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Je collaborais. « Comment s'appelle le protagoniste des Indes Noires? John Garral, presque une anagramme de Graal.

– Ne soyons pas extravagants, restons les pieds sur terre. Verne lance des signaux bien plus explicites. Robur le Conqué rant, R. C., Rose‑ Croix. Et Robur lu à l'envers donne Rubor, le rouge de la rose. »

 

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Philé as Fogg. Un nom qui est une vé ritable signature: Eas, en grec, a le sens de globalité (il est donc l'é quivalent de pan ou poly) et Phileas est donc identique à Poliphile. Quant à Fogg, c'est le brouillard, en anglais... Nul doute, Jules Verne appartenait bien à la Socié té « Le Brouillard ». Il eut mê me la gentillesse de nous pré ciser les liens de celle‑ ci avec la Rose + Croix, car enfin, qu'est‑ ce que ce noble voyageur nommé Philé as Fogg, sinon un Rose + Croix?... Et puis, n'appartient‑ il pas au Reform‑ Club dont les initiales R. C. dé signent la Rose + Croix ré formatrice? Ce Reform‑ Club est é levé dans « Pall‑ Mall », é voquant une fois de plus le Songe de Poliphile.

Michel LAMY, Jules Verne, initié et initiateur, Paris, Payot, 1984, pp. 237‑ 238.

La reconstitution nous prit des jours et des jours; nous interrompions nos travaux pour nous confier la derniè re connexion; nous lisions tout ce qui nous tombait sous la main, encyclopé dies, journaux, bandes dessiné es, catalogues de maisons d'é dition, en diagonale, à la recherche de courts‑ circuits possibles; nous nous arrê tions pour fouiller les é ventaires des bouquinistes; nous flairions les kiosques; nous puisions à pleines mains dans les manuscrits de nos diaboliques; nous nous pré cipitions au bureau, triomphants, en jetant sur la table la derniè re trouvaille. Tandis que j'é voque ces semaines, tous les é pisodes m'en apparaissent fulgurants, fré né tiques, comme dans un film de Larry Semon, en saccades et sautillements, avec portes qui s'ouvrent et se ferment à vitesse supersonique, tartes à la crè me qui volent, cavalcades dans les escaliers, en avant en arriè re, vieilles automobiles qui se tamponnent, é croulements d'é tagè res dans une é picerie, au milieu de rafales de boî tes de conserve, bouteilles, fromages mous, giclé es d'eau de Seltz, explosion de sacs de farine. Et pourtant, à bien me rappeler les interstices, les temps morts – le reste de la vie qui se dé roulait autour de nous –, je peux tout relire comme une histoire au ralenti, avec le Plan qui se formait à un pas de gymnastique artistique, tels la rotation lente du discobole, les prudentes oscillations du lanceur de poids, les temps longs du golf, les attentes insensé es du base‑ bail. Quoi qu'il en fû t, et quel que fû t le rythme, le sort nous ré compensait, parce qu'à vouloir trouver des connexions on en trouve toujours, partout et entre tout, le monde é clate en un ré seau, en un tourbillon d'affinité s et tout renvoie à tout, tout explique tout...

Je n'en disais rien à Lia, pour ne pas l'irriter, mais j'en né gligeais mê me Giulio. Je me ré veillais la nuit, et je m'apercevais que Renatus Cartesius faisait R. C., et que c'est avec trop d'é nergie que Descartes avait cherché les Rose‑ Croix et avait ensuite nié les avoir trouvé s. Pourquoi une telle obsession de la Mé thode? La mé thode servait pour chercher la solution du mystè re qui dé sormais fascinait tous les initié s d'Europe... Et qui avait cé lé bré la magie du gothique? René de Chateaubriand. Et qui avait é crit, au temps de Bacon, Steps to the Temple? Richard Crashaw. Et alors, Ranieri de' Calzabigi, René Char, Raymond Chandler? Et Rick de Casablanca?

