné tiseur à Lyon, il avait fasciné et Nicolas II et son hysté rique d'é pouse. Philippe avait é té invité à la cour, nommé mé decin de l'acadé mie militaire de Saint‑ Pé tersbourg, gé né ral et conseiller d'É tat.

Ses adversaires dé cident alors de lui opposer une figure tout aussi charismatique, qui en minâ t le prestige. Et on trouve Nilus.

Nilus é tait un moine pé ré grin qui, dans ses robes de bure, pé ré grinait (et qu'avait‑ il d'autre à faire? ) à travers les bois, é talant une grande barbe de prophè te, deux é pouses, une fillette et une assistante ou maî tresse comme on voudra, toutes suspendues à ses lè vres. Moitié gourou, de ceux qui finissent par filer avec la caisse, et moitié ermite, de ceux qui crient que la fin est proche. Et en effet, son idé e fixe c'é taient les trames ourdies par l'Anté christ.

Le plan des partisans de Nilus é tait de le faire ordonner pope de faç on que, en é pousant (une femme de plus une femme de moins) Hé lè ne Alexandrovna Ozerova, demoiselle d'honneur de la tsarine, il devî nt le confesseur des souverains.

« Je suis un homme doux, disait Belbo, mais je commence à soupç onner que le massacre de la famille impé riale a peut‑ ê tre é té une opé ration de dé ratisation. »

En somme, à un moment donné les partisans de Philippe avaient accusé Nilus de vie lascive, et Dieu sait s'ils n'avaient pas raison eux aussi. Nilus avait dû quitter la cour, mais là quelqu'un é tait venu à son aide, en lui passant le texte des Protocoles. Comme tout le monde faisait une é norme confusion entre martinistes (qui s'inspiraient de saint Martin) et martinesistes (fidè les de ce Martines de Pasqually qui plaisait si peu à Agliè ), et comme Pasqually, selon la rumeur, é tait juif, en discré ditant les juifs on discré ditait les martinistes et en discré ditant les martinistes on liquidait Philippe.

Effectivement, une premiè re version incomplè te des Protocoles avait dé jà paru en 1903 dans le Znamia, un journal de Saint‑ Pé tersbourg dirigé par l'antisé mite militant Khrouchevan. En 1905, avec la bé né diction de la censure gouvernementale, cette premiè re version, complè te, é tait reprise de faç on anonyme dans un livre, La source de nos maux, probablement é dité par un certain Boutmi, lequel avait participé avec Khrouchevan à la fondation de l'Union du Peuple Russe, connue par la suite sous le nom de Centuries Noires, qui enrô lait des criminels de droit commun pour accomplir des pogroms et des attentats d'extrê me droite. Boutmi aurait continué à publier, cette fois sous son nom, d'autres é ditions de l'ouvrage, avec pour titre les Ennemis de la race humaine – Protocoles provenant des archives secrè tes de la chancellerie centrale de Sion.

Mais il s'agissait de petits livres à bon marché. La version in extenso des Protocoles, celle qu'on traduirait dans le monde entier, sort en 1905, dans la troisiè me é dition du livre de Nilus le Grand dans le Petit: l'Anté christ est une possibilité politique imminente, Tsarskoï e Selo, sous l'é gide d'une section locale de la Croix Rouge. Le cadre é tait celui d'une plus vaste ré flexion mystique, et le livre finit entre les mains du tsar. Le mé tropolite de Moscou en prescrit la lecture dans toutes les é glises moscovites.

« Mais quelle est, avais‑ je demandé, la connexion des Protocoles avec notre Plan? On parle sans arrê t de ces Protocoles ici, et si on les lisait?

– Rien de plus simple, nous avait dit Diotallevi, il y a toujours un é diteur qui les republie – mieux, autrefois ils le faisaient en montrant de l'indignation, par devoir de documentation; puis, peu à peu, ils ont recommencé à le faire, et avec satisfaction.

– Comme ils sont Gentils. »

 

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La seule socié té que nous connaissons et qui serait capable de nous faire concurrence dans ces arts pourrait ê tre celle des jé suites. Mais nous avons pu les discré diter dans l'esprit de la plè be imbé cile parce qu'ils é taient organisé s visiblement, tandis que nous, avec notre organisation secrè te, nous restons dans les coulisses.

Protocole, V.

Les Protocoles sont une sé rie de vingt‑ quatre dé clarations d'un programme attribué aux Sages de Sion. Les desseins de ces Sages nous avaient semblé assez contradictoires, tantô t ils veulent abolir la liberté de la presse, tantô t encourager le libertinisme. Ils critiquent le libé ralisme, mais paraissent é noncer le programme que les gauches radicales attribuent aux multinationales capitalistes, y compris l'usage du sport et de l'é ducation visuelle pour abê tir le peuple. Ils analysent diffé rentes techniques pour s'emparer du pouvoir mondial; ils font l'é loge de la force de l'or. Ils dé cident de favoriser les ré volutions dans tout pays en exploitant le mé contentement et en dé sorientant le peuple par la proclamation d'idé es libé rales; pourtant, ils veulent encourager l'iné galité. Ils calculent comment instaurer partout des ré gimes pré sidentiels contrô lé s par les hommes de paille des Sages. Ils dé cident de faire é clater des guerres, d'augmenter la production des armements et (Salon aussi l'avait dit) de construire des mé tropolitains (souterrains! ) pour avoir la possibilité de miner les grandes villes.

Ils disent que la fin justifie les moyens et se proposent d'encourager l'antisé mitisme tant pour contrô ler les juifs pauvres que pour attendrir le coeur des gentils devant leurs malheurs (coû teux, disait Diotallevi, mais efficace). Ils affirment avec candeur « nous avons une ambition sans limites, une cupidité dé vorante, nous sommes acharné s à une vengeance impitoyable et brû lante de haine » (faisant montre d'un masochisme exquis parce qu'ils reproduisent à plaisir le cliché du juif mauvais qui dé jà circulait dans la presse antisé mite et qui ornera les couvertures de toutes les é ditions de leur livre), et ils dé cident d'abolir l'é tude des classiques et de l'histoire antique.

« En somme, observait Belbo, les Sages de Sion é taient une bande de couillons.

– Ne plaisantons pas, disait Diotallevi. Ce livre a é té pris trè s au sé rieux. Une chose me frappe plutô t. Qu'en voulant apparaî tre comme un plan hé braï que vieux de plusieurs siè cles, toutes ses ré fé rences sont à la mesure de petites polé miques franç aises fin de siè cle. Il semble que l'allusion à l'é ducation visuelle qui sert à abê tir les masses visait le programme é ducatif de Lé on Bourgeois qui fait entrer neuf maç ons dans son gouvernement. Un autre passage conseille de faire é lire des personnes compromises dans le scandale de Panama et tel é tait Emile Loubet qui, en 1899, deviendra pré sident de la Ré publique. L'allusion au mé tro est due au fait qu'en ces temps‑ là les journaux de droite protestaient parce que la Compagnie du Mé tropolitain avait trop d'actionnaires juifs. Raison pour quoi on suppose que le texte a é té colligé en France dans la derniè re dé cennie du XIXe, au temps de l'Affaire Dreyfus, pour affaiblir le front libé ral.

– Ce n'est pas ç a qui m'impressionne, avait dit Belbo. C'est le dé jà vu. La synthè se de l'histoire c'est que ces Sages racontent un plan pour la conquê te du monde, et nous, ces propos, on les a dé jà entendus. Essayez d'ô ter quelques ré fé rences à des faits et problè mes du siè cle passé, remplacez les souterrains du mé tro par les souterrains de Provins, et toutes les fois qu'il y a é crit juifs é crivez Templiers et toutes les fois qu'il y a é crit Sages de Sion é crivez Trente‑ Six Invisibles divisé s en six bandes... Mes amis, nous tenons là l'Ordonation de Provins! »

 

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Voltaire lui‑ mê me est mort jé suite: en avoit‑ il le moindre soupç on?

F. N. de BONNEVILLE, Les Jé suites chassé s de la Maç onnerie et leur poignard brisé par les Maç ons, Orient de Londres, 1788, 2, p. 74.

Nous avions tout sous les yeux depuis longtemps, et nous ne nous en é tions jamais rendu pleinement compte. Durant six siè cles, six groupes se battent pour ré aliser le Plan de Provins, et chaque groupe prend le texte idé al de ce Plan, y change simplement le sujet, et l'attribue à l'adversaire.

Aprè s que les Rose‑ Croix se sont manifesté s en France, les jé suites retournent le plan contre eux: en discré ditant les Rose‑ Croix, ils discré ditent les baconiens et la naissante maç onnerie anglaise.

Quand les jé suites inventent le né o‑ templarisme, le marquis de Luchet attribue le plan aux né o‑ templiers. Les jé suites, qui dé sormais larguent aussi les né o‑ templiers, copient Luchet à travers Barruel, mais eux attribuent le plan à tous les francs‑ maç ons en gé né ral.

Contre‑ offensive baconienne. En nous mettant à é plucher tous les textes de la polé mique libé rale et laï cisante, nous avions dé couvert que de Michelet et Quinet jusqu'à Garibaldi et à Gioberti, on attribuait l'Ordonation aux jé suites (et peut‑ ê tre l'idé e venait‑ elle du templier Pascal et de ses amis). Le thè me devient populaire avec Le Juif errant d'Eugè ne Sue et avec son personnage du mé chant monsieur Rodin, quintessence du complot jé suitique dans le monde. Mais en cherchant chez Sue, nous avions trouvé bien davantage: un texte qui semblait calqué – mais en avance d'un demi‑ siè cle – sur les Protocoles, mot pour mot. Il s'agissait du dernier chapitre des Mystè res du Peuple. Ici, le diabolique plan jé suite é tait expliqué jusqu'au moindre dé tail dans un document envoyé par le gé né ral de la Compagnie, le pè re Roothaan (personnage historique), à monsieur Rodin (ex‑ personnage du Juif errant). Rodolphe de Gerolstein (ex‑ hé ros des Mystè res de Paris) venait en possession du document et le ré vé lait aux dé mocrates: « Vous voyez, mon cher Lebrenn, comme cette trame infernale est bien ourdie, quelles é pouvantables douleurs, quelle horrible domination, quel despotisme terrible elle ré serve à l'Europe et au monde, si par mé saventure elle ré ussit... »

