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N'est‑ ce pas toi que je cherchais? Peut‑ ê tre suis‑ je ici à t'attendre toujours toi. Chaque fois je t'ai perdue parce que je ne t'ai pas reconnue? Chaque fois je t'ai perdue parce que je t'ai reconnue et n'ai pas osé ? Chaque fois je t'ai perdue parce qu'en te reconnaissant je savais que je devais te perdre?

Mais où es‑ tu passé e hier soir? Je me suis ré veillé ce matin, et j'avais mal à la tê te.

 

– 70 –

Nous sû mes cependant garder en mé moire les allusions secrè tes à une pé riode de 120 anné es que frè re A..., le successeur de D. et dernier de la deuxiè me gé né ration – qui vé cut avec nombre d'entre nous – confia à nous, repré sentants de la troisiè me gé né ration...

Fama Fraternitatis, in Allgemeine und general Reformation, Cassel, Wessel, 1614.

Je me pré cipitai pour lire en entier les deux manifestes des Rose‑ Croix, la Fama et la Confessio. Et je donnai un coup d'oeil aux Noces Chimiques de Christian Rosencreutz, de Johann Valentin Andreae, parce qu'Andreae é tait l'auteur pré sumé des manifestes.

Les deux manifestes avaient paru en Allemagne, entre 1614 et 1616. Une trentaine d'anné es aprè s la rencontre de 1584 entre Franç ais et Anglais, mais presque un siè cle avant que les Franç ais dussent faire la jonction avec les Allemands.

Je lus les manifestes avec le propos de ne pas croire à ce qu'ils disaient, mais de les voir en transparence, comme s'ils disaient autre chose. Je savais que pour leur faire dire autre chose, il fallait que je saute des passages, et que je considè re certaines propositions comme plus importantes que d'autres. Mais c'é tait exactement ce que les diaboliques et leurs maî tres nous enseignaient. Si l'on é volue dans le temps subtil de la ré vé lation, on ne doit pas suivre les chaî nes minutieuses et obtuses de la logique et leurs monotones sé quences. Par ailleurs, à les prendre à la lettre, les deux manifestes é taient une accumulation d'absurdité s, d'é nigmes, de contradictions.

Ils ne pouvaient donc pas dire ce qu'ils disaient en apparence, par consé quent ils n'é taient ni un appel à une profonde ré forme spirituelle, ni l'histoire du pauvre Christian Rosencreutz. Ils é taient un message codé à lire en leur superposant une grille et une grille laisse libres certains espaces, en couvre d'autres. Comme le message chiffré de Provins, où comptaient seules les initiales. Moi je n'avais pas de grille, mais il suffisait d'en supposer une, et pour la supposer il fallait lire avec mé fiance.

Que les manifestes aient parlé du Plan de Provins, c'é tait indubitable. Dans la tombe de C. R. (allé gorie de la Grange‑ aux‑ Dî mes, la nuit du 23 juin 1344! ) avait é té mis en ré serve un tré sor afin que le dé couvrî t la posté rité, un tré sor « caché... pendant cent vingt ans ». Que ce tré sor ne fû t pas d'un genre pé cuniaire, c'é tait tout aussi clair. Non seulement on polé miquait avec l'avidité ingé nue des alchimistes, mais on disait ouvertement que ce qui avait é té promis é tait un grand changement historique. Et si quelqu'un n'avait pas encore compris, le manifeste suivant ré pé tait qu'on ne devait pas ignorer une offre qui concernait les miranda sextae aetatis (les merveilles du sixiè me et ultime rendez‑ vous! ) et on ré ité rait: « Si seulement il avait plu à Dieu de porter jusqu'à nous la lumiè re de son sixiè me Candelabrum... si on pouvait lire tout dans un seul livre et si, le lisant, on comprenait et se rappelait ce qui a é té... Comme ce serait plaisant si on pouvait transformer par le chant (du message lu à voix haute! ) les roches (lapis exillis! ) en perles et pierres pré cieuses... » Et on parlait encore d'arcanes secrets, et d'un gouvernement qui aurait dû ê tre instauré en Europe, et d'un « grand oeuvre » à accomplir...