 

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Cette science, qui n'est pas perdue, du moins pour sa partie maté rielle, a é té enseigné e aux constructeurs religieux par les moines de Cî teaux... On les connaissait, au siè cle dernier, sous le nom de « Compagnons du Tour de France ». C'est à eux qu'Eiffel fit appel pour construire sa tour.

L. CHARPENTIER, Les mystè res de la cathé drale de Chartres, Paris, Laffont, pp. 55‑ 56.

A pré sent, la modernité entiè re nous apparaissait parcourue de taupes laborieuses qui perç aient le sous‑ sol, é piant la planè te par en dessous. Mais il devait y avoir quelque chose d'autre, une autre entreprise que les baconiens avaient mise en route, et dont les ré sultats, dont les é tapes é taient sous les yeux de tout le monde, et personne ne s'en é tait rendu compte... Car, en forant le sol, on sondait les couches profondes, mais les Celtes et les Templiers ne s'é taient pas limité s à creuser des puits, ils avaient planté leurs fiches droit vers le ciel, pour communiquer de mé galithe à mé galithe, et recueillir les influx des é toiles...

L'idé e se pré senta à Belbo par une nuit d'insomnie. Il s'é tait mis à sa fenê tre et avait vu au loin, au‑ dessus des toits de Milan, les lumiè res de la tour mé tallique de la RAI, la grande antenne de la ville. Une sobre et prudente tour de Babel. Et là, il avait compris.

« La Tour Eiffel, nous avait‑ il dit le matin suivant. Comment n'y avoir pas encore pensé ? Le mé galithe de mé tal, le menhir des derniers Celtes, la flè che creuse plus haute que toutes les flè ches gothiques. Pourquoi donc Paris aurait eu besoin de ce monument inutile? C'est la sonde cé leste, l'antenne qui recueille des informations de toutes les fiches hermé tiques enfoncé es dans la croû te du globe, des statues de l'Ile de Pâ ques, du Machupicchu, de la Liberté de Bedloe's Island, pré vue par l'initié La Fayette, de l'obé lisque de Louxor, de la tour la plus haute de Tomar, du Colosse de Rhodes qui continue à é mettre des profondeurs du port où plus personne ne le trouve, des temples de la jungle brahmanique, des tourelles de la Grande Muraille, du faî te d'Ayers Rock, de la flè che de Strasbourg où se pâ mait l'initié Goethe, des visages de Mount Rushmore (que de choses avait comprises l'initié Hitchcock), de l'antenne de l'Empire State, dites donc vous à quel empire faisait allusion cette cré ation d'initié s amé ricains si ce n'est à l'empire de Rodolphe de Prague! La Tour capte des informations du sous‑ sol et les confronte avec celles qui proviennent du ciel. Et qui est‑ ce qui nous donne la premiè re terrifiante image ciné matographique de la Tour? René Clair dans Paris qui dort. René Clair, R. C. »

Il fallait relire l'histoire entiè re de la science: la compé tition spatiale elle‑ mê me devenait compré hensible, avec ces satellites fous qui ne font rien d'autre que photographier l'é corce terrestre pour y repé rer des tensions invisibles, des flux sous‑ marins, des courants d'air chaud. Et pour se parler entre eux parler à la Tour, parler à Stonehenge...

 

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C'est une curieuse coï ncidence que l'é dition in‑ folio de 1623, publié e sous le nom de Shakespeare, compte exactement trente‑ six ouvrages.

W. F. C. WIGSTON, Francis Bacon versus Phantom Captain Shakespeare: The Rosicrucian Mask, London, Kegan Paul, 1891, p. 353.

Lorsque nous é changions les ré sultats de nos imaginations, il nous semblait, et justement, procé der par associations indues, courts‑ circuits extraordinaires, auxquels nous aurions eu honte de prê ter foi – si on nous l'avait imputé. C'est que nous confortait la conviction – dé sormais tacite, ainsi que l'impose l'é tiquette de l'ironie – que nous etions en train de parodier la logique des autres. Mais dans les longues pauses où chacun accumulait des preuves pour nos commissions tripartites, et avec la conscience tranquille de rassembler des morceaux pour une parodie de mosaï que, notre cerveau s'habituait à relier, relier, relier chaque chose à n'importe quelle autre, et, pour le faire automatiquement, il devait prendre des habitudes. Je crois qu'il n'y a plus de diffé rence, à un moment donné, entre s'habituer à faire semblant de croire et s'habituer à croire.

C'est l'histoire des espions: ils s'infiltrent dans les services secrets de l'adversaire, ils s'habituent à penser comme lui, s'ils survivent c'est parce qu'ils y ré ussissent, normal que peu aprè s ils passent de l'autre cô té, qui est devenu le leur. Ou l'histoire de ceux qui vivent seuls avec un chien: ils lui parlent toute la journé e, au dé but ils s'efforcent de comprendre sa logique, puis ils pré tendent que lui comprenne la leur, et d'abord ils dé couvrent qu'il est timide, puis jaloux, puis susceptible, enfin ils passent leur temps à lui faire des mé chanceté s et des scè nes de jalousie, lorsqu'ils sont sû rs que lui est devenu comme eux, qu'eux sont devenus comme lui; et quand ils sont fiers de l'avoir humanisé, en fait ce sont eux qui se sont caninisé s.

C'est peut‑ ê tre parce que je me trouvais en contact quotidien avec Lia, et avec l'enfant, que j'é tais, des trois, le moins affecté par le jeu. Que j'avais la conviction de mener: je me sentais encore comme un joueur d'agogõ durant le rite: on est du cô té de qui produit et non pas de qui endure les é motions. Pour Diotallevi, je ne savais pas alors, maintenant je sais: il habituait son corps à penser en diabolique. Quant à Belbo, il s'identifiait, mê me au niveau de sa conscience. Moi je m'habituais, Diotallevi se corrompait, Belbo se convertissait. Mais tous trois perdions lentement cette lumiè re intellectuelle qui nous fait toujours distinguer le semblable de l'identique, la mé taphore des choses en soi, cette qualité mysté rieuse et fulgurante et merveilleuse grâ ce à laquelle nous sommes toujours à mê me de dire qu'un tel s'est abê ti, sans toutefois penser un instant que des poils et des crocs lui ont poussé, quand le malade au contraire pense « abê ti » et voit aussitô t quelqu'un qui aboie ou fouge ou rampe ou vole.

Pour Diotallevi, nous aurions pu nous en rendre compte, si nous n'avions pas é té aussi excité s. Je dirais que tout avait commencé à la fin de l'é té. Il é tait ré apparu plus maigre, mais ce n'é tait pas la sveltesse nerveuse de celui qui aurait passé quelques semaines à marcher dans les montagnes. Son teint dé licat d'albinos montrait à pré sent des nuances jaunâ tres. Si nous le remarquâ mes, nous pensâ mes qu'il avait passé ses vacances penché sur ses rouleaux rabbiniques. Mais en vé rité nous songions à autre chose.

En effet, au cours des jours qui suivirent, nous fû mes mê me en mesure de ré gler petit à petit le problè me des ailes é trangè res au courant baconien.

 

Par exemple, la maç onnologie commune voit les Illuminé s de Baviè re, qui poursuivaient la destruction des nations et la dé stabilisation de l'É tat, non seulement comme les inspirateurs de l'anarchisme de Bakounine mais aussi du marxisme mê me. Pué ril. Les Illuminé s é taient des provocateurs que les baconiens avaient infiltré s au milieu des Teutoniques, mais c'est à tout autre chose que pensaient Marx et Engels quand ils commenç aient le Manifeste de 48 par cette phrase é loquente: « Un spectre hante l'Europe. » Pourquoi donc cette mé taphore aussi gothique? Le Manifeste communiste fait sarcastiquement allusion à la fantomatique chasse au Plan qui agite l'histoire du continent depuis quelques siè cles dé jà. Et il propose une alternative aussi bien aux baconiens qu'aux né o‑ templiers. Marx é tait un juif, peut‑ ê tre é tait‑ il initialement le porte‑ parole des rabbins de Gé rone ou de Safed, et cherchait‑ il à inté grer dans la recherche le peuple entier de Dieu. Puis son initiative l'entraî ne: il identifie la Shekhina, le peuple en exil dans le Royaume, au prolé tariat; il trahit les attentes de ses inspirateurs, renverse les lignes d'orientation du messianisme judaï que. Templiers du monde entier, unissez‑ vous. La mappemonde aux ouvriers. Superbe! Quelle meilleure justification historique pour le communisme?

« Oui, disait Belbo, mais les baconiens aussi ont leurs accidents de parcours, vous ne croyez pas? Certains des leurs prennent la tangente avec un rê ve scientiste et finissent dans un cul‑ de‑ sac. Je veux parler, à la fin de la dynastie, des Einstein, des Fermi, qui, en cherchant le secret au cœ ur du microcosme, font une invention erroné e. Au lieu de l'é nergie tellurique, propre, naturelle, sapientiale, ils dé couvrent l'é nergie atomique, technologique, sale, pollué e...

– Espace‑ temps, l'erreur de l'Occident, disait Diotallevi.

– C'est la perte du Centre. Le vaccin et la pé nicilline comme caricature de l'Elixir de longue vie, interrompais‑ je.

– De mê me l'autre Templier, Freud, disait Belbo, qui, au lieu de creuser dans les labyrinthes du sous‑ sol physique, creusait dans ceux du sous‑ sol psychique, comme si au sujet de ce dernier les alchimistes n'avaient pas dé jà tout et mieux dit.

– Mais c'est toi, insinuait Diotallevi, qui cherches à publier les livres du docteur Wagner. Pour moi, la psychanalyse c'est un machin pour né vrosé s.

– Oui, et le pé nis n'est qu'un symbole phallique, concluais‑ je. Allons, messieurs, ne divaguons pas. Et ne perdons pas de temps. Nous ne savons pas encore où situer les pauliciens et les hié rosolymitains. »

 

 

Mais avant d'avoir pu ré soudre le nouveau problè me, nous é tions tombé s sur un autre groupe, qui ne faisait pas partie des Trente‑ Six Invisibles: il s'é tait introduit trè s tô t dans le jeu et en avait bouleversé en partie les projets, agissant comme é lé ment de confusion. Les jé suites.

 

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––

Le Baron von Hund, le Chevalier Ramsay... et beaucoup d'autres qui fondè rent les grades dans ces rites, travaillè rent sous les directives du Gé né ral des Jé suites... Le Templarisme est Jé suitisme.

Lettre de Charles Sotheran à Mme Blavatsky,

32. '. A. et P. R. 94. '. Memphis,

K. R.

, K. Kadosch, M. M. 104, Eng. etc.,

Initié de la Fraternité Anglaise des Rose‑ Croix

et d'autres socié té s secrè tes, 11. 1. 1877;

extrait de Isis Unveiled, 1877, vol. II, p. 390.

Nous les avions rencontré s trop souvent, dè s l'é poque des premiers manifestes rose‑ croix. Dè s 1620 paraî t en Allemagne une Rosa Jesuitica, où l'on rappelle que le symbolisme de la rose est catholique et marial, avant que d'ê tre rose‑ croix, et l'on insinue que les deux ordres seraient solidaires, et les Rose‑ Croix seulement une des reformulations de la mystique jé suitique à l'usage des populations de l'Allemagne ré formé e.

Je me rappelais les mots de Salon sur la haine avec laquelle le pè re Kircher avait mis au pilori les Rose‑ Croix et justement quand il parlait des profondeurs du globe terraqué.

« Le pè re Kircher, disais‑ je, est un personnage central dans cette histoire. Pourquoi cet homme, qui si souvent a té moigné de son sens de l'observation et de son goû t de l'expé rimentation, a‑ t‑ il ensuite noyé ces quelques bonnes idé es dans des milliers de pages qui dé bordent d'hypothè ses incroyables? Il é tait en correspondance avec les meilleurs hommes de science anglais, et puis chacun de ses livres reprend les thè mes rose‑ croix typiques, apparemment pour les contester, en fait pour les faire siens, pour en offrir sa version contre‑ ré formiste. Dans la premiè re é dition de la Fama, ce monsieur Haselmayer, condamné aux galè res par les jé suites à cause de ses idé es ré formatrices, s'é puise à dire que les vrais et bons jé suites ce sont eux, les Rose‑ Croix. Bien, Kircher é crit ses trente et quelques volumes pour suggé rer que les vrais et bons Rose‑ Croix ce sont eux, les jé suites. Les jé suites sont en train d'essayer de mettre la main sur le Plan. Les pendules, il veut les é tudier lui, le pè re Kircher, et il le fait, mê me si c'est à sa faç on, en inventant une horloge plané taire afin de savoir l'heure exacte dans tous les siè ges de la Compagnie dispersé s de par le monde.

– Mais comment faisaient‑ ils, les jé suites, pour savoir qu'il y avait le Plan, quand les Templiers s'é taient fait tuer pour ne pas avouer? » demandait Diotallevi. Ce n'é tait pas du jeu de ré pondre que les jé suites en savent toujours un poil de plus que le diable. Nous voulions une explication plus sé duisante.

 

Nous la dé couvrî mes bien vite. Guillaume Postel, de nouveau. En feuilletant l'histoire des jé suites de Cré tineau‑ Joly (et que de gorges chaudes n'avions‑ nous pas faites sur ce malheureux nom), nous dé couvrî mes que Postel, pris par ses fureurs mystiques, par sa soif de ré gé né ration spirituelle, avait rejoint, en 1544, saint Ignace de Loyola à Rome. Ignace l'avait accueilli avec enthousiasme, mais Postel n'avait pas ré ussi à renoncer à ses idé es fixes, à ses kabbalismes, à son œ cumé nisme, et cela ne pouvait enchanter les jé suites, et moins que tout l'idé e la plus fixe de toutes, sur laquelle Postel ne voulait nullement transiger, que le Roi du Monde devait ê tre le roi de France. Ignace é tait saint, mais il é tait espagnol.

Ainsi, à un moment donné, on é tait arrivé à la rupture: Postel avait quitté les jé suites – ou les jé suites l'avaient mis à la porte. Mais si Postel avait é té jé suite, ne fû t‑ ce que pour une courte pé riode, il devait bien avoir fait confidence à saint Ignace – à qui il avait juré obé dience perinde ac cadaver – de sa mission. Cher Ignace, avait‑ il dû lui dire, sache qu'en me prenant moi tu prends aussi le secret du Plan templier dont indignement je suis le repré sentant franç ais, et mê me, soyons tous là ensemble à attendre la troisiè me rencontre sé culiè re de 1584, et autant vaut l'attendre ad majorem Dei gloriam.

Or donc les jé suites, à travers Postel, et en vertu d'un de ses moments de faiblesse, viennent à apprendre le secret des Templiers. Un secret pareil, ç a s'exploite. Saint Ignace passe à l'é ternelle bé atitude, mais ses successeurs veillent, et continuent à tenir Postel à l'œ il. Ils veulent savoir qui il rencontrera en cette fatidique anné e 1584. Hé las, Postel meurt avant, et il ne sert de rien qu'un jé suite inconnu – comme le soutenait une de nos sources – fû t à son chevet à l'heure de sa mort. Les jé suites ne savent pas qui est son successeur.

 

« Pardon, Casaubon, avait dit Belbo, il y a quelque chose qui cloche à mon avis. S'il en va bien ainsi, les jé suites n'ont pas pu savoir qu'en 1584 la rencontre a raté.

– Il ne faut cependant pas oublier, avait observé Diotallevi, que, d'aprè s ce que me disent les gentils, ces jé suites é taient des hommes de fer qui ne se laissaient pas facilement rouler dans la farine.

– Ah, si c'est pour ç a, avait dit Belbo, un jé suite se boulotte deux Templiers au dé jeuner et deux au dî ner. Eux aussi ont é té dissous, et plus d'une fois, et tous les gouvernements d'Europe s'y sont mis: ils sont pourtant encore là. »

Il fallait se mettre dans la peau d'un jé suite. Que fait un jé suite si Postel lui glisse entre les doigts? Moi j'avais eu tout de suite une idé e, mais elle é tait si diabolique que mê me nos diaboliques, pensais‑ je, ne l'auraient pas avalé e: les Rose‑ Croix é taient une invention des jé suites!

« Postel mort, proposais‑ je, les jé suites – pleins d'astuce à leur habitude – ont pré vu mathé matiquement la confusion des calendriers et ils ont dé cidé de prendre l'initiative. Ils mettent sur pied la mystification rose‑ croix, en calculant exactement ce qui se passerait. Au milieu d'une quantité d'exalté s qui mordent à l'hameç on, quelqu'un des noyaux authentiques, pris par surprise, se pré sente. En ce cas, on peut s'imaginer l'ire de Bacon: Fludd, imbé cile, tu ne pouvais pas la fermer? Mais monsieur le vicomte, My Lord, ils avaient tout l'air d'ê tre des nô tres... Cré tin, on ne t'avait pas appris à te mé fier des papistes? C'est toi qu'on aurait dû cramer, pas ce malheureux de Nola!

– Mais alors, disait Belbo, pourquoi, lorsque les Rose‑ Croix se transfè rent en France, les jé suites, ou ces polé mistes cathos qui travaillent pour eux, les attaquent‑ ils comme des hé ré tiques et des possé dé s du dé mon?

– Tu ne voudrais pas pré tendre que les jé suites travaillent dans la liné arité, quelle sorte de jé suites ce serait? »

Nous avions disputé longuement sur ma proposition, pour enfin dé cider, d'un commun accord, qu'il valait mieux retenir l'hypothè se originelle: les Rose‑ Croix é taient l'appâ t lancé aux Franç ais par les baconiens et par les Allemands. Mais les jé suites, sitô t les manifestes parus, avaient vu clair dans leur jeu. Et ils s'y é taient immé diatement jeté s, dans le jeu, pour brouiller les cartes. D'é vidence, le dessein des jé suites avait é té d'empê cher la ré union des groupes anglais et allemand avec le groupe franç ais, et tout coup, pour bas qu'il fû t, é tait bon.

En attendant, ils enregistraient des nouvelles, accumulaient des renseignements et les mettaient... où ? Dans Aboulafia, avait plaisanté Belbo. Mais Diotallevi, qui, entre‑ temps, s'é tait documenté pour son propre compte, avait dit qu'il ne s'agissait pas d'une blague. Les jé suites é taient certainement en train de construire l'immense, surpuissant calculateur é lectronique qui devrait tirer une conclusion du brassage patient et centenaire de tous les lambeaux de vé rité et de mensonge qu'ils recueillaient.

« Les jé suites, disait Diotallevi, avaient compris ce dont ni les pauvres vieux Templiers de Provins ni l'aile baconienne n'avaient eu encore l'intuition, c'est‑ à ‑ dire qu'on pouvait arriver à la reconstitution de la carte par une voie combinatoire, en somme par des procé dé s qui anticipent ceux des tout modernes cerveaux é lectroniques! Les jé suites sont les premiers à inventer Aboulafia! Le pè re Kircher relit tous les traité s sur l'art combinatoire, depuis Lulle. Et voyez ce qu'il publie dans son Ars Magna Sciendi...

