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FILENAME : ABOU 37 страница



– Le pauvret la pauvrette. Et il elle n'aura pas encore connu monsieur Garamond. Viens, exerç ons‑ nous à comptine‑ compter. »

Nous comptions dans le noir en nous tenant par la main. Je laissais errer mon imagination. La Chose é tait une vraie chose qui, en naissant, donnerait un sens à toutes les fables des diaboliques. Pauvres diaboliques, qui perdaient leurs nuits à simuler les noces chimiques, se demandant s'il en serait vraiment sorti de l'or à dix‑ huit carats et si la pierre philosophale é tait le lapis exillis, un misé rable Graal de terre cuite: et mon Graal é tait là, dans le ventre de Lia.

« Oui, disait Lia en faisant passer sa main sur son vase pansu et tendu, c'est ici que macè re ta bonne matiè re premiè re. Ces gens que tu as vus au châ teau, que pensaient‑ ils qu'il se passâ t dans le vase?

– Oh, qu'y gargouillaient la mé lancolie, la terre sulfureuse, le plomb noir, l'huile de Saturne; qu'il y avait un Styx de mollifications, assations, humations, liqué factions, pé trissage, impré gnations, submersions, terre fé tide, sé pulcre puant...

– Mais qu'est‑ ce qu'ils é taient, des impuissants? Ils ne savaient pas que dans le vase mû rit notre Chose, une chose toute blanche belle et rose?

– Si, ils le savaient, mais, pour eux, mê me ta jolie panse est une mé taphore, pleine de secrets...

– Il n'y a pas de secrets, Poum. Nous savons bien comment se forme la Chose avec ses menus nerfs, ses menus muscles, ses menus yeux, ses menues rates, ses menus pancré as...

– Ô Dieu du ciel, combien de rates? C'est quoi, Rosemary's Baby?

– C'est pour dire. Mais nous devons ê tre prê ts à la prendre mê me avec deux tê tes.

– Et comment! Je lui apprendrais à faire des duos pour trompette et clarinette... Non, car elle devrait avoir quatre mains et ce serait trop; bien que pense un peu quel soliste de piano il en sortirait, autre chose qu'un concerto pour la main gauche. Brr... Et puis, mê me mes diaboliques le savent que ce jour‑ là, à la clinique, il y aura aussi l'œ uvre au blanc, il naî tra le Rebis, l'androgyne...

– Voilà, il ne nous manque plus que lui. É coute, plutô t. Nous l'appellerons Giulio, ou Giulia, comme mon grand‑ pè re, ç a te va?

– Pas mal, ç a sonne bien. »

 

Il aurait suffi que je m'en tienne là. Que j'eusse é crit un livre blanc, un bon grimoire, pour tous les adeptes d'Isis Dé voilé e, pour leur expliquer qu'il ne fallait plus chercher le secretum secretorum, que la lecture de la vie ne recelait aucun sens caché, et que tout é tait là, dans les ventres de toutes les Lias du monde, dans les chambres des cliniques, sur les paillasses, sur les grè ves des fleuves, et que les pierres qui sortent de l'exil et le saint Graal ne sont rien d'autre que des ouistitis qui crient avec leur cordon ombilical sautillant et un docteur qui leur donne des claques sur le cul. Et que les Supé rieurs Inconnus, pour la Chose, c'é taient moi et Lia, et puis elle nous aurait reconnus aussitô t, sans aller le demander à cet ahuri de De Maistre.

Mais non, nous – les sardoniques – nous voulions jouer à cache‑ cache avec les diaboliques, leur montrant que, si complot cosmique il devait y avoir, nous savions, nous, en inventer un, que plus cosmique que ç a vous pouvez toujours courir.

Bien fait pour toi – me disais‑ je l'autre soir –, maintenant te voici là, à attendre ce qui va se passer sous le pendule de Foucault.

 

– 78

 

––

Je dirais certainement que ce monstrueux croisement ne vient pas d'un uté rus maternel, mais à coup sû r d'un É phialte, d'un Incube, ou de quelque autre é pouvantable dé mon, comme s'il avait é té conç u par un champignon putride et vé né neux, fils de Faunes et de Nymphes, plus semblable à un dé mon qu'à un homme.