On disait que C. R. é tait allé en Espagne (ou au Portugal? ) et qu'il avait montré aux doctes de là ‑ bas « où puiser aux vrais indicia des siè cles futurs », mais en vain. Pourquoi en vain? Parce qu'un groupe templier allemand, au dé but du XVIIe siè cle, mettait sur la place publique un secret trè s jalousement gardé, comme s'il fallait sortir à dé couvert pour ré agir à quelque blocage du processus de transmission?

Personne ne pouvait nier que les manifestes tentaient de reconstituer les phases du Plan telles que les avait synthé tisé es Diotallevi. Le premier frè re dont on signalait la mort, ou le fait qu'il é tait parvenu au« terme », é tait le frè re I. O. qui mourait en Angleterre. Quelqu'un é tait donc arrivé triomphalement au premier rendez‑ vous. Et on mentionnait une deuxiè me et une troisiè me gé né ration. Et jusque‑ là tout aurait dû ê tre ré gulier: la deuxiè me gé né ration, l'anglaise, rencontre la troisiè me gé né ration, la franç aise, en 1584, et des gens qui é crivent au dé but du XVIIe peuvent parler seulement de ce qui est arrivé aux trois premiers groupes. Dans les Noces chimiques, é crites par le jeune Andreae, et donc avant les manifestes (mê me si elles paraissent en 1616), on mentionnait trois temples majestueux, les trois lieux qui auraient dé jà dû ê tre connus.

Cependant, je me rendais compte que les deux manifestes parlaient, certes, dans les mê mes termes, mais comme s'il s'é tait produit quelque chose d'inquié tant.

Par exemple, pourquoi tant insister sur le fait que le temps é tait venu, qu'é tait venu le moment, bien que l'ennemi eû t mis en œ uvre toutes ses ruses pour que l'occasion ne se concré tisâ t pas? Quelle occasion? On disait que le but final de C. R. é tait Jé rusalem, mais qu'il n'avait pas pu y arriver. Pourquoi? On louait les Arabes parce que eux, ils é changeaient des messages, tandis qu'en Allemagne les doctes ne savaient pas s'aider les uns les autres. Et il é tait fait allusion à « un groupe plus grand qui veut accaparer toute la pâ ture pour soi ». Ici, non seulement on parlait de quelqu'un qui cherchait à renverser le Plan pour suivre un inté rê t particulier, mais aussi d'un renversement effectif.

La Fama disait qu'au dé but quelqu'un avait é laboré une é criture magique (mais bien sû r! le message de Provins) « encore que l'horloge divine enregistre toutes les minutes et que nous ayons peine à sonner les heures pleines ». Qui avait manqué aux battements de l'horloge divine, qui n'avait pas su arriver à un certain point au bon moment? On faisait allusion à un noyau originaire de frè res qui auraient pu ré vé ler une philosophie secrè te, mais ils avaient dé cidé de se disperser à travers le monde.

Les manifestes dé nonç aient un malaise, une incertitude, un sentiment de dé sarroi. Les frè res des premiè res gé né rations avaient fait en sorte d'ê tre remplacé s chacun « par un successeur digne », mais « ils avaient dé cidé de tenir caché... le lieu de leur sé pulture, ce qui explique que nous l'ignorions encore aujourd'hui ».

A quoi faisait‑ on allusion? Qu'est‑ ce qu'on ignorait? De quel « sé pulcre » n'avait‑ on pas l'adresse? Il é tait é vident que les manifestes avaient é té é crits parce qu'une certaine information avait é té perdue, et on faisait appel à qui, par hasard, la connaî trait, afin qu'il se manifestâ t.

