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FILENAME : ABOU 32 страница



Ensuite notre guide nous emmena voir la fenê tre manué line, la janela par excellence, un chantournage, un collage de trouvailles marines et sous‑ marines, algues, coquilles, ancres, cordes et chaî nes, destiné es à cé lé brer les pé ripé ties océ anes des Chevaliers. Cependant, de chaque cô té de la fenê tre, comme pour boucler dans une ceinture les deux tours qui l'encadraient, on voyait sculpté s les insignes de la Jarretiè re. Que venait faire le symbole d'un ordre anglais dans ce monastè re fortifié portugais? Le guide ne sut pas nous le dire, mais peu aprè s, sur un autre cô té, le nord‑ est je crois, il nous montra les insignes de la Toison d'or. Je ne pus m'empê cher de songer au jeu subtil d'alliances qui unissait la Jarretiè re à la Toison d'or, celle‑ ci aux Argonautes, les Argonautes au Graal, le Graal aux Templiers. Je me rappelais les affabulations d'Ardenti et plus d'une page trouvé e dans les manuscrits des diaboliques... Je sursautai quand notre guide nous fit visiter une salle secondaire au plafond serré dans quelques claveaux. C'é taient de petites rosettes, mais sur certaines je vis sculpté e une face barbue et vaguement caprine. Baphomet...

Nous descendî mes dans une crypte. Aprè s sept marches, une pierre nue mè ne à l'abside, où pourrait se dresser un autel ou un siè ge du grand maî tre. On y parvient en passant sous sept clefs de voû te, chacune en forme de rose, plus grande l'une que l'autre, et la derniè re, plus ouverte, surplombe un puits. La croix et la rose, et dans un monastè re templier, et dans une salle certainement construite avant les manifestes rose‑ croix... Je posai quelques questions au guide, qui sourit: « Si vous saviez le nombre de chercheurs en sciences occultes qui viennent là en pè lerinage... On dit qu'ici é tait la salle d'initiation... »

En pé né trant par hasard dans une salle non encore restauré e, aux rares meubles poussié reux, je trouvai le pavement encombré de grosses caisses de carton. Je fouillai au petit bonheur, et me tombè rent sous les yeux des lambeaux de volumes en hé breu, probablement du XVIIe siè cle. Qu'est‑ ce qu'ils faisaient à Tomar, les Juifs? Le guide me dit que les Chevaliers entretenaient de bonnes relations avec la communauté juive locale. Il me fit mettre à la fenê tre et me montra un jardin à la franç aise, structuré comme un petit, é lé gant labyrinthe. Œ uvre, me dit‑ il, d'un architecte juif du XVIIIe siè cle, Samuel Schwartz.

Le deuxiè me rendez‑ vous à Jé rusalem... Et le premier au Châ teau. N'est‑ ce pas ce que disait le message de Provins? Bon Dieu, le Châ teau de l'Ordonation trouvé par Ingolf n'é tait pas l'improbable Montsalvat des romans de chevalerie, Avalon l'Hyperboré enne. S'ils avaient dû fixer un premier lieu de ré union, qu'auraient pu choisir les Templiers de Provins, plus accoutumé s à diriger des capitaineries qu'à lire des romans de la Table Ronde? Mais Tomar, le châ teau des Chevaliers du Christ, un lieu où les survivants de l'Ordre jouissaient d'une pleine liberté, de garanties inchangé es, et où ils é taient en contact avec les agents du deuxiè me groupe!

Je repartis de Tomar et du Portugal avec l'esprit en flammes. Voilà que je prenais enfin au sé rieux le message que nous avait exhibé Ardenti. Les Templiers, s'é tant constitué s en Ordre secret, é laborent un plan qui doit durer six cents ans et se ré aliser à notre siè cle. Les Templiers é taient des gens ré flé chis. Par consé quent, s'ils parlaient d'un châ teau, ils parlaient d'un lieu vrai. Le plan partait de Tomar. Et alors, quel aurait dû ê tre le parcours idé al? Quelle, la suite des cinq autres rendez‑ vous? Des lieux où les Templiers pourraient compter sur des amitié s, des protections, des complicité s. Le colonel parlait de Stonehenge, Avalon, Agarttha... Sottises. Le message é tait à relire tout entier.

Naturellement, me disais‑ je en rentrant chez moi, il ne s'agit pas de dé couvrir le secret des Templiers, mais de le construire.

 

Belbo paraissait contrarié à l'idé e de revenir au document que le colonel lui avait laissé, et il le retrouva en fouillant à contrecœ ur dans le dernier tiroir de son bureau. Je remarquai, cependant, qu'il l'avait conservé. Nous relû mes ensemble le message de Provins. Aprè s tant d'anné es.

 

 

Il dé butait par la phrase chiffré e selon Trithè me: Les XXXVI inuisibles separez en six bandes. Et puis:

a la... Saint Jean

36 p charrete de fein

6... entiers avec saiel

p... les blancs mantiax

r... s... chevaliers de Pruins pour la... j. nc

6 foiz 6 en 6 places

chascune foiz 20 a... 120 a...

iceste est l'ordonation

al donjon li premiers

it li secunz joste iceus qui... pans

it al refuge

it a Nostre Dame de l'altre part de l'iau

it a l'ostel des popelicans

it a la pierre

3 foiz 6 avant la feste... la Grant Pute.

