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FILENAME : ABOU 34 страница– Et ç a voudrait dire quoi? – Il me semble que Dee n'é tait pas vraiment inté ressé à la dé couverte des lieux, mais à leur repré sentation cartographique, raison pour quoi il avait travaillé en contact avec Mercator et avec Ortelius, grands cartographes. C'est comme si, à partir des lambeaux de message qu'il tenait entre les mains, il avait compris que la reconstitution finale devait amener à la dé couverte d'une carte, et qu'il cherchait à y arriver pour son propre compte. Mieux, je serais tenté de dire plus, comme monsieur Garamond. Est‑ il possible qu'à un homme d'é tude de son gabarit eû t vraiment é chappé la discordance entre les calendriers? Et s'il l'avait fait exprè s? Dee a l'air de vouloir reconstituer le message tout seul, passant par‑ dessus les autres groupes. Je soupç onne qu'avec Dee l'idé e fasse son chemin que le message puisse ê tre restitué par des moyens magiques ou scientifiques, mais sans attendre que le Plan s'accomplisse. Syndrome d'impatience. Le bourgeois conqué rant est en train de naî tre, et se corrompt le principe de solidarité sur quoi reposait la chevalerie spirituelle. Si telle é tait bien l'idé e de Dee, que dire de Bacon! A partir de ce moment, les Anglais s'emploient à la dé couverte du secret en mettant à profit tous les secrets de la nouvelle science. – Et les Allemands. – Les Allemands, il sera bon de leur faire suivre la voie de la tradition. Ainsi pouvons‑ nous expliquer au moins deux siè cles d'histoire de la philosophie, empirisme anglo‑ saxon contre idé alisme romantique... – Nous sommes graduellement en train de reconstituer l'histoire du monde, dit Diotallevi. Nous sommes en train de ré crire le Livre. Ç a me plaî t, ç a me plaî t. »
– 73 – Un autre cas curieux de cryptographie fut pré senté au public en 1917 par l'un des meilleurs historiographes de Bacon, le docteur Alfred von Weber Ebenhoff de Vienne. Celui‑ ci s'appuyant sur les diffé rents systè mes dé jà essayé s sur les œ uvres de Shakespeare entreprit de les appliquer à certains ouvrages de Cervantè s... Poursuivant cette é tude, il dé couvrit une preuve maté rielle troublante: la premiè re traduction anglaise de Don Quichotte par Shelton porte des corrections de la main mê me de Bacon. Il en conclut que cette version anglaise serait l'original du roman et que Cervantè s en aurait publié une traduction espagnole. J. DUCHAUSSOY, Bacon, Shakespeare ou Saint‑ Germain? Paris, La Colombe, 1962, p. 122. Que les jours suivants Jacopo Belbo se mî t à dé vorer des ouvrages historiques autour de la pé riode des Rose‑ Croix, cela me sembla é vident. Pourtant, lorsqu'il nous raconta ses conclusions, de ses affabulations il nous donna la trame nue, dont nous tirâ mes de pré cieuses suggestions. Mais je sais à pré sent qu'il é tait en train d'é crire sur Aboulafia une histoire bien plus complexe où le jeu fré né tique des citations se mê lait à ses mythes personnels. Placé devant la possibilité de combiner des fragments d'une histoire qui appartenait à d'autres, il retrouvait l'impulsion d'é crire, sous une forme narrative, sa propre histoire. A nous, il ne le dit jamais. Et me reste le doute s'il expé rimentait, avec un certain courage, ses possibilité s d'agencer une fiction, ou s'il ne s'identifiait pas, comme un quelconque diabolique, avec la Grande Histoire qui dé raillait.