La fin de la Fama est sans é quivoque: « Nous demandons de nouveau à tous les doctes en Europe... de mesurer d'un esprit ré flé chi la priè re que nous leur adressons... de nous communiquer le ré sultat de leurs ré flexions... Car, mê me si pour l'heure nous n'avons pas encore ré vé lé nos noms... quiconque nous fera parvenir son propre nom pourra s'entretenir avec nous de vive voix, ou – s'il existait quelque empê chement – par é crit. »

Exactement ce que se proposait de faire le colonel en publiant son histoire. Contraindre quelqu'un à sortir du silence.

Il y avait eu un saut, une pause, une parenthè se, une incohé rence. Dans le sé pulcre de R. C. il n'y avait pas é crit seulement post 120 annos patebo, pour rappeler le rythme des rendez‑ vous, mais aussi Nequaquam vacuum. Non pas « le vide n'existe pas », mais bien « le vide ne devrait pas exister ». Et, en revanche, il s'é tait cré é un vide qui devait ê tre comblé !

 

Mais une fois encore je me demandais: pourquoi ces considé rations é taient‑ elles faites en Allemagne où, tout au plus, la quatriè me gé né ration devait simplement attendre avec une sainte patience que vî nt son tour? Les Allemands ne pouvaient pas se dé soler – en 1614 – d'un rendez‑ vous manqué à Marienburg, puisque le rendez‑ vous de Marienburg é tait pré vu pour 1704!

Seule une conclusion é tait possible: les Allemands protestaient que ne se fû t pas produit le rendez‑ vous pré cé dent!

Voilà la clef! Les Allemands de la quatriè me gé né ration dé ploraient que les Anglais de la deuxiè me gé né ration eussent manqué les Franç ais de la troisiè me gé né ration! Mais bien sû r. On pouvait repé rer dans le texte des allé gories d'une transparence franchement pué rile: on ouvre le tombeau de C. R. et on y dé couvre les signatures des frè res du premier et du deuxiè me cercle, mais pas du troisiè me! Portugais et Anglais sont là, mais où sont les Franç ais?

En somme, les deux manifestes rose‑ croix faisaient allusion, si on savait les lire, au fait que les Anglais avaient manqué les Franç ais. Et selon ce que nous avions é tabli de notre cô té, les Anglais é taient les seuls à savoir où ils auraient pu trouver les Franç ais, et les Franç ais les seuls à savoir où trouver les Allemands. Mais mê me si, en 1704, les Franç ais avaient dé niché les Allemands, ils se seraient pré senté s sans les deux tiers de ce qu'ils devaient remettre.

Les Rose‑ Croix sortent à dé couvert, risquant ce qu'ils risquent, car c'est là l'unique faç on de sauver le Plan.

 

– 71 –

Nous ne savons donc pas avec certitude si les Frè res de la deuxiè me gé né ration ont possé dé la mê me sapience que ceux de la premiè re, et s'ils ont eu accè s à tous les mystè res.

Fama Fraternitatis, in Allgemeine und general Reformation, Cassel, Wessel, 1614.

Je le dis pé remptoirement à Belbo et à Diotallevi: ils convinrent que le sens secret des manifestes é tait trè s ouvert, mê me pour un occultiste.

« A pré sent tout est clair, dit Diotallevi. Nous nous é tions entê té s à penser que le Plan s'é tait bloqué dans le passage entre Allemands et pauliciens, et en revanche il s'é tait arrê té en 1584 dans le passage entre Angleterre et France.

– Mais pourquoi? demanda Belbo. Avons‑ nous une bonne raison pour que, en 1584, les Anglais ne parviennent pas à concré tiser le rendez‑ vous avec les Franç ais? Les Anglais savaient où é tait le Refuge, mieux, ils é taient les seuls à le savoir. »

Il voulait la vé rité. Et il activa Aboulafia. Il demanda, pour essayer, une connexion de deux donné es seulement. Et l'output fut:

Minnie est la fiancé e de Mickey

Trente jours a novembre avec avril juin et septembre

 

« Comment interpré ter? demanda Belbo. Minnie a un rendez‑ vous avec Mickey, mais par erreur elle le lui donne le 31 septembre et Mickey...