 

« Trente‑ six ans aprè s la charrette de foin, la nuit de la Saint‑ Jean de l'an 1344, six messages scellé s pour les chevaliers aux blancs manteaux, chevaliers relaps de Provins, pour la vengeance. Six fois six en six lieux, chaque fois vingt ans pour une totalité de cent vingt ans, ceci est le Plan. Les premiers au châ teau, puis de nouveau chez ceux qui ont mangé le pain, de nouveau au refuge, de nouveau à Notre‑ Dame au‑ delà du fleuve, de nouveau à la maison des popelicans, et de nouveau à la pierre. Vous voyez, en 1344 le message dit que les premiers doivent aller au Châ teau. Et en effet les chevaliers s'installeront à Tomar en 1357. Maintenant, il faut nous demander où doivent se rendre ceux du deuxiè me groupe. Allons: imaginez que vous ê tes des Templiers en fuite, où filez‑ vous constituer le deuxiè me noyau?

– Ben... S'il est vrai que ceux de la charrette se sont enfuis en Ecosse... Mais pourquoi donc en Ecosse auraient‑ ils dû manger du pain? »

J'é tais devenu imbattable sur les chaî nes associatives. Il suffisait de partir d'un point quelconque. Ecosse, Highlands, rites druidiques, nuit de la Saint‑ Jean, solstice d'é té, feux de la Saint‑ Jean, Rameau d'or... Voilà une piste, fû t‑ elle fragile. J'avais lu des choses sur les feux de la Saint‑ Jean dans le Rameau d'Or de Frazer.

Je té lé phonai à Lia. « Rends‑ moi un service: prends le Rameau d'Or et regarde ce qui est dit des feux de la Saint‑ Jean. »

Lia é tait trè s forte pour ç a. Elle trouva tout de suite le chapitre. « Qu'est‑ ce que tu veux savoir? C'est un rite qui date de la nuit des temps, pratiqué dans presque tous les pays d'Europe. On cé lè bre le moment où le soleil est au zé nith de sa course, saint Jean a é té ajouté pour christianiser l'affaire...

– Ils mangent du pain, en É cosse?

– Laisse‑ moi voir... Je n'ai pas l'impression... Ah, voilà, le pain ils ne le mangent pas à la Saint‑ Jean, mais dans la nuit du premier mai, la nuit des feux de Beltane, une fê te d'origine druidique, surtout dans les Highlands é cossais...

– Nous y sommes! Pourquoi mangent‑ ils le pain?

– Ils pé trissent une galette de blé et d'avoine, et ils la font griller sur la braise... Puis suit un rite qui rappelle les anciens sacrifices humains... Ce sont des fouaces qui s'appellent bannock...

– Comment? Spelling, s'il te plaî t! » Elle é pela, je la remerciai, lui dis qu'elle é tait ma Bé atrice, ma fé e Morgane et autres mots affectueux. J'essayai de me rappeler ma thè se. Le noyau secret, selon la lé gende, se ré fugie en É cosse auprè s du roi Robert the Bruce et les Templiers aident le roi à remporter la bataille de Bannock Burn. En ré compense, le roi les nomme dans le nouvel ordre des Chevaliers de Saint‑ André d'É cosse.

Je descendis d'une é tagè re un gros dictionnaire d'anglais et cherchai: bannok en anglais mé dié val (bannuc en vieux saxon, bannach en gaé lique) est une sorte de tourte cuite sur la pierre ou au gril, composé e d'orge, d'avoine ou d'autres cé ré ales. Burn c'est le torrent. Il n'y avait plus qu'à traduire comme auraient traduit les Templiers franç ais en envoyant des nouvelles de l'É cosse à leurs compatriotes de Provins, et il en ré sultait quelque chose comme le torrent de la fouace, ou de la miche, ou du pain. Qui a mangé le pain, c'est qui l'a emporté au torrent du pain, et c'est donc le noyau é cossais, lequel, sans doute à cette é poque, s'é tait dé jà é tendu à travers toutes les î les britanniques. Logique: du Portugal à l'Angleterre, c'est le chemin le plus court; il est bien question d'un voyage du Pô le à la Palestine!

 

– 68 –

Que ton vê tement soit blanc... S'il fait nuit, allume beaucoup de lumiè res, jusqu'à ce que tout resplendisse... Maintenant, commence à combiner quelques lettres, ou un grand nombre, dé place‑ les et combine‑ les jusqu'à ce que ton cœ ur soit chaud. Fais attention au mouvement des lettres et à ce que tu peux produire en les mé langeant. Et quand tu sentiras que ton cœ ur est chaud, quand tu vois qu'à travers la combinaison des lettres tu saisis des choses que tu n'aurais pu connaî tre tout seul ou avec l'aide de la tradition, quand tu es prê t à recevoir l'influx de la puissance divine qui pé nè tre en toi, emploie alors toute la profondeur de ta pensé e pour imaginer dans ton cœ ur le Nom et Ses anges supé rieurs, comme s'ils é taient des ê tres humains qui se trouvent à tes cô té s.

ABOULAFIA, Hayye ha‑ 'Olam ha‑ Ba.

« C'est impressionnant, dit Belbo. Et dans ce cas, quel serait le Refuge?

– Les six groupes s'installent dans six lieux, mais un seul est appelé le Refuge. Curieux. Cela signifie que dans les autres lieux, le Portugal ou l'Angleterre, les Templiers peuvent vivre en toute tranquillité, fû t‑ ