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Il me revint à l'esprit la curieuse question de De Angelis, si j'avais entendu parler du Tres. Et je dis: « Le Tres.

– Et qu'est‑ ce que c'est? demanda Belbo.

– S'il y a l'acrostiche, il doit y avoir le texte sous‑ jacent, dit Diotallevi, autrement mes rabbins n'auraient pu s'adonner au Notarikon. Voyons voir... Templi Resurgentes Equites Synarchici. Ç a vous va? »

Le nom nous plut, nous l'é crivî mes en bout de liste.

« Avec tous ces conventicules, en inventer un de plus n'é tait pas une mince affaire », disait Diotallevi, pris d'un accè s de vanité.

 

– 76 –

Si l'on tentait d'indiquer d'un mot le caractè re dominant de la maç onnerie franç aise du XVIII e  siè cle, un seul conviendrait: dilettantisme.

René LE FORESTIER, La Franc‑ Maç onnerie Templiè re et Occultiste, Paris, Aubier, 1970, 2.

Le lendemain soir nous invitâ mes Agliè à faire une visite à Pilade. Encore que les nouveaux habitué s du bar fussent revenus au veston et à la cravate, la pré sence de notre hô te, avec son costume trois‑ piè ces bleu à fines raies blanches et sa chemise immaculé e, la cravate fixé e par une é pingle d'or, provoqua une certaine sensation. Par chance, à six heures de l'aprè s‑ midi, Pilade é tait assez dé peuplé.

Agliè dé contenanç a Pilade en commandant un cognac de marque. Il en avait, naturellement, mais qui trô nait sur les é tagè res, derriè re le comptoir, intact, peut‑ ê tre depuis des anné es.

Agliè parlait en observant la liqueur à contre‑ jour, pour ensuite la ré chauffer dans ses mains, exhibant à ses manchettes des boutons d'or de style vaguement é gyptien.

Nous lui montrâ mes la liste en disant que nous l'avions é tablie à partir de manuscrits des diaboliques.

« Que les Templiers fussent lié s aux anciennes loges des maî tres maç ons qui se sont formé es pendant la construction du Temple de Salomon, c'est certain. Comme il est certain que depuis lors ces associé s se ré fé raient au sacrifice de l'architecte du Temple, Hiram, victime d'un mysté rieux assassinat, et qu'ils se vouaient à sa vengeance. Aprè s la persé cution, beaucoup des chevaliers du Temple confluè rent certainement dans ces confré ries d'artisans, fusionnant le mythe de la vengeance d'Hiram avec celui de la vengeance de Jacques de Molay. Au XVIIIe siè cle, à Londres, il existait des loges d'artisans maç ons vé ritables, les pré tendues loges opé ratives, mais graduellement certains gentilshommes dé sœ uvré s, encore que fort respectables, attiré s par leurs rites traditionnels, rivalisè rent pour en faire partie. Ainsi, la maç onnerie opé rative, histoire de vé ritables artisans maç ons, s'est‑ elle transformé e en maç onnerie spé culative, histoire d'artisans maç ons symboliques. Dans ce climat, un certain Desaguliers, vulgarisateur de Newton, influence un pasteur protestant, Anderson, qui ré dige les constitutions d'une loge de Frè res Maç ons, d'inspiration dé iste, et commence à parler des confré ries maç onniques comme de corporations qui remontent à quatre mille ans, aux fondateurs du Temple de Salomon. Voilà les raisons de la mascarade maç onnique, le tablier, l'é querre, le marteau. Pourtant, c'est peut‑ ê tre pré cisé ment pour cela que la maç onnerie devient à la mode, attire les nobles, pour les arbres gé né alogiques qu'elle laisse entrevoir; elle plaî t encore davantage aux bourgeois, qui non seulement peuvent se ré unir sur un pied d'é galité avec les nobles, mais sont mê me autorisé s à porter l'é pé e de cé ré monie. Misè re du monde moderne qui naî t, les nobles ont besoin d'un milieu où entrer en contact avec les nouveaux producteurs de capital; les autres – vous pensez bien – cherchent une lé gitimation.