– Arrê tez tous! dis‑ je. Minnie aurait pu commettre une erreur seulement si elle avait donné son rendez‑ vous le 5 octobre de l'anné e 1582!

– Et pourquoi?

– La ré formation gré gorienne du calendrier! Mais c'est normal. En 1582, entre en vigueur la ré formation gré gorienne qui corrige le calendrier julien, et, pour ré tablir l'é quilibre, elle abolit dix jours du mois d'octobre, du 5 au 14!

– Mais le rendez‑ vous en France est pour l'anné e 1584, la nuit de la Saint‑ Jean, le 23 juin, dit Belbo.

– En effet. Mais si mes souvenirs sont bons, la ré formation n'est pas entré e tout de suite en vigueur partout. » Je consultai le Calendrier Perpé tuel que nous avions sur les é tagè res. « Voici, la ré formation est promulgué e en 1582, et on abolit les jours du 5 au 14 octobre, mais cela ne marche que pour le pape. La France adopte la ré formation en 1583 et abolit les jours du 10 au 19 dé cembre. En Allemagne, un schisme a lieu et les religions catholiques adoptent la ré formation en 1584, comme en Bohê me, tandis que les religions protestantes l'adoptent en 1775, vous comprenez, presque deux cents ans aprè s, pour ne rien dire de la Bulgarie – c'est là une donné e à tenir pré sente – qui l'adopte seulement en 1917. Voyons maintenant l'Angleterre... Elle passe à la ré formation gré gorienne en 1752! Normal, en haine des papistes, ces anglicans ré sistent eux aussi pendant deux siè cles. Et alors vous comprenez ce qui s'est passé. La France abolit dix jours à la fin de l'anné e 1583 et pour le mois de juin 1584, tout le monde s'est habitué. Mais quand, en France, c'est le 23 juin 1584, en Angleterre c'est encore le 13 juin, et vous pouvez imaginer si un brave Anglais, tout templier qu'il soit, et surtout en ces temps où les informations allaient encore au ralenti, a tenu compte de cette histoire. Ils conduisent à gauche encore aujourd'hui et ils ignorent le systè me mé trique dé cimal... Par consé quent, les Anglais se pré sentent au Refuge leur 23 juin, qui, pour les Franç ais, est dé sormais le 3 juillet. A pré sent, supposez que le rendez‑ vous ne dû t pas avoir lieu en fanfare, fû t une rencontre furtive dans un coin pré cis et à une heure pré cise. Les Franç ais vont sur place le 23 juin; ils attendent un, deux, trois, sept jours, et puis ils s'en vont en pensant qu'il est arrivé quelque chose. Et peut‑ ê tre renoncent‑ ils, dé sespé ré s, juste à la veille du 2 juillet. Les Anglais arrivent le 3 juillet et ne trouvent personne. Et peut‑ ê tre attendent‑ ils eux aussi huit jours, et ils continuent à ne trouver personne. A ce point‑ là, les deux grands maî tres se sont perdus.

– Sublime, dit Belbo. Ç a s'est passé comme ç a. Mais pourquoi ce sont les Rose‑ Croix allemands qui se remuent, et pas les anglais? »

 

Je demandai un jour de plus, fouillai dans mon fichier et revins au bureau rayonnant d'orgueil. J'avais trouvé une piste, apparemment minime, mais c'est ainsi que travaille Sam Spade, rien n'est insignifiant à son regard d'aigle. Vers 1584, John Dee, magicien et kabbaliste, astrologue de la reine d'Angleterre, est chargé d'é tudier la ré formation du calendrier julien!

« Les Anglais ont rencontré les Portugais en 1464. Aprè s cette date, il semble que les î les britanniques sont saisies d'une ferveur kabbalistique. On travaille sur ce qu'on a appris, en se pré parant à la prochaine rencontre. John Dee est le chef de file de cette renaissance magique et hermé tique. Il se constitue une librairie personnelle de quatre mille volumes qui a l'air d'ê tre organisé e par les Templiers de Provins. Sa Monas Ierogliphica paraî t directement inspiré e de la Tabula Smaragdina, bible des alchimistes. Et que fait John Dee à partir de 1584? Il lit la Steganographia de Trithè me! Et il la lit sur manuscrit, parce qu'elle sortira pour la premiè re fois imprimé e dans les premiè res anné es du XVIIe seulement. Grand maî tre du noyau anglais qui a subi l'é chec du rendez‑ vous manqué, Dee veut dé couvrir ce qui s'est passé, où l'erreur a eu lieu. Et comme il est aussi un bon astronome, il se frappe le front et dit quel imbé cile j'ai é té. Et il se met à é tudier la ré formation gré gorienne, en obtenant un apanage d'Elisabeth, pour voir comment ré parer l'erreur. Mais il se rend compte qu'il est trop tard. S'il ne sait pas avec qui prendre contact en France, il a des contacts avec l'aire mitteleuropé enne. La Prague de Rodolphe II est un laboratoire alchimique, et, de fait, c'est pré cisé ment dans ces anné es‑ là que Dee va à Prague et rencontre Khunrath, l'auteur de cet Amphitheatrum sapientiae aeternae dont les tables allé goriques inspireront aussi bien Andreae que les manifestes rose‑ croix. Quels rapports é tablit Dee? Je l'ignore. Ravagé par le remords d'avoir commis une erreur irré parable, il meurt en 1608. N'ayez crainte: à Londres se met en branle une autre personnalité qui, dé sormais d'un consentement universel, a é té un Rose‑ Croix et a parlé des Rose‑ Croix dans la Nouvelle Atlantide. Je veux dire Francis Bacon.

– Vraiment, Bacon en parle? demanda Belbo.

– Pas vraiment, c'est un certain John Heydon qui ré crit la Nouvelle Atlantide sous le titre de The Holy Land, et il y fait entrer les Rose‑ Croix. Mais pour nous c'est parfait comme ç a. Mê me si Bacon n'en parle pas ouvertement, pour d'é videntes raisons de discré tion, c'est comme s'il en parlait.

– Et qui n'est pas d'accord, que la peste l'emporte.

– Exact. Et c'est justement sous l'inspiration de Bacon qu'on cherche à resserrer encore davantage les rapports entre milieu anglais et milieu allemand. En 1613, ont lieu les noces entre É lisabeth, fille de Jacques Ier qui est maintenant sur le trô ne, et Fré dé ric V, É lecteur palatin du Rhin. Aprè s la mort de Rodolphe II, Prague n'est plus le lieu approprié, et c'est Heidelberg qui le devient. Les noces du prince et de la princesse sont un triomphe d'allé gories templiè res. Au cours des cé ré monies londoniennes, c'est Bacon soi‑ mê me qui s'occupe de la mise en scè ne, où l'on repré sente une allé gorie de la chevalerie mystique avec une apparition de Chevaliers au sommet d'un coteau. Il est clair que Bacon, ayant succé dé à Dee, est doré navant grand maî tre du noyau templier anglais...

–... et comme il est d'é vidence l'auteur des drames de Shakespeare, nous devrions relire aussi tout Shakespeare, qui certainement ne parlait de rien d'autre que du Plan, dit Belbo. Nuit de la Saint‑ Jean, songe d'une nuit d'é té, de mi‑ é té, plus pré cisé ment.

– Le 23 juin, c'est le tout dé but de l'é té, pas le Midsummer.

– Une licence poé tique de plus. Je me demande comment il se fait que personne n'ait jamais pensé à ces symptô mes, à ces é vidences. Tout me semble d'une clarté presque insupportable.

– Nous avons é té é garé s par la pensé e rationaliste, fit Diotallevi, je l'ai toujours dit.

– Laisse continuer Casaubon, il m'a l'air d'avoir fait de l'excellent travail.

– Quelques mots seulement. Aprè s les fê tes londoniennes, dé butent les festivité s à Heidelberg, où Salomon de Caus avait construit pour l'É lecteur les jardins suspendus dont nous avons vu une pâ le é vocation, un certain soir, dans le Pié mont, comme vous vous en souviendrez. Au cours de ces ré jouissances, surgit un char allé gorique qui cé lè bre l'é poux comme un Jason, et aux deux mâ ts du navire repré senté sur le char apparaissent les symboles de la Toison d'or et de la Jarretiè re, et j'espè re que vous n'avez pas oublié que Toison d'or et Jarretiè re apparaissent aussi sur les colonnes de Tomar... Tout coï ncide. En l'espace d'un an paraissent les manifestes rose‑ croix, le signal que les Templiers anglais, se pré valant de l'aide de quelques amis allemands, lancent à travers toute l'Europe afin de renouer les fils du Plan interrompu.

– Mais où veulent‑ ils en venir? »

 

– 72 –

Nos inuisibles pretendus sont (à ce que l'on dit) au nombre de 36, separez en six bandes.

Effroyables pactions faictes entre le diable & les pretendus Inuisibles, Paris, 1623, p. 6.

« Peut‑ ê tre tentent‑ ils une double opé ration, d'un cô té lancer un signal aux Franç ais et de l'autre renouer les fils é parpillé s du noyau allemand, qui a é té probablement fragmenté par la Ré forme luthé rienne. Mais c'est justement en Allemagne qu'arrive le plus gros embrouillamini. De la sortie des manifestes jusqu'à 1621 environ, leurs auteurs reç oivent trop de ré ponses... »

Je citai quelques‑ unes des innombrables plaquettes qui avaient paru sur le sujet, celles avec lesquelles je m'é tais amusé une nuit à Salvador avec Amparo. « Il est probable que dans le tas il y en a un qui sait quelque chose, mais il se confond au milieu d'une plé thore d'exalté s, d'enthousiastes qui prennent à la lettre les manifestes, de provocateurs peut‑ ê tre, qui essaient d'empê cher l'opé ration, de cafouilleux... Les Anglais cherchent à intervenir dans le dé bat, à le ré gler; ce n'est pas un hasard si Robert Fludd, autre templier anglais, en l'espace d'une anné e, é crit trois ouvrages pour suggé rer la bonne interpré tation des manifestes... Mais la ré action est dé sormais incontrô lable; la guerre de Trente Ans a commencé ; l'É lecteur palatin a é té vaincu par les Espagnols; le Palatinat et Heidelberg sont terre de pillage, la Bohê me est en flammes... Les Anglais dé cident de se replier sur la France et d'essayer là ‑ bas. Voilà pourquoi, en 1623, les Rose‑ Croix se manifestent avec leurs proclamations à Paris, et adressent aux Franç ais plus ou moins les mê mes offres qu'ils avaient adressé es aux Allemands. Et que lit‑ on dans l'un des libelles é crits contre les Rose‑ Croix à Paris, par quelqu'un qui se mé fiait d'eux ou voulait troubler les eaux? Qu'ils é taient des adorateurs du diable, é videmment, mais comme on ne parvient pas à gommer la vé rité, mê me dans la calomnie, on insinue qu'ils se ré unissaient dans le Marais.

– Et alors?