FILENAME: L'É TRANGE CABINET DU DOCTEUR DEE Longtemps j'oublie d'ê tre Talbot. Depuis que j'ai dé cidé de me faire appeler Kelley, au moins. Dans le fond, je n'avais que falsifié des papiers, comme tout le monde. Les hommes de la reine sont sans merci. Pour couvrir mes pauvres oreilles coupé es, je suis forcé de porter cette calotte noire; et ils ont tous murmuré que j'é tais un magicien. Alors, ainsi en soit‑ il. Sur cette renommé e le docteur Dee prospè re. Je suis allé le trouver à Mortlake et il é tait en train d'examiner une carte gé ographique. Il s'est montré vague, le diabolique vieillard. É clairs sinistres dans ses yeux rusé s, la main ossue qui caressait une barbiche caprine. – C'est un manuscrit de Roger Bacon, me dit‑ il, et il m'a é té prê té par l'empereur Rodolphe II. Vous connaissez Prague? Je vous conseille de la visiter. Vous pourriez y dé celer quelque chose qui changera votre vie. Tabula locorum rerum et thesaurorum absconditorum Menabani... En lorgnant de cô té, je vis quelque chose de la transcription d'un alphabet secret qu'essayait le docteur. Mais il cacha aussitô t le manuscrit sous une pile d'autres feuilles jaunies. Vivre à une é poque et dans un milieu où chaque feuille, mê me si elle vient de sortir de la fabrique du papetier, est jaunie. J'avais montré au docteur Dee certains de mes essais, surtout mes poé sies sur la Dark Lady. Si lumineuse image de mon enfance, sombre parce que ré absorbé e par l'ombre du temps, qui s'é tait dé robé e à ma possession. Et un de mes canevas tragiques, l'histoire de Jim de la Papaye qui revient en Angleterre à la suite de sir Walter Raleigh, et dé couvre son pè re tué par son frè re incestueux. Jusquiame. – Vous avez des dons, Kelley, m'avait dit Dee. Et vous avez besoin d'argent. Il y a un jeune homme, fils naturel de vous ne pouvez pas mê me oser imaginer qui... et je veux le faire s'é lever en renommé e et honneurs. Il a un talent mé diocre, vous serez son â me secrè te. É crivez, et vivez à l'ombre de sa gloire à lui; seuls vous et moi saurons que c'est la vô tre, Kelley. Et me voilà depuis des anné es ré digeant les canevas qui, pour la reine et l'Angleterre tout entiè re, circulent sous le nom de ce jeune homme pâ le. If I have seen further it is by standing on ye sholders of a Dwarf. J'avais trente ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel â ge de la vie. – William, je lui ai dit, fais‑ toi pousser les cheveux sur les oreilles, ç a te va bien. J'avais un plan (me mettre à sa place? ). On peut vivre en haï ssant le Secoue‑ la‑ Lance qu'on est en ré alité ? That sweet thief which sourly robs from me. – Du calme, Kelley, me dit Dee, grandir dans l'ombre est le privilè ge de qui se pré pare à la conquê te du monde. Keepe a Lowe Profyle. William sera une de nos faç ades. Et il m'a mis au courant – oh, en partie seulement – du Complot Cosmique. Le secret des Templiers! – La mise? j'ai demandé. – Ye Globe. Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais un soir, à minuit, j'ai fouillé dans le coffret privé de Dee, j'ai dé couvert des formules, j'ai voulu é voquer les anges ainsi qu'il fait par les nuits de pleine lune. Dee m'a trouvé renversé sur le sol, au centre du cercle du Macrocosme, comme frappé d'un coup de fouet. Au front, le Pentacle de Salomon. Maintenant, je dois encore plus la tirer sur les yeux, ma calotte. – Tu ne sais pas encore comment on fait, m'a dit Dee. Gaffe à toi, ou je te ferai arracher le nez aussi. I will show you Fear in a Handful of Dust... Il a levé une main dé charné e et a prononcé le mot terrible: Garamond! Je me suis senti brû ler d'une flamme inté rieure. Je me suis enfui (dans la nuit). Il a fallu un an pour que Dee me pardonnâ t et me dé diâ t son Quatriè me Livre des Mystè res, « post