– Mais il semble que les Templiers apparaissent plus tard.

– Le premier qui a é tabli un rapport direct avec les Templiers est Ramsay, dont cependant j'aimerais mieux ne point parler. Je soupç onne personnellement qu'il é tait inspiré par les jé suites. C'est de sa pré dication que naî t l'aile é cossaise de la maç onnerie.

– É cossaise en quel sens?

– Le rite é cossais est une invention franco‑ allemande. La maç onnerie londonienne avait institué les trois degré s: apprenti, compagnon et maî tre. La maç onnerie é cossaise multiplie les grades, parce que multiplier les grades cela signifie multiplier les niveaux d'initiation et de secret... Les Franç ais, qui sont fats par nature, en sont fous...

– Mais quel secret?

– Aucun, c'est é vident. S'il y avait eu un secret – autrement dit si eux l'avaient possé dé –, sa complexité eû t justifié la complexité des grades d'initiation. Ramsay, en revanche, multiplie les grades pour faire accroire qu'il a un secret. Vous pouvez vous imaginer le fré missement de ces braves boutiquiers qui pouvaient enfin devenir des agents de la vengeance... »

 

Agliè nous fut prodigue en racontars maç onniques. Et, tout en parlant, comme il en avait l'habitude, il passait insensiblement à l'é vocation à la premiè re personne. « Dé sormais, à cette é poque, en France, on é crivait des couplets sur la nouvelle mode des Frimaç ons, les loges se multipliaient et y circulaient archevê ques, moines, marquis et marchands, et les membres de la maison royale devenaient grands maî tres. Dans la Stricte Observance Templiè re de ce patibulaire von Hund entraient Goethe, Lessing, Mozart, Voltaire; des loges surgissaient parmi les militaires; dans les ré giments on complotait pour venger Hiram et on discutait de la ré volution imminente. Et pour les autres, la maç onnerie é tait une socié té de plaisir, un club, un status symbol. On y trouvait de tout, Cagliostro, Mesmer, Casanova, le baron d'Holbach, d'Alembert... Encyclopé distes et alchimistes, libertins et hermé tistes. Et on le vit quand é clata la Ré volution: des membres d'une mê me loge se trouvè rent divisé s, et il sembla que la grande fraternité entrait à jamais en crise...

– N'y avait‑ il pas une opposition entre Grand Orient et Loge É cossaise?

– En paroles. Un exemple: dans la loge des Sept Sœ urs é tait entré Franklin, qui, naturellement, visait à sa transformation laï que – son seul inté rê t, c'é tait de soutenir sa ré volution amé ricaine... Mais en mê me temps, un des grands maî tres é tait le comte de Milly, qui cherchait l'é lixir de longue vie. Comme c'é tait un imbé cile, en faisant ses expé rimentations il s'est empoisonné et il est mort. Par ailleurs, pensez à Cagliostro: d'une part il inventait des rites é gyptiens, d'autre part il é tait impliqué dans l'affaire du Collier de la Reine, un scandale ourdi par les nouvelles classes dirigeantes pour discré diter l'Ancien Ré gime. Cagliostro é tait de la partie, vous comprenez? Essayez d'imaginer quelle espè ce de gens il fallait cô toyer...

– Ç a a dû ê tre dur, dit Belbo avec compré hension.

– Mais qui sont‑ ils, demandai‑ je, ces barons von Hund qui cherchent les Supé rieurs Inconnus...