– On dirait un canevas pour dentelle au crochet, disait Belbo.

– Que non, monsieur: ce sont toutes les combinaisons possibles entre n é lé ments. Le calcul factoriel, celui du Sefer Jesirah. Le calcul des combinaisons et des permutations, l'essence mê me de la Temurah! »

Il en allait certainement ainsi. Une chose é tait de concevoir le vague projet de Fludd, pour repé rer la carte en partant d'une projection polaire, une autre, de savoir combien d'essais il fallait, et savoir tous les tenter, pour arriver à la solution optimale. Et surtout, une chose é tait de cré er le modè le abstrait des combinaisons possibles et une autre, de concevoir une machine en mesure de les mettre en action. Alors, aussi bien Kircher que son disciple Schott projettent de petits orgues mé caniques, des mé canismes à fiches perforé es, des computers ante litteram. Fondé s sur le calcul binaire. Kabbale appliqué e à la mé canique moderne.

IBM: Iesus Babbage Mundi, Iesum Binarium Magnificamur. AMDG: Ad Maiorem Dei Gloriam? Allons donc: Ars Magna, Digitale Gaudium! IHS: Iesus Hardware & Software!

 

 

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Il s'est formé, au sein des plus é paisses té nè bres, une socié té d'ê tres nouveaux qui se connoissent sans s'ê tre vus, qui s'entendent sans s'ê tre expliqué s, qui se servent sans amitié... Cette socié té adopte, du ré gime jé suitique, l'obé issance aveugle; de la franche‑ maç onnerie, les é preuves et les cé ré monies exté rieures; des Templiers, les é vocations de souterraines et l'incroyable audace... Le Comte de Saint‑ Germain a‑ t‑ il fait autre chose que d'imiter Guillaume Postel, dont la manie é tait de se faire plus vieux qu'il n'é toit?

Marquis de LUCHET, Essai sur la secte des illuminé s, Paris, 1789, V et XII.

Les jé suites avaient compris que, si on veut dé stabiliser l'adversaire, la meilleure technique c'est de cré er des sectes secrè tes, d'attendre que les enthousiastes dangereux s'y pré cipitent, et puis d'arrê ter tout ce beau monde. Autrement dit, si vous craignez un complot, organisez‑ le; ainsi, tous ceux qui pourraient y adhé rer tombent sous votre contrô le.

Je me rappelais une ré serve qu'Agliè avait exprimé e sur Ramsay, le premier à é tablir une connexion directe entre maç onnerie et Templiers, en insinuant qu'il avait des liens avec des milieux catholiques. En effet, Voltaire dé jà avait dé noncé Ramsay comme un homme des jé suites. Face à la naissance de la maç onnerie anglaise, les jé suites ripostent de France par le né o‑ templarisme é cossais.

Ainsi on comprenait pourquoi, en ré ponse à ce complot, l'anné e 1789 un certain marquis de Luchet publiait, anonyme, son cé lè bre Essai sur la secte des illuminé s, où il s'en prenait aux illuminé s de toutes les races, qu'ils fussent de Baviè re ou d'ailleurs, anarchistes bouffe‑ curé s ou mystiques né o‑ templiers, et fourrait dans le mê me sac (incroyable comme tous les morceaux de notre mosaï que se mettaient en place, petit à petit et merveilleusement! ) jusqu'aux pauliciens, pour ne rien dire de Postel et de Saint‑ Germain. Et il se lamentait de ce que ces formes de mysticisme templier eussent ô té de sa cré dibilité à la maç onnerie, laquelle au contraire é tait vraiment une socié té de braves et honnê tes gens.

Les baconiens avaient inventé la maç onnerie comme le Rick's Café de Casablanca, le né o‑ templarisme jé suite rendait vaine leur invention, et Luchet é tait envoyé comme killer pour flinguer tous les groupes qui n'é taient pas baconiens.



  

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