reconciliationem kellianam ». Habitants masqué s des plafonds, attention! Dee m'a convoqué à Mortlake: à part moi, il y avait William, Spenser et un jeune homme aristocratique au regard fuyant, Francis Bacon. He had a dé licate, lively, hazel Eie. Doctor Dee told me it was like the Eie of a Viper. Dee nous a mis au courant d'une partie du Complot Cosmique. Il s'agissait de rencontrer à Paris l'aile franque des Templiers, et de ré unir deux parties d'une seule et mê me carte. Dee et Spenser partiraient, accompagné s de Pedro Nuñ ez. A moi et à Bacon, il confia certains documents, sous serment, à ouvrir au cas où ils ne reviendraient pas. Ils revinrent, s'abreuvant d'insultes à qui mieux mieux. – Ce n'est pas possible, disait Dee, le Plan est mathé matique, il a la perfection astrale de ma Monas Ierogliphica. Nous devions les rencontrer, c'é tait la nuit de la Saint‑ Jean. J'ai horreur d'ê tre sous‑ estimé. Je dis: – La nuit de la Saint‑ Jean pour nous ou pour eux? Dee se donna une tape sur le front, et se mit à vomir d'é pouvantables jurons. – Oh, dit‑ il, from what power hast thou this powerful might? Le pâ le William notait la phrase, le vil plagiaire. Dee consultait, fé brile, des almanachs et des é phé mé rides. – Sang de Dieu, Nom de Dieu, comment ai‑ je pu ê tre aussi stupide? Il insultait Nuñ ez et Spenser: – Il faut donc que je pense à tout? Cosmographes de mes deux, hurla‑ t‑ il, livide, à Nuñ ez. Et puis: – Amasaniel Zorobabel, cria‑ t‑ il. Et Nuñ ez fut frappé, comme par un bé lier invisible, à l'estomac, il recula, pâ le, de quelques pas, et il s'affaissa par terre. – Imbé cile, lui dit Dee. Spenser é tait pâ le. Il dit pé niblement: – On peut lancer un appâ t. Je suis en train de terminer un poè me, une allé gorie sur la reine des fé es, où j'é tais tenté de mettre un Chevalier à la Croix Rouge... Laissez‑ moi é crire. Les vrais Templiers se reconnaî tront, ils comprendront que nous savons, et ils prendront contact avec nous... – Je te connais, lui dit Dee. Avant que tu aies é crit et que les gens remarquent ton poè me, il passera un lustre et mê me davantage. Mais l'idé e de l'appâ t n'est pas idiote. – Pourquoi ne communiquez‑ vous pas avec eux au moyen de vos anges, docteur? lui demandai‑ je. – Imbé cile, dit‑ il de nouveau, et cette fois‑ ci en s'adressant à moi. Tu n'as pas lu Trithè me? Les anges du destinataire interviennent pour mettre au clair un message, s'il le reç oit. Mes anges ne sont pas des courriers à cheval. Les Franç ais sont perdus. Mais j'ai un plan. Je sais comment trouver quelqu'un de la gé né ration allemande. Il faut aller à Prague. Nous entendî mes un bruit, une lourde portiè re de damas se soulevait; nous entrevî mes une main diaphane, puis Elle apparut, la Vierge Altiè re. – Majesté, dî mes‑ nous en nous agenouillant. – Dee, dit‑ Elle, je sais tout. Ne croyez pas que mes ancê tres ont sauvé les Chevaliers pour ensuite leur octroyer la domination du monde. J'exige, vous comprenez, qu'à la fin le secret soit l'apanage de la Couronne. – Majesté, je veux le secret, à tout prix, et je le veux pour la Couronne. Je veux en retrouver les autres possesseurs, si c'est le chemin le plus court, mais quand ils m'auront confié stupidement ce qu'ils savent, il ne me sera pas difficile de les é liminer, ou par le poignard ou par l'acqua‑ toffana. Sur le visage de la Reine Vierge se peignit un sourire atroce. – Ainsi c'est bien, dit‑ Elle, mon bon Dee... Je ne veux pas beaucoup, seulement le Pouvoir Total. A vous, si vous ré ussissez, la Jarretiè re. A toi, William – et Elle s'adressait, lubrique douceur, au petit parasite –, une autre jarretiè re, et une autre toison d'or. Suis‑ moi. Je susurrai à l'oreille de William: – Perforce I am thine, and that is in me... William me gratifia d'un regard d'onctueuse reconnaissance et suivit la reine, disparaissant derriè re la portiè re. Je tiens la reine! ..... Je fus avec Dee dans la Ville d'Or. Nous parcourions des passages é troits et malodorants, non loin du cimetiè re juif, et Dee me disait de faire attention. – Si la nouvelle du contact manqué s'est ré pandue, disait‑ il, les autres groupes doivent se remuer pour leur propre compte. Je crains les juifs, les hié rosolymitains ont ici, à Prague, trop d'agents... C'é tait le soir. La neige luisait, bleuâ tre. Devant la sombre entré e du quartier juif, les é ventaires de la foire de Noë l é taient accroupis avec, au milieu d'eux, tendue de drap rouge et é clairé e par des torches fumantes, la scè ne obscè ne d'un thé â tre de marionnettes. Mais sitô t aprè s, on passait sous une arcade de pierre de taille, et prè s d'une fontaine en bronze, dont les grilles laissaient pendre des stalactites de glace, s'ouvrait la voû te d'un autre passage. Sur de vieilles portes, des tê tes doré es de lion mordaient des anneaux de bronze. Un lé ger fré missement courait le long de ces murs, d'inexplicables râ les roulaient des toits bas et coulaient dans les ché neaux. Les maisons trahissaient une existence fantomatique, occultes dames de la vie... Un vieil usurier, enveloppé dans une simarre é limé e, nous effleura presque en passant, et il me sembla l'entendre murmurer: « Gardez‑ vous d'Athanasius Pernath... » Dee murmura à son tour: – Je crains un tout autre Athanasius... Et soudain nous fû mes dans la ruelle des Faiseurs d'Or... Ici, et les oreilles que je n'ai plus frissonnent à ce souvenir sous ma calotte râ pé e, tout à coup, dans l'obscurité d'un nouveau passage inattendu, se campa devant nous un gé ant, un horrible ê tre gris à l'expression atone, le corps catraphactaire à patine couleur bronze, appuyé sur un noueux bâ ton de bois blanc tourné en spirale. Une intense odeur de santal é manait de cette apparition. J'é prouvai une sensation d'effroi mortel, coagulé par enchantement, tout entier, dans cet ê tre qui é tait devant moi. Et pourtant, je ne pouvais dé tourner le regard de la boule de vapeur pâ le qui lui enveloppait les é paules, et c'est avec peine que j'arrivais à distinguer la face rapace d'un ibis é gyptien, et derriè re elle une multiplication de visages, cauchemars de mon imagination et de ma mé moire. Les contours du fantô me, qui se dé coupaient dans l'obscurité du passage, se dilataient et se ré tractaient, comme si une lente respiration miné rale envahissait la silhouette entiè re... Et – horreur – à la place des pieds, comme je le fixais, je vis sur la neige des moignons osseux dont la chair, grise et vide de sang, é tait remonté e jusqu'à la cheville en bourrelets gonflé s. Ô mes voraces souvenirs... – Le Golem! dit Dee. Puis il leva les deux bras au ciel, et sa simarre noire retombait avec ses amples manches au sol, comme pour cré er un cingulum, un cordon ombilical entre la position aé rienne des mains et la surface, ou les profondeurs, de la terre. – Jezebel, Malkhut, Smoke Gets in Your Eyes! dit‑ il. Et tout à trac le Golem se dissolut tel un châ teau de sable frappé par un coup de vent, nous fû mes presque aveuglé s par les particules de son corps d'argile qui se fragmentaient comme des atomes dans l'air, et à la fin nous eû mes à nos pieds un petit tas de cendres brû lé es. Dee se pencha, fouilla de ses doigts dé charné s dans cette poussiè re, et en retira un bout de parchemin qu'il cacha sur sa poitrine. Ce fut à ce point‑ là que surgit de l'ombre un vieux rabbin à la kippa graisseuse qui ressemblait beaucoup à ma calotte. – Le Docteur Dee, je suppose, dit‑ il. – Here Cornes Everybody, ré pondit humblement Dee, Rabbi Allevi. Quel plaisir de vous voir... Et l'autre: – Par hasard, n'avez‑ vous pas vu un ê tre en train de rô der dans les parages? – Un ê tre? dit Dee en feignant l'é tonnement. De quelle facture? – Au diable Dee, dit Rabbi Allevi. C'é tait mon Golem. – Votre Golem? Je n'en sais rien. – Attention à vous, docteur Dee, dit, livide, Rabbi Allevi. La partie que vous jouez vous dé passe. – J'ignore de quoi vous voulez parler, Rabbi Allevi, dit Dee. Nous sommes ici pour fabriquer quelques onces d'or à votre empereur. Nous ne sommes pas des né cromanciens de quatre sous. – Rendez‑ moi au moins le bout de parchemin, implora Rabbi Allevi. – Quel bout de parchemin? demanda Dee avec une diabolique ingé nuité. – Soyez maudit, docteur Dee, dit le rabbin. En vé rité, je vous le dis, vous ne verrez pas l'aube du siè cle nouveau. Et il s'é loigna dans la nuit en murmurant d'obscures consonnes sans aucune voyelle. Oh, Langue Diabolique et Sainte! Dee s'é tait adossé au mur humide du passage, le visage terreux, les cheveux dressé s sur la tê te, comme ceux du serpent. – Je connais Rabbi Allevi, dit‑ il. Je mourrai le 5 aoû t 1608, calendrier gré gorien. Et donc Kelley, aidez‑ moi à mettre en oeuvre mon projet. C'est vous qui devrez le mener à son terme. Gilding pale streams with heavenly alchymy, rappelez‑ vous. Je me le serais rappelé, et William avec moi, et contre moi. Il ne dit plus rien. La brume pâ le qui frotte son dos contre les vitres, la fumé e jaune qui frotte son dos contre les vitres, passait sa langue sur les angles du soir. Nous é tions maintenant dans une autre ruelle, des vapeurs blanchâ tres é manaient des grilles à ras de terre par où on apercevait des bouges aux murs de guingois, scandé s à travers une gradation de gris fuligineux... J'entrevis, alors qu'il descendait à tâ tons un escalier (aux marches anormalement orthogonales), la silhouette d'un vieil homme à la redingote é limé e et au grand chapeau haut de forme. Dee aussi le vit: – Caligari! s'exclama‑ t‑ il. Ici lui aussi, et chez Madame Sosostris, The Famous Clairvoyante! Il faut faire vite. Nous doublâ mes le pas et parvî nmes à la porte d'une bicoque, dans une venelle à l'é clairage douteux, sinistrement sé mite. Nous frappâ mes, la porte s'ouvrit comme par enchantement. Nous entrâ mes dans un vaste salon, orné de chandeliers à sept branches, té tragrammes en relief, é toiles de David en é ventail. Des vieux violons, couleur du glacis de tableaux anciens, s'entassaient à l'entré e sur une table d'une anamorphique irré gularité. Un grand crocodile pendait, momifié, de la haute voû te de l'antre, oscillant lé gè rement à la brise du soir, à la faible clarté d'une seule torche, ou de nombreuses – ou d'aucune. Sur le fond, devant une sorte de tente ou baldaquin, sous quoi se dressait un tabernacle, priant à genoux, murmurant sans trê ve et blasphé matoirement les soixante‑ douze Noms de Dieu, se trouvait un Vieux. Je sus, par une subite fulguration du Nous, que c'é tait Heinrich Khunrath. – Au solide Dee, dit celui‑ ci en se retournant et interrompant son oraison, que voulez‑ vous? Il avait l'air d'un tatou empaillé, d'un iguane sans age. – Khunrath, dit Dee, la troisiè me rencontre n'a pas eu lieu. Khunrath explosa en une horrible impré cation: – Lapis Exillis! Et alors? – Khunrath, dit Dee, vous pourriez lancer un appat et me mettre en contact avec la gé né ration templiè re allemande. – Voyons, dit Khunrath. Je pourrais demander à Maier, qui est en contact avec beaucoup de gens à la cour. Mais vous me direz alors le secret du Lait Virginal, du Four trè s Secret des Philosophes. Dee sourit – ô le sourire divin de ce Sage! Ensuite il se contracta comme en priè re et susurra tout bas: – Quand donc tu voudras convertir et ré soudre en eau ou en Lait Virginal le Mercure sublimé, mets‑ le sur la lamine entre la dent et l'é cuelle avec la Chose diligemment pulvé risé e, et ne le couvre point, mais fais que l'air chaud frappe la matiè re nue, administre‑ lui le feu de trois charbons, et garde‑ le vif pendant huit jours solaires, ensuite ô te‑ le et le broie bien sur le marbre tant qu'il ne sera pas devenu impalpable. Aprè s quoi, mets la matiè re dans un alambic de verre et la fais distiller au Balneum Mariae, dessus un chaudron d'eau, tellement qu'il ne touche point l'eau de deux doigts prè s, mais soit pendu en l'air, et simultané ment fais un feu dessous le bain. Alors, et seulement alors, bien que la matiè re du vif‑ argent ne touche point l'eau, né anmoins se trouvant dans ce ventre chaud et humide, elle se convertira en eau. – Maî tre, dit Khunrath en tombant à genoux et baisant la main dé charné e et diaphane du docteur Dee. Maî tre, ainsi ferai‑ je. Et toi tu auras ce que tu veux. Souviens‑ toi de ces mots: la Rose et la Croix. Tu en entendras parler. Dee s'enveloppa dans sa simarre comme dans une cape et il n'en sortait que ses yeux é tincelants et malins. – Allons, Kelley, dit‑ il. Cet homme est à nous dé sormais. Et toi, Khunrath, retiens le Golem loin de nous jusqu'à notre retour à Londres. Et aprè s, que Prague ne soit plus qu'un bû cher. Il fit mine de s'é loigner. Khunrath d'un pas rampant le saisit par le pan de son manteau: – Chez toi viendra peut‑ ê tre, un jour, un homme. Il voudra é crire sur toi. Sois un ami pour lui. – Donne‑ moi le Pouvoir, dit Dee avec une indicible expression sur son visage é macié, et sa fortune est assuré e. Nous sortî mes. Une dé pression au‑ dessus de l'Atlantique se dé plaç ait d'ouest en est en direction d'un anticyclone situé au‑ dessus de la Russie. – Allons à Moscou, lui dis‑ je. – Non, ré pondit‑ il, retournons à Londres. – A Moscou, à Moscou, murmurai‑ je, pris de folie. Tu savais bien, Kelley, que tu n'irais jamais. La Tour t'attendait. ..... Nous sommes revenus à Londres. Le docteur Dee a dit: – Ils cherchent d'arriver à la Solution avant nous. Kelley, tu é criras pour William quelque chose de... de diaboliquement insinuant sur eux. Ventre du dé mon, je l'ai bien fait, et puis William a trafiqué le texte et il a tout transposé de Prague à Venise. Dee s'é tait mis dans une colè re noire. Mais le pâ le, visqueux William se sentait proté gé par sa royale concubine. Et ç a ne lui suffisait pas. Comme, au fur et à mesure, je lui passais ses meilleurs sonnets, il me demandait, avec un regard effronté, de ses nouvelles à Elle, de tes nouvelles, my Dark Lady. Quelle horreur d'entendre ton nom sur ses lè vres de cabot (je ne savais pas que, esprit par damnation double et vicariant, il la cherchait pour Bacon). – Ç a suffit, lui ai‑ je dit. Je suis fatigué de bâ tir dans l'ombre ta gloire. É cris, toi, pour toi‑ mê me. – Je ne puis, m'a‑ t‑ il ré pondu, avec le regard de qui a vu un Lé mure. Il ne me le permet pas. – Qui, Dee? – Non, le Verulam. Tu ne t'es pas rendu compte que c'est lui dé sormais qui rè gle le jeu! Il me contraint à é crire les œ uvres