Athanasius KIRCHER, Mundus Subterraneus, Amsterdam, Jansson, 1665, II, pp. 279‑ 280.

Ce jour‑ là, je voulais rester à la maison, je pressentais quelque chose, mais Lia m'avait dit de ne pas jouer les princes consorts et d'aller travailler. « On a le temps, Poum, ce n'est pas pour tout de suite. Moi aussi je dois sortir. Va. »

J'arrivais à la porte de mon bureau, quand s'ouvrit celle de monsieur Salon. Le vieux apparut, dans son tablier jaune de travail. Je ne pus é viter de le saluer, et il me dit d'entrer. Je n'avais jamais vu son atelier, et j'entrai.

Si, derriè re cette porte, il y avait eu un appartement, Salon devait avoir fait abattre les murs de sé paration car ce que je vis é tait un antre, aux dimensions vastes et impré cises. Pour quelque lointaine raison architectonique, cette aile de la bâ tisse é tait mansardé e, et la lumiè re pé né trait par des vitrages obliques. Je ne sais pas si les vitres é taient sales ou dé polies, ou si Salon leur avait mis un é cran protecteur pour é viter le soleil à pic, ou si c'é tait l'amoncellement des objets proclamant partout la crainte de laisser des espaces vides, mais dans l'antre se ré pandait une lumiè re de cré puscule finissant, d'autant que la grande piè ce é tait divisé e par des rayonnages de vieille pharmacie où s'ouvraient des arcades scandant des troué es, des passages, des perspectives. La tonalité dominante é tait le marron, marron les objets, les é tagè res, les tables, l'amalgame diffus de la lumiè re du jour et de celle de vieilles lampes qui é clairaient par plaques certaines zones. Ma premiè re impression fut que j'é tais entré dans l'atelier d'un luthier où l'artisan aurait disparu à l'é poque de Stradivarius et la poussiè re se serait accumulé e petit à petit sur les panses zé bré es des thé orbes.

Puis, mes veux s'habituant peu à peu, je compris que je me trouvais, comme j'aurais dû m'y attendre, dans un zoo pé trifié. Là ‑ bas, un ourson aux yeux brillants et vitreux grimpait sur une branche artificielle, à cô té de moi se tenait un chat‑ huant é bahi et hié ratique, devant, sur la table, j'avais une belette – ou une fouine, ou un putois, je ne sais. Au centre de la table, un animal pré historique qu'au premier abord je ne reconnus pas, tel un fé lin scruté aux rayons X.

Ce pouvait ê tre un puma, un gué pard, un chien de grande taille, j'en entrevoyais le squelette sur lequel on avait pé tri en partie un rembourrage é toupeux soutenu par une armature de fer.

« Le danois d'une riche dame au coeur tendre, ricana Salon, elle veut se le rappeler comme au temps de leur vie conjugale. Vous voyez? On é corche l'animal, on enduit la peau en dedans avec du savon arsenical, ensuite on fait macé rer et blanchir les os... Regardez sur cette é tagè re la belle collection de colonnes verté brales et de cages thoraciques. Bel ossuaire, n'est‑ ce pas? Et puis on lie les os avec des fils mé talliques et une fois reconstruit le squelette, on y monte une armature, d'ordinaire j'utilise du foin, ou encore du papier mâ ché ou du plâ tre. Enfin, on monte la peau. Je remé die aux dommages de la mort et de la corruption. Regardez ce hibou, n'a‑ t‑ il pas l'air vivant? »

Dè s lors, tout hibou vivant me paraî trait mort, livré par Salon à cette é ternité sclé rosé e. Je dé visageai cet embaumeur de pharaons bestiaux, ses sourcils broussailleux, ses joues grises, et je cherchai à comprendre si c'é tait un ê tre vivant ou pas plutô t un chef‑ d'oeuvre de son art.