– Autour de la farce bourgeoise é taient apparus des groupes aux intentions fort diffé rentes, qui, pour faire des adeptes, pouvaient s'identifier avec les loges maç onniques, mais poursuivaient des fins plus initiatiques. C'est alors qu'a lieu la discussion sur les Supé rieurs Inconnus. Mais malheureusement, von Hund n'é tait pas une personne sé rieuse. Au dé but, il fait croire aux adeptes que les Supé rieurs Inconnus sont les Stuarts. Ensuite, il é tablit que le but de l'ordre est de racheter les biens originels des Templiers, et il ratisse des fonds de tous cô té s. N'en trouvant pas assez, il tombe dans les mains d'un certain Starck, qui disait avoir reç u, des vrais Supé rieurs Inconnus qui se trouvaient à Saint‑ Pé tersbourg, le secret de la fabrication de l'or. Autour de von Hund et de Starck se pré cipitent thé osophes, alchimistes à tant de l'once, rosicruciens de la derniè re heure, et tous ensemble ils é lisent grand maî tre un gentilhomme des plus intè gres, le duc de Brunswick. Lequel comprend aussitô t qu'il est au milieu d'une trè s mauvaise compagnie. Un des membres de l'Observance, le landgrave de Hesse, fait appel au comte de Saint‑ Germain en croyant que ce gentilhomme pourrait produire de l'or pour lui, enfin glissons, à cette é poque il fallait seconder les caprices des puissants. Mais, par‑ dessus le marché, il se croit saint Pierre. Je vous assure qu'une fois, Lavater, qui é tait l'hô te du landgrave, dut faire une scè ne à la duchesse du Devonshire, laquelle se prenait pour Marie‑ Madeleine.

– Mais ces Willermoz, ces Martines de Pasqually, qui fondent une secte aprè s l'autre...

– Pasqually é tait un aventurier. Il pratiquait des opé rations thé urgiques dans une de ses chambres secrè tes, les esprits angé liques se montraient à lui sous la forme de passages lumineux et de caractè res hié roglyphiques. Willermoz l'avait pris au sé rieux parce que c'é tait un enthousiaste, honnê te quoique ingé nu. Il é tait fasciné par l'alchimie, il pensait à un Grand Œ uvre auquel les é lus auraient dû se consacrer, afin de dé couvrir le point d'alliance des six mé taux nobles en é tudiant les mesures renfermé es dans les six lettres du premier nom de Dieu, que Salomon avait fait connaî tre à ses é lus.

– Et alors?

– Willermoz fonde de nombreuses obé diences et entre dans de nombreuses loges à la fois, selon l'usage de ces temps‑ là, toujours en quê te d'une ré vé lation dé finitive, craignant qu'elle ne se nichâ t toujours ailleurs – comme en vé rité cela se passe – et mê me, c'est peut‑ ê tre là l'unique vé rité... Et ainsi s'unit‑ il aux É lus Cohen de Pasqually. Mais, en 1772, Pasqually disparaî t, il part pour Saint‑ Domingue, laisse tout aller à vau‑ l'eau. Pourquoi s'é clipse‑ t‑ il? Je soupç onne qu'il é tait entré en possession de quelque secret et qu'il n'avait pas voulu le partager. En tout cas, paix à son â me, il se volatilise dans ce continent, homme obscur comme il l'avait mé rité...

– Et Willermoz?

– En ces anné es‑ là, nous é tions tous secoué s par la mort de Swedenborg, un homme qui eû t pu apprendre beaucoup de choses à l'Occident malade, si l'Occident lui avait prê té l'oreille; cependant, le siè cle courait dé sormais vers la folie ré volutionnaire pour suivre les ambitions du Tiers É tat... Or, c'est dans ces anné es que Willermoz entend parler de la Stricte Observance Templiè re de von Hund, et il en reste fasciné. On lui avait dit qu'un Templier qui se dé clare tel, je veux dire en fondant une association publique, n'est pas un Templier, mais le XVIIIe é tait une é poque de grande cré dulité. Willermoz tente avec von Hund les diffé rentes alliances dont on parle dans votre liste, jusqu'au moment où von Hund est dé masqué – à savoir: on dé couvre que c'é tait un de ces personnages qui s'enfuient avec la caisse – et que le duc de Brunswick l'expulse de l'organisation. »