qu'il se vantera ensuite d'avoir é crites. Tu as compris, Kelley, c'est moi qui suis le vrai Bacon, et la posté rité ne le saura pas. Ô parasite! Que je hais ce suppô t de Satan! – Bacon est un misé rable, mais il est doué, dis‑ je. Pourquoi n'é crit‑ il pas de sa propre main? J'ignorais qu'il n'en avait pas le temps. Nous nous en rendî mes compte quand, des anné es plus tard, l'Allemagne fut envahie par la folie rose‑ croix. Alors, en rassemblant des allusions dispersé es, des mots qui malaisé ment lui avaient é chappé, je compris que l'auteur des manifestes des Rose‑ Croix c'é tait lui. Il é crivait sous le faux nom de Johann Valentin Andreae! Je n'avais pas compris alors pour qui é crivait Andreae; à pré sent, depuis l'obscurité de cette cellule où je languis, plus lucide que don Isidro Parodi, à pré sent je sais. C'est Soapes, mon compagnon de prison, un ex‑ templier portugais, qui me l'a dit: Andreae é crivait un roman de chevalerie pour un Espagnol qui, en attendant, gisait dans une autre geô le. Je ne sais pas pourquoi, mais le projet servait à l'infâ me Bacon, qui aurait voulu passer à l'histoire comme l'auteur secret des aventures du chevalier de la Manche, et qui demandait à Andreae de lui ré diger en secret l'ouvrage dont ensuite il se serait fait passer pour le vrai auteur occulte, afin de pouvoir jouir dans l'ombre (mais pourquoi, mais pourquoi? ) du triomphe d'un autre. Mais je divague, maintenant que j'ai froid dans ce cachot, et j'ai mal au pouce. Je ré dige, à la pâ le lueur d'une lampe à huile moribonde, les derniè res œ uvres qui resteront sous le nom de William. ..... Le docteur Dee est mort en murmurant De la Lumiè re, plus de Lumiè re, et en demandant un cure‑ dents. Puis il a dit: Qualis Artifex Pereo! C'est Bacon qui l'a fait assassiner. Depuis des anné es, avant que la reine ne disparû t, dé glingué e d'esprit et de cœ ur, Verulam l'avait en quelque sorte sé duite. Dé sormais ses traits é taient alté ré s, elle é tait ré duite à l'é tat de squelette. Pour toute nourriture elle n'avalait plus qu'un petit pain blanc et une soupe de chicoré e. Elle gardait à sa hanche une é pé e et, dans ses moments de colè re, elle la plongeait avec violence dans les rideaux et les damas qui recouvraient les murs de sa retraite. (Et si derriè re il y avait eu quelqu'un, à l'é coute? Ou un rat, un rat? Bonne idé e vieux Kelley, il faut que je la note. ) La vieille ré duite à cet é tat, il fut facile à Bacon de lui faire accroire qu'il é tait William, son bâ tard – comme il se pré sentait à ses genoux, elle, devenue aveugle, lui, recouvert de la peau d'un mouton. La Toison d'or! On a dit qu'il visait le trô ne, mais je savais qu'il voulait bien autre chose, la mainmise sur le Plan. Ce fut alors qu'il devint vicomte de Saint‑ Albans. Et, comme il se sentit fort, é limina Dee. ..... La reine est morte, vive le roi... J'é tais dé sormais un té moin gê nant. Il m'a attiré dans un piè ge, un soir où, enfin, la Dark Lady aurait pu ê tre mienne, et dansait enlacé e à moi, perdue sous le contrô le d'herbes capables de donner des visions, elle la Sophia é ternelle au visage ridé de vieille chè vre... Il est entré avec une poigné e d'hommes armé s, m'a fait couvrir les yeux avec un chiffon, j'ai compris d'un coup: le vitriol! Et comme elle riait, Elle, comme tu riais, toi, Pin Ball Lady – oh maiden virtue rudely strumpeted, oh gilded honor shamefully misplac'd! – tandis qu'il te touchait de ses mains rapaces, et toi tu l'appelais Simon, et tu lui baisais sa sinistre cicatrice...
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