– Mais vous ne connaissez pas Paris? Le Marais, c'est le quartier du Temple et, le hasard fait bien les choses, le quartier du ghetto juif! A part le fait que ces libelles disent que les Rose‑ Croix sont en contact avec une secte de kabbalistes ibé riques, les Alumbrados! Peut‑ ê tre les pamphlets contre les Rose‑ Croix, sous couvert d'attaquer les trente‑ six Invisibles, cherchent‑ ils à favoriser leur identification... Gabriel Naudé, bibliothé caire de Richelieu, é crit des Instructions à la France sur la vé rité de l'histoire des Frè res de la Rose‑ Croix. Quelles instructions? Est‑ ce un porte‑ parole des Templiers de la troisiè me gé né ration, est‑ ce un aventurier qui s'introduit dans un jeu qui n'est pas le sien? D'une part, on dirait qu'il veut faire lui aussi passer les Rose‑ Croix pour des diabolistes de quatre sous; d'autre part, il lance des insinuations, il dit qu'il y a encore trois collè ges rose‑ croix de par le monde, et ce serait vrai: aprè s la troisiè me gé né ration, il y en a encore trois. Il donne des indications qui touchent au fabuleux (l'un se trouve en Inde dans les î les flottantes), mais il suggè re qu'un des collè ges est situé dans les souterrains de Paris.

– Personnellement, vous croyez que tout ç a explique la guerre de Trente Ans? demanda Belbo.

– Sans aucun doute, dis‑ je, Richelieu tient de Naudé des informations privilé gié es, il veut mettre la main à la pâ te dans cette histoire, mais il rate tout, intervient militairement et brouille encore plus les cartes. Cependant, je ne né gligerais pas deux autres faits. En 1619, se ré unit le chapitre des Chevaliers du Christ, à Tomar, aprè s quarante‑ six ans de silence. Il s'é tait ré uni en 1573, peu d'anné es avant 1584, probablement pour pré parer le voyage à Paris avec les Anglais, et, aprè s l'affaire des manifestes rose‑ croix, il se ré unit de nouveau pour dé cider quelle ligne suivre: s'associer à l'opé ration des Anglais ou tenter d'autres voies.

– Bien sû r, dit Belbo, ce sont dé sormais des gens é garé s dans un labyrinthe: qui choisit une voie, qui en choisit une autre, on fait courir des bruits, on ne comprend pas si les ré ponses qu'on entend sont la voix de quelqu'un d'autre ou un é cho de sa propre voix... Ils avancent tous à tâ tons. Et que pourront bien faire, entre‑ temps, pauliciens et hié rosolymitains?

– On aimerait bien le savoir, dit Diotallevi. Mais je ne né gligerais pas le fait que c'est à cette é poque que se ré pand la Kabbale luriane et qu'on commence à parler du Bris des Vases... Et à cette é poque circule de plus en plus l'idé e de la Torah comme message incomplet. Il existe un é crit assidien polonais qui dit: s'il s'é tait en revanche produit un autre é vé nement, d'autres combinaisons de lettres seraient né es. Pourtant, bien entendu, les kabbalistes n'aiment pas que les Allemands aient voulu devancer les temps. La juste succession et l'ordre de la Torah sont resté s caché s, et ils ne sont connus que du Saint, loué soit‑ Il. Mais ne me faites pas dire des folies. Si la sainte Kabbale aussi est impliqué e dans le Plan...

– Si Plan il y a, il doit tout impliquer. Ou il est global ou il n'explique rien, dit Belbo. Mais Casaubon avait parlé d'un second indice.

– Oui. Et mê me, c'est une sé rie d'indices. Encore avant que la rencontre de l'anné e 1584 ne rate, John Dee avait commencé à s'occuper d'é tudes cartographiques et à organiser des expé ditions navales. Et acoquiné avec qui? Avec Pedro Nuñ ez, cosmographe royal du Portugal... Dee joue de son influence sur les voyages de dé couverte pour le passage au nord‑ est vers le Cathay; il investit de l'argent dans l'expé dition d'un certain Frobisher, qui pousse jusque vers le Pô le et en revient avec un Esquimau, que tout le monde prend pour un Mongol; il aiguillonne Francis Drake et l'incite à faire son voyage autour du monde; il veut qu'on voyage vers l'est parce que l'est est le principe de toute connaissance occulte, et, au dé part de je ne sais plus quelle expé dition, il é voque les anges.



  

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