Il donna un autre coup d'œ il à la liste: « Eh certes, Weishaupt, j'oubliais. Les Illuminé s de Baviè re, avec un nom pareil, au dé but ils attirent quantité d'esprits gé né reux. Mais ce Weishaupt é tait un anarchiste, aujourd'hui nous le taxerions de communiste, et si vous saviez quels n'é taient pas leurs dé lires dans ce milieu, coups d'É tat, dé positions de souverains, bains de sang... Notez que j'ai beaucoup admiré Weishaupt, mais point pour ses idé es; pour sa conception fort limpide du fonctionnement d'une socié té secrè te. Mais on peut avoir de magnifiques idé es d'organisation et des finalité s trè s confuses. En somme, le duc de Brunswick se trouve en devoir de gé rer la confusion laissé e par von Hund et il comprend que, doré navant, dans l'univers maç onnique allemand s'affrontent au moins trois â mes, le courant sapiential et occultiste, y compris certains Rose‑ Croix; le courant rationaliste; et le courant anarchiste ré volutionnaire des Illuminé s de Baviè re. Alors il propose aux diffé rents ordres et rites de se rencontrer à Wilhelmsbad pour un " convent ", comme cela s'appelait en ce temps‑ là, disons des é tats gé né raux. On devait ré pondre aux questions suivantes: l'ordre a‑ t‑ il ré ellement pour origine une ancienne socié té, et laquelle? Y a‑ t‑ il ré ellement des Supé rieurs Inconnus, gardiens de la tradition ancienne, et qui sont‑ ils? Quels sont les buts vé ritables de l'ordre? Comme fin se propose‑ t‑ il la restauration de l'ordre des Templiers? Et ainsi de suite, y compris le problè me de savoir si l'ordre devait s'occuper de sciences occultes. Willermoz adhè re, enthousiaste: enfin il allait trouver une ré ponse aux questions qu'il s'é tait posé es, honnê tement, durant toute sa vie... Et là, apparaî t le cas de Maistre.

– Quel de Maistre? demandai‑ je. Joseph ou Xavier?

– Joseph.

– Le ré actionnaire?

– S'il a é té ré actionnaire, il ne le fut pas assez. C'é tait un homme bizarre. Notez que ce dé fenseur de l'É glise catholique, pré cisé ment alors que les papes commenç aient d'é mettre les premiè res bulles contre la franc‑ maç onnerie, se fait membre d'une loge, sous le nom de Josephus a Floribus. Mieux, il se rapproche de la maç onnerie quand, en 1773, un bref condamne les jé suites. Bien sû r, de Maistre se rapproche des loges de type é cossais, é videmment; ce n'est pas un " illuministe ", c'est‑ à ‑ dire un homme des Lumiè res, c'est un illuminé – vous devez prê ter attention à ces distinctions, parce que les Italiens appellent illuministes les jacobins, tandis que dans les autres pays on appelle de ce nom les fidè les de la tradition – curieuse confusion... »

 

 

Il sirotait son cognac, tirait, d'un porte‑ cigarettes de mé tal presque blanc, des cigarillos de forme inusité e (« c'est mon marchand de tabac de Londres qui me les confectionne, disait‑ il, comme les cigares que vous avez trouvé s chez moi, je vous en prie, ils sont excellents... ), parlait les yeux perdus dans ses souvenirs.