 

Pour mieux l'observer, je fis un pas en arriè re et me sentis effleurer la nuque. Parcouru d'un frisson, je me retournai et vis que j'avais mis en marche un pendule.

Un grand oiseau é cartelé oscillait en suivant le mouvement de la lance qui le transperç ait. Le fer lui traversait la tê te et par le bré chet ouvert on voyait qu'il pé né trait où naguè re é taient le cœ ur et le jabot, et il se nouait là pour se diviser en trident renversé. Une partie, plus é paisse, lui trouait l'endroit où il avait eu ses viscè res et pointait vers la terre comme une é pé e, tandis que deux fleurets pé né traient les pattes et ressortaient symé triquement des serres. L'oiseau se balanç ait lé gè rement et les trois pointes indiquaient sur le sol la trace qu'elles auraient laissé e si elles l'avaient effleuré.

« Bel exemplaire d'aigle royal, dit Salon. Mais il faut que j'y travaille quelques jours encore. J'é tais justement en train de choisir les yeux. » Et il me montrait une boî te pleine de corné es et de pupilles de verre, comme si le bourreau de sainte Lucie avait recueilli les reliques de sa carriè re. « Ce n'est pas toujours aussi facile qu'avec les insectes, où il suffit d'une boî te et d'une é pingle. Les inverté bré s, par exemple, il faut les traiter avec de la formaline. »

J'en sentais l'odeur de morgue. « Ce doit ê tre un travail passionnant », dis‑ je. Et en mê me temps je songeais à la chose vivante qui palpitait dans le ventre de Lia. Une pensé e glaciale m'assaillit: si la Chose mourait, me dis‑ je, je veux l'enterrer de mes propres mains, qu'elle nourrisse tous les vers du sous‑ sol et engraisse la terre. Ainsi seulement je la sentirais vivante...

Je me ressaisis, parce que Salon é tait en train de parler et il tirait à lui une é trange cré ature perché e sur une de ses é tagè res. Elle devait ê tre longue d'une trentaine de centimè tres et c'é tait certainement un dragon, un reptile aux grandes ailes noires et membraneuses, avec une crê te de coq et la gueule grande ouverte hé rissé e de minuscules dents en forme de scie. « Beau, hein? Une composition à moi. J'ai utilisé une salamandre, une chauve‑ souris, les é cailles d'un serpent... Un dragon du sous‑ sol. Je me suis inspiré de ç a... » Il me montra sur une autre table un gros volume in‑ folio, à la reliure de parchemin ancien, avec des lacets de cuir. « Il m'a coû té les yeux de la tê te, je ne suis pas un bibliophile, mais celui‑ ci je voulais l'avoir. C'est le Mundus Subterraneus d'Athanasius Kircher, premiè re é dition, 1665. Voici le dragon. Le mê me, ne trouvez‑ vous pas? Il vit dans les anfractuosité s des volcans, disait ce bon jé suite, qui savait tout, du connu, de l'inconnu et de l'inexistant...

– Vous pensez toujours aux souterrains », dis‑ je, me souvenant de notre conversation à Munich et des phrases que j'avais saisies à travers l'oreille de Denys.

Il ouvrit le volume à une autre page: il y avait une image du globe qui apparaissait comme un organe anatomique tumescent et noir, traversé par un ré seau arachné en de veines luminescentes, serpentines et flamboyantes. « Si Kircher avait raison, il y a plus de sentiers dans le cœ ur de la terre qu'il n'en existe à sa surface. Si quelque chose arrive dans la nature, cela vient de la chaleur qui fumige là ‑ dessous... » Moi je pensais à l'œ uvre au noir, au ventre de Lia, à la Chose qui cherchait à jaillir de son doux volcan.

«... et si quelque chose arrive dans le monde des hommes, c'est là ‑ dessous que ç a se trame.

– C'est le pè re Kircher qui le dit?