On aurait dit la pré face de Nilus aux Protocoles. Et Sue attribuait aux jé suites le mot (qu'ensuite nous retrouverons dans les Protocoles, et attribué aux juifs): « la fin justifie les moyens ».

 

– 95 –

Personne ne demandera que nous multipliions encore les preuves pour é tablir que ce grade de Rose‑ Croix fut habilement introduit par les chefs secrets de la franc‑ maç onnerie... L'identité de sa doctrine, de sa haine et de ses pratiques sacrilè ges avec celles de la Kabbale, des Gnostiques et des Maniché ens, nous indique l'identité des auteurs, c'est‑ à ‑ dire des Juifs kabbalistiques.

Mgr Lé on MEURIN, S. J., La Franc‑ Maç onnerie, synagogue de Satan, Paris, Retaux, 1893, p. 182.

Quand paraissent Les Mystè res du Peuple, les jé suites voient que l'Ordonation leur est imputé e: ils se jettent alors sur l'unique tactique offensive qui n'avait encore é té exploité e par personne et, ré cupé rant la lettre de Simonini, ils imputent l'Ordonation aux juifs.

En 1869, Gougenot de Mousseaux, cé lè bre pour deux livres sur la magie au XIXe siè cle, publie Les Juifs, le judaï sme et la judaï sation des peuples chré tiens, où l'on dit que les juifs utilisent la Kabbale et sont des adorateurs de Satan, vu qu'une filiation secrè te lie directement Caï n aux gnostiques, aux Templiers et aux maç ons. De Mousseaux reç oit une bé né diction spé ciale de Pie IX.

Mais le Plan romancé par Sue est recyclé par d'autres aussi, qui ne sont pas des jé suites. Une belle histoire, presque un polar, é tait arrivé e longtemps aprè s. Aprè s l'apparition des Protocoles, qu'il avait pris avec le plus grand sé rieux, le Times, en 1921, avait dé couvert qu'un proprié taire terrien russe, monarchiste ré fugié en Turquie, avait acheté à un ex‑ officier de la police secrè te russe ré fugié à Constantinople, un lot de vieux livres parmi lesquels s'en trouvait un sans couverture, où on ne lisait que « Joli » sur la tranche, avec une pré face daté e de 1864 et qui paraissait ê tre la source litté rale des Protocoles. Le Times avait fait des recherches au British Museum et avait dé couvert le livre original de Maurice Joly, Dialogue aux enfers entre Montesquieu et Machiavel, Bruxelles (mais avec l'indication Genè ve, 1864). Maurice Joly n'avait rien à voir avec Cré tineau‑ Joly, mais il fallait quand mê me relever l'analogie, elle devait bien signifier quelque chose.

Le livre de Joly é tait un pamphlet libé ral contre Napolé on III, où Machiavel, qui repré sentait le cynisme du dictateur, discutait avec Montesquieu. Joly avait é té arrê té pour cette initiative ré volutionnaire, il avait fait quinze mois de prison et, en 1878, il s'é tait tué. Le programme des juifs des Protocoles é tait repris presque à la lettre de celui que Joly attribuait à Machiavel (la fin justifie les moyens), et à travers Machiavel à Napolé on. Le Times ne s'é tait cependant pas aperç u (mais nous si) que Joly avait copié impuné ment dans le document de Sue, anté rieur d'au moins sept ans.

Une femme é crivain antisé mite, passionné e de la thé orie du complot et des Supé rieurs Inconnus, certaine Nesta Webster, devant ce fait qui ré duisait les Protocoles à une copie banale et toute bê te, nous avait fourni une trè s lumineuse intuition, comme seul le vrai initié, ou le chasseur d'initié s, sait en avoir. Joly é tait un initié, il connaissait le plan des Supé rieurs Inconnus; comme il haï ssait Napolé on III, il l'avait attribué à lui, mais cela ne signifiait pas que le plan n'existait pas indé pendamment de Napolé on. Or, le plan raconté par les Protocoles se conforme exactement à celui que les juifs font d'habitude, donc c'é tait le plan des juifs. Quant à nous, il ne nous restait plus qu'à corriger madame Webster selon la mê me logique: puisque le plan se conformait parfaitement à celui qu'auraient dû penser les Templiers, c'é tait le plan des Templiers.



  

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