« De Maistre... Un homme aux maniè res exquises, l'é couter é tait une jouissance spirituelle. Il avait acquis une grande autorité dans les cercles initiatiques. Et pourtant, à Wilhelmsbad, il trahit l'attente de tout le monde. Il envoie une lettre au duc, où il refuse ré solument la filiation templiè re, les Supé rieurs Inconnus et l'utilité des sciences é soté riques. Il refuse par fidé lité à l'É glise catholique, mais il le fait avec des arguments d'encyclopé diste bourgeois. Quand le duc a lu la lettre à un cé nacle d'intimes, personne ne voulait y croire. De Maistre affirmait maintenant que le but de l'ordre n'é tait qu'une ré inté gration spirituelle et que les cé ré monials et les rites traditionnels ne servaient qu'à tenir en alerte l'esprit mystique. Il louait tous les nouveaux symboles maç onniques, mais il disait que l'image qui repré sente plusieurs choses ne repré sente plus rien. Ce qui – pardonnez‑ moi – est contraire à toute la tradition hermé tique, parce que le symbole est d'autant plus plein, ré vé lateur, puissant, qu'il est plus ambigu, fugace: sinon où finit l'esprit d'Hermè s, le dieu aux mille visages? Et à propos des Templiers, de Maistre disait que l'ordre du Temple avait é té cré é par l'avarice et que l'avarice l'avait dé truit, voilà tout. Le Savoyard ne pouvait oublier que l'Ordre avait é té dé truit avec l'approbation du pape. Jamais se fier aux lé gitimistes catholiques, pour ardente que soit leur vocation hermé tique. De mê me, la ré ponse sur les Supé rieurs Inconnus é tait risible: ils n'existent pas, et la preuve c'est que nous ne les connaissons pas. On lui objecta que certainement nous ne les connaissons pas, autrement ils ne seraient pas inconnus; vous ne croyez pas que c'é tait de sa part une drô le de faç on de raisonner? Curieux qu'un croyant de cette trempe pû t ê tre à ce point impermé able au sens du mystè re. Aprè s quoi, de Maistre lanç ait l'appel final: revenons aux É vangiles et abandonnons les folies de Memphis. Il ne faisait que reproposer la ligne millé naire de l'Eglise. Vous comprenez dans quel climat s'est passé e la ré union de Wilhelmsbad. Avec la dé fection d'une autorité comme de Maistre, Willermoz fut mis en minorité, et on put en tout et pour tout ré aliser un compromis. On maintint le rite templier, on renvoya toute conclusion au sujet des origines, bref un é chec. Ce fut à ce moment‑ là que l'é cossisme laissa passer l'occasion: si les choses s'é taient dé roulé es diffé remment, peut‑ ê tre que l'histoire du siè cle à venir eû t é té diffé rente.

– Et aprè s? demandai‑ je. On n'a plus rien rafistolé ?

– Mais que voulez‑ vous qu'on rafistolâ t, pour user de vos vocables... Trois ans plus tard, un pré dicateur é vangé lique, qui s'é tait uni aux Illuminé s de Baviè re, un certain Lanze, meurt, frappé par la foudre, dans un bois. On trouve sur lui des instructions de l'ordre, le gouvernement bavarois intervient, on dé couvre que Weishaupt é tait en train de comploter contre le gouvernement, et l'ordre est supprimé l'anné e suivante. Non seulement, mais on publie des é crits de Weishaupt avec les projets pré sumé s des Illuminé s, qui discré ditent pour un siè cle tout le né o‑ templarisme franç ais et allemand... Notez que les Illuminé s de Weishaupt é taient probablement du cô té de la maç onnerie jacobine et qu'ils s'é taient infiltré s dans le courant né otemplier pour le dé truire. Ce ne doit pas ê tre un hasard si cette mauvaise engeance avait attiré de son cô té Mirabeau, le tribun de la Ré volution. Je peux vous faire une confidence?

– Dites.

– Des hommes comme moi, inté ressé s à renouer les fils d'une Tradition perdue, se trouvent dé sorienté s face à un é vé nement comme Wilhelmsbad. Quelqu'un avait deviné et s'est tu, quelqu'un savait et a menti. Et aprè s, ce fut trop tard, d'abord le tourbillon ré volutionnaire, ensuite la meute de l'occultisme du XIXe siè cle... Regardez votre liste, une kermesse de la mauvaise foi et de la cré dulité, crocs‑ en‑ jambe, excommunications ré ciproques, secrets qui circulent dans la bouche de tout le monde. Le thé â tre de l'occultisme.

– Les occultistes sont peu dignes de foi, ne dirait‑ on pas? demanda Belbo.

– Il faut savoir distinguer l'occultisme de l'é soté risme. L'é soté risme est la recherche d'un savoir qui se transmet seulement par des symboles, hermé tiquement fermé s aux profanes. Par contre, l'occultisme qui se ré pand au XIXe siè cle est la pointe de l'iceberg, ce petit peu qui affleure du secret é soté rique. Les Templiers é taient des initié s, et la preuve en est que, soumis à la torture, ils meurent pour sauver leur secret. C'est la force avec laquelle ils l'ont occulté qui nous rend sû rs de leur initiation, et nostalgiques de ce qu'ils avaient su. L'occultiste est un exhibitionniste. Comme disait Pé ladan, un secret initiatique ré vé lé ne sert à rien. Malheureusement, Pé ladan n'é tait pas un initié, mais un occultiste. Le XIXe est le siè cle de la dé lation. Tout le monde s'escrime à publiciser les secrets de la magie, de la thé urgie, de la Kabbale, des tarots. Et sans doute ils y croient. »

Agliè continuait à parcourir notre liste, avec quelques ricanements de commisé ration. « Helena Petrovna. Brave femme, au fond, mais elle n'a pas dit une seule chose qui ne fû t dé jà é crite sur tous les murs. De Guaita, un bibliomane drogué. Papus: c'est du sé rieux. » Puis il s'arrê ta, d'un coup. « Tres... D'où sort cette nouvelle? De quel manuscrit? »

Trè s fort, pensai‑ je, il s'est rendu compte de l'interpolation. Nous restâ mes dans le vague: « Vous savez, on a é tabli la liste en feuilletant diffé rents textes, et, pour la plupart, nous les avons dé jà renvoyé s, ç a ne valait pas tripette. Vous vous rappelez d'où sort ce Tres, Belbo?

– Je n'ai pas l'impression. Diotallevi?

– Tant de jours sont dé jà passé s... C'est important?

– Nullement, nous rassura Agliè. C'est parce que je ne l'avais jamais entendu nommer. Bien vrai, vous ne pouvez pas me dire qui le citait? »

Nous é tions dé solé s, nous ne nous rappelions pas.

Agliè tira sa montre de son gousset. « Mon Dieu, j'avais un autre rendez‑ vous. Vous voudrez bien m'excuser. »

 

 

Il nous avait quitté s, et nous, nous é tions resté s à discuter.

« Maintenant tout est clair. Les Anglais lancent la proposition maç onnique pour coaliser tous les initié s d'Europe autour du projet baconien.

– Mais le projet ne ré ussit qu'à moitié : l'idé e que les baconiens é laborent est si fascinante qu'elle produit des ré sultats contraires à leur attente. Le courant dit é cossais voit dans le nouveau conventicule une maniè re de reconstituer la succession, et il prend contact avec les templiers allemands.

– Agliè trouve l'histoire incompré hensible. C'est é vident. Nous seuls à pré sent pouvons dire ce qui s'est passé, ce que nous voulons qu'il se soit passé. A ce moment‑ là, les diffé rents noyaux nationaux entrent en lice les uns contre les autres, je n'exclurai pas que ce Martines de Pasqually fû t un agent du groupe de Tomar, les Anglais dé savouent les É cossais, qui s'avè rent ê tre des Franç ais, les Franç ais sont é videmment divisé s en deux groupes, le philo‑ anglais et le philo‑ allemand. La franc‑ maç onnerie est la couverture exté rieure, le pré texte grâ ce auquel tous ces agents de groupes diffé rents – Dieu sait où ont fini les pauliciens et les hié rosolymitains – se rencontrent et s'affrontent, cherchant tour à tour à s'arracher quelque lambeau de secret.

 

– La maç onnerie comme le Rick's Café de Casablanca, dit Belbo. Ce qui met cul par‑ dessus tê te l'opinion commune. La maç onnerie n'est pas une socié té secrè te.

– Allons donc, seulement un port franc, comme Macao. Une faç ade. Le secret se trouve ailleurs.