– Non, lui s'occupe de la nature, seulement... Mais il est singulier que la seconde partie de ce livre soit sur l'alchimie et les alchimistes et que pré cisé ment ici, vous voyez, à ce point‑ là, il y ait une attaque contre les Rose‑ Croix. Pourquoi attaque‑ t‑ il les Rose‑ Croix dans un livre sur le monde souterrain? Il en savait long, notre jé suite, il savait que les derniers Templiers s'é taient ré fugié s dans le royaume souterrain d'Agarttha...

– Et ils y sont encore, paraî t‑ il, hasardai‑ je.

– Ils y sont encore, dit Salon. Pas à Agarttha, dans d'autres boyaux. Peut‑ ê tre sous nos pieds. A pré sent, Milan aussi a son mé tro. Qui l'a voulu? Qui a dirigé les travaux de creusement?

– Je dirai, des ingé nieurs spé cialisé s.

– Voilà, cachez‑ vous les yeux des deux mains. Et en attendant, vous publiez des livres d'on ne sait trop qui, dans votre maison d'é dition. Vous avez combien de juifs parmi vos auteurs?

– Nous ne demandons pas de fiches gé né tiques aux auteurs, ré pondis‑ je d'un ton sec.

– N'allez pas me croire antisé mite. Certains de mes meilleurs amis sont juifs. Je pensais à une certaine sorte de juifs...

– Lesquels?

– Je sais de quoi je veux parler... »

 

– 79 –

Il ouvrit son coffret. Dans un dé sordre indescriptible s'y trouvaient des faux cols, des caoutchoucs, des ustensiles de mé nage, des insignes de diverses é coles techniques, mê me le chiffre de l'Impé ratrice Alexandra Feodorovna et la croix de la Lé gion d'honneur. Sur tous ces objets son hallucination lui montrait le sceau de l'Anté christ, sous l'aspect d'un triangle ou de deux triangles croisé s.

Alexandre CHAYLA, « Serge A. Nilus et les Protocoles », La Tribune juive, 14 mai 1921, p. 3.

« Voyez‑ vous, ajouta‑ t‑ il, je suis né à Moscou. Ce fut pré cisé ment en Russie, quand j'é tais jeune, que parurent des documents secrets juifs où l'on disait en lettres claires et nettes que, pour assujettir les gouvernements, il faut travailler dans le sous‑ sol. É coutez. » Il prit un petit carnet où il avait recopié à la main des citations: « " A cette é poque, toutes les villes auront des chemins de fer mé tropolitains et des passages souterrains: c'est à partir d'eux que nous ferons sauter en l'air toutes les villes du monde. " Protocoles des Anciens Sages de Sion, document numé ro neuf! »

Il me vint à l'esprit que la collection de vertè bres, la boî te remplie d'yeux, les peaux qu'il tendait sur les armatures, tout cela venait d'un camp d'extermination. Mais non, j'avais affaire à un vieux nostalgique, qui traî nait avec lui des vieux souvenirs de l'antisé mitisme russe.

« Si je comprends bien, il existe un conventicule de juifs, pas tous, qui complote quelque chose. Mais pourquoi dans les souterrains?

– Cela me semble é vident! Qui complote, s'il complote, complote dessous, pas à la lumiè re du jour. Tout le monde sait ç a depuis la nuit des temps. La domination du monde signifie la domination de ce qui se trouve dessous. Des courants souterrains. »

Je me souvins d'une question d'Agliè dans son cabinet, et des druidesses dans le Pié mont, qui é voquaient les courants telluriques.

« Pourquoi les Celtes creusaient‑ ils des sanctuaires dans le coeur de la terre, desservis par des galeries qui communiquaient avec un puits sacré ? continuait Salon. Le puits s'enfonç ait dans des couches radioactives, c'est connu. Comment est construite Glanstonbury? Et il ne s'agit pas peut‑ ê tre de l'î le d'Avalon, d'où prend son origine le mythe du Graal? Et qui invente le Graal, si ce n'est un Juif? »

De nouveau le Graal, bonté divine. Mais quel Graal, il n'y a qu'un seul Graal, c'est ma Chose, en contact avec les couches radioactives de l'uté rus de Lia, et qui peut‑ ê tre à pré sent navigue, heureuse, vers la bouche du puits, peut‑ ê tre s'apprê te à sortir et moi je reste là au milieu de ces hibous empaillé s, cent morts et un qui fait semblant d'ê tre vivant.

« Toutes les cathé drales sont construites là où les Celtes avaient leurs menhirs. Pourquoi plantaient‑ ils des pierres dans le sol, avec tout ce que cela leur coû tait de peine?

– Et pourquoi les É gyptiens se fatiguaient‑ ils tant à é lever leurs pyramides?

– Justement. Antennes, thermomè tres, sondes, des aiguilles comme celles des mé decins chinois, planté s où le corps ré agit, dans les points nodaux. Au centre de la terre, il y a un noyau de fusion, quelque chose de semblable au soleil, et mê me un vé ritable soleil autour duquel tourne quelque chose, sur des trajectoires diffé rentes. Des orbites de courants telluriques. Les Celtes savaient où ils é taient et comment les dominer. Et Dante, et Dante? Qu'est‑ ce qu'il veut nous raconter avec l'histoire de sa descente dans les profondeurs? Vous me comprenez, cher ami? »

Ç a ne me plaisait pas d'ê tre son cher ami, mais je continuais à l'é couter. Giulio Giulia, mon Rebis planté comme Lucifer au centre du ventre de Lia, mais lui elle, la Chose se retournerait, se projetterait vers le haut, d'une faç on ou d'une autre sortirait. La Chose est faite pour sortir des entrailles, pour se dé voiler dans son secret limpide, pas pour y entrer tê te basse et y chercher un secret visqueux.

Salon poursuivait, dé sormais perdu dans un monologue qu'il paraissait ré pé ter par coeur: « Vous savez ce que sont les leys anglais? Survolez l'Angleterre en avion et vous verrez que tous les sites sacré s sont unis par des lignes droites, une grille de lignes qui s'entrecroisent sur tout le territoire, encore visibles parce qu'elles ont suggé ré le tracé des routes successives...

– S'il y avait des sites sacré s, ils é taient relié s par des routes, et ces routes on aura cherché à les faire le plus droites possible...

– Oui? Et pourquoi le long de ces lignes migrent les oiseaux? Pourquoi marquent‑ elles les trajets suivis par les soucoupes volantes? C'est un secret qui a é té perdu aprè s l'invasion romaine, mais il en est qui le connaissent encore...

– Les juifs, suggé rai‑ je.

– Eux aussi, ils creusent. Le premier principe alchimique est VITRIOL: Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem. »

Lapis exillis. Ma Pierre qui é tait en train de sortir lentement de son exil, du doux amné sique hypnotique exil dans le vase vaste de Lia, sans chercher d'autres profondeurs, ma Pierre belle et blanche qui veut la surface... Je voulais courir à la maison, auprè s de Lia, attendre avec elle l'apparition de la Chose, heure aprè s heure, le triomphe de la surface reconquise. Dans l'antre de Salon, il y avait l'odeur de renfermé des souterrains, les souterrains sont l'origine à abandonner, pas le but à atteindre. Et toutefois je suivais Salon; et me tourbillonnaient dans la tê te de nouvelles idé es pleines de malice pour le Plan. Alors que j'attendais l'unique Vé rité de ce monde sublunaire, mon front se creusait de rides pour é chafauder de nouveaux mensonges. Aveugle ainsi que les animaux du sous‑ sol.

Je me secouai. Il fallait que je sorte du tunnel. « Il faut que je parte, dis‑ je. A l'occasion vous me conseillerez des livres sur ce sujet.

– Bah, tout ce qu'on a é crit sur ces histoires est faux, faux comme l'â me de Judas. Ce que je sais, je l'ai appris de mon pè re...

– Gé ologue?

– Oh! non, riait Salon, non, vraiment pas. Mon pè re – il n'y a pas de quoi avoir honte, de l'eau a coulé sous les ponts – travaillait dans l'Okhrana. Directement sous les ordres du Chef, le lé gendaire Rač kovskij. »

Okhrana, Okhrana, quelque chose comme le KGB, n'é tait‑ ce pas la police secrè te tsariste? Et Rackovskij, qui é tait‑ il? Qui avait un nom semblable? Bon Dieu, le mysté rieux visiteur du colonel, le comte Rakosky... Non, allons allons, je me laissais surprendre par les coï ncidences. Je n'empaillais pas des animaux morts, moi, j'engendrais des animaux vivants.

 

– 80 –

Lorsque la Blancheur survient à la matiè re du Grand Œ uvre, la Vie a vaincu la Mort, leur Roi est ressuscité, la Terre & l'Eau sont devenues Air, c'est le ré gime de la Lune, leur Enfant est né... La Matiè re a pour lors acquis un degré de fixité que le Feu ne saurait dé truire... Lorsque l'Artiste voit la parfaite blancheur, les Philosophes disent qu'il faut dé chirer les livres, parce qu'ils deviennent inutiles.

Dom J. PERNETY, Dictionnaire mytho‑ hermé tique, Paris, Bauche, 1758, « Blancheur ».

Je bredouillai une excuse, en toute hâ te. Je crois avoir dit « mon amie doit accoucher demain », Salon me fit tous ses vœ ux, avec l'air de n'avoir pas compris qui é tait le pè re. Je courus à la maison, pour respirer le bon air.

Lia n'é tait pas là. Sur la table de la cuisine, une feuille de papier: « Mon amour, la poche des eaux s'est dé chiré e. Je ne t'ai pas trouvé au bureau. Je file à la clinique en taxi. Rejoins‑ moi, je me sens seule. »

J'eus un moment de panique; c'est moi qui devais ê tre là ‑ bas à compter avec Lia, c'est moi qui devais me trouver au bureau, c'est moi qui aurais dû ê tre facilement joignable. C'é tait ma faute, la Chose naî trait mort‑ né e, Lia mourrait avec elle, Salon les empaillerait l'une et l'autre.

J'entrai dans la clinique comme si j'avais une labyrinthite, demandais à qui n'é tait au courant de rien, me trompai deux fois de service. Je disais à tout le monde qu'on devait bien savoir où Lia é tait en train d'accoucher, et tout le monde me disait de me calmer parce qu'ici tout le monde é tait en train d'accoucher.

Enfin, je ne sais comment, je me trouvai dans une chambre. Lia é tait pâ le, mais d'une pâ leur de perle, et elle souriait. Quelqu'un lui avait relevé les mè ches de ses cheveux, les enfermant dans un bonnet blanc. Pour la premiè re fois je voyais le front de Lia dans toute sa splendeur. A cô té d'elle, elle avait la Chose.

« C'est Giulio », dit‑ elle.

Mon Rebis. Je l'avais fait moi aussi, et pas avec des lambeaux de corps morts, et sans savon arsenical. Il é tait entier, il avait tous ses doigts où il fallait.

J'exigeai de le voir de la tê te au pieds. « Oh quel beau petit pistolet, oh quels gros bonbons il a! » Puis je donnai des baisers à Lia sur son front nu: « Mais tout le mé rite est à toi, ché rie, ç a dé pend du vase.

– Bien sû r que le mé rite est à moi, con. J'ai compté toute seule.

– Toi, pour moi, tu comptes beaucoup‑ beaucoup », lui dis‑ je.

 

– 81 –

Le peuple souterrain a atteint le plus haut savoir... Si notre folle humanité commenç ait contre eux la guerre, ils seraient capables de faire sauter la surface de notre planè te.

Ferdinand OSSENDOWSKI, Bê tes, Hommes et Dieux, Paris, Plon, 1924, pp. 251‑ 252.

Je restai aux cô té s de Lia mê me quand elle sortit de la clinique, car, à peine à la maison, tandis qu'elle changeait les langes du petit, elle é clata en pleurs et dit qu'elle ne s'en tirerait jamais. Quelqu'un m'expliqua ensuite que c'é tait normal: aprè s l'excitation pour la victoire de l'accouchement survient le sentiment d'impuissance devant l'immensité de la tâ che. Ces jours où je traî nassais dans la maison en me sentant inutile, et en tout cas inapte à l'allaitement, je passai de longues heures à lire tout ce que j'avais pu trouver sur les courants telluriques.

Au retour, j'en parlai avec Agliè. Il eut un geste d'extreme ennui: « De pauvres mé taphores pour faire allusion au serpent Kundalinî. Mê me la gé omancie chinoise cherchait dans la terre les traces du dragon, mais le serpent tellurique n'é tait là que pour signifier le serpent initiatique. La dé esse repose en forme de serpent enroulé et dort son é ternelle lé thargie. Kundalinî palpite doucement, palpite avec un lé ger sifflement et lie les corps pesants aux corps subtils. Comme un tournoiement, ou un tourbillon dans l'eau, comme la moitié de la syllabe OM.

– Mais à quel secret renvoie le serpent?

– Aux courants telluriques. Aux vrais.

– Mais que sont les vrais courants telluriques?

– Une grande mé taphore cosmologique, et ils renvoient au serpent. »

Au diable Agliè, me dis‑ je. J'en sais plus que lui.

 

Je relus mes notes à Belbo et à Diotallevi, et nous n'eû mes plus de doutes. Nous é tions enfin en mesure de procurer aux Templiers un secret honorable. C'é tait la solution la plus é conomique, la plus é lé gante, et toutes les piè ces de notre puzzle millé naire se mettaient en place.

Donc, les Celtes n'ignoraient pas l'existence des courants telluriques: les Atlantides leur en avaient parlé quand, survivants du continent submergé, ils avaient é migré partie en Egypte et partie en Bretagne.

Les Atlantides à leur tour avaient tout appris de nos ancê tres qui, d'Avalon, à travers le continent de Mu, avaient pé né tré jusqu'au dé sert central de l'Australie – quand tous les continents é taient un unique noyau parcourable, le merveilleux Pangé e. Il suffirait de savoir lire encore (comme le savent les aborigè nes, qui se taisent cependant) le mysté rieux alphabet gravé sur le grand rocher de Ayers Rock, pour avoir l'Explication. Ayers Rock est l'antipode du grand mont (inconnu) qui est le Pô le, le vrai, le Pô le initiatique, pas celui où arrive n'importe quel explorateur bourgeois. Comme d'habitude, et comme il est é vident à qui n'a pas les yeux aveuglé s par le faux savoir de la science occidentale, le Pô le qu'on voit est celui qui n'existe pas, et celui qui existe c'est celui que personne ne sait voir, sauf quelques adeptes, qui ont les lè vres scellé es.

Cependant, les Celtes croyaient qu'il suffisait de dé couvrir le plan global des courants. Voilà pourquoi ils é rigeaient des mé galithes: les menhirs é taient des appareils radiesthé siques, comme des fiches, des prises é lectriques enfoncé es dans les points où les courants se ramifiaient en diffé rentes directions. Les leys indiquaient le parcours d'un courant dé jà repé ré. Les dolmens é taient des chambres de condensation de l'é nergie où les druides, par des artifices gé omantiques, cherchaient à extrapoler le dessin global; les cromlechs et Stonehenge é taient des observatoires micro‑ macrocosmiques d'où on s'escrimait à deviner, à travers l'ordre des constellations, l'ordre des courants – car, ainsi que le veut la Tabula Smaragdina, ce qui se trouve dessus est isomorphe à ce qui se trouve dessous.

Mais ce n'est pas là le problè me, ou du moins ce n'est pas le seul. L'autre aile de l'é migration atlantidienne l'avait compris. Les connaissances occultes des É gyptiens é taient passé es d'Hermè s Trismé giste à Moï se, lequel s'é tait bien gardé de les communiquer à ses gueux au gosier encore plein de manne – à qui il avait offert les dix commandements, ce qu'au moins ils pouvaient comprendre. La vé rité, qui est aristocratique, Moï se l'avait mise en chiffre dans le Pentateuque. C'est ce qu'avaient saisi les kabbalistes.



  

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