– Pauvres maç ons.

– Le progrè s veut ses victimes. Vous admettrez cependant que nous sommes en train de retrouver une rationalité immanente de l'histoire.

– La rationalité de l'histoire est un effet d'une bonne ré criture de la Torah, dit Diotallevi. Et ainsi faisons‑ nous, et que soit toujours bé ni le nom du Trè s Haut.

– Ç a va, dit Belbo. Maintenant les baconiens ont Saint‑ Martin‑ des‑ Champs, l'aile né otempliè re franco‑ allemande se dé sagrè ge en une myriade de sectes... Mais nous n'avons pas encore dé cidé de quel secret il s'agit.

– C'est là que je vous attends, dit Diotallevi.

– Vous? Nous sommes tous dans le bain, si nous ne nous en tirons pas honorablement nous faisons figure de pauvres types.

– Devant qui?

– Mais devant l'histoire, devant le tribunal de la Vé rité.

– Quid est veritas? demanda Belbo.

– Nous », dis‑ je.

 

– 77 –

Celle herbe est appellé e Chassediables par les Philosophes. Cest chose expé rimenté e que seulement celle semence dechasse les diables & leurs hallucinations... On en ha administré à une fille qui, durant la nuict, estoit tourmenté e par un diable, & l'herbe susdite l'ha fait fuyr.

Johannes de RUPESCISSA, Traité sur la Quintessence, II.

Dans les jours qui suivirent, je né gligeai le Plan. La grossesse de Lia touchait à son terme et je restais avec elle, à peine le pouvais‑ je. Lia calmait mon anxié té car, disait‑ elle, ce n'é tait pas encore le moment. Elle suivait un cours pour l'accouchement sans douleur et moi j'essayais de suivre ses exercices. Lia avait refusé l'aide que la science lui offrait pour nous faire savoir à l'avance le sexe du futur bé bé. Elle voulait la surprise. J'avais accepté cette bizarrerie. Je lui tâ tais le ventre, je ne me demandais pas ce qui en sortirait, nous avions dé cidé de l'appeler la Chose.

Je demandais seulement comment je pourrais participer à l'accouchement. « Elle est à moi aussi, la Chose, disais‑ je. Je ne veux pas jouer les pè res qu'on voit au ciné ma, qui font les cent pas dans le couloir en allumant leurs cigarettes avec leurs mé gots.

– Poum, tu ne pourras pas faire grand‑ chose de plus. Il vient un moment où c'est mon affaire. Et puis, toi tu ne fumes pas et tu ne voudras pas prendre ce vice à cette occasion.

– Et alors, qu'est‑ ce que je fais?

– Tu participes avant et aprè s. Aprè s, si c'est un garç on, tu l'é duqueras, tu le forgeras, tu lui cré eras son beau petit œ dipe comme il convient, tu te prê teras en souriant au parricide rituel quand les temps seront venus, et sans faire d'histoire, et puis, un jour, tu lui montreras ton misé rable bureau, les fiches, les é preuves de la merveilleuse histoire des mé taux et tu lui diras: mon fils tout ç a, un jour, t'appartiendra.

– Et si c'est une fille?

– Tu lui diras: ma fille tout ç a, un jour, appartiendra à ton fainé ant de mari.

– Et avant?

– Pendant les douleurs, entre une douleur et l'autre, du temps passe et il faut compter, parce que, au fur et à mesure que l'intervalle se raccourcit, le moment approche. Nous compterons ensemble et toi tu me donneras le rythme, comme aux rameurs dans les galè res. Ce sera comme si toi aussi, petit à petit, tu faisais sortir la Chose de sa petite galerie obscure. Le pauvret la pauvrette... Tu vois, à pré sent il elle se trouve si bien dans le noir, il elle suce les humeurs ainsi qu'une pieuvre, tout gratis, et puis hop là, il elle jaillira à la lumiè re du soleil, clignera des yeux et dira où diable suis‑ je tombé tombé ‑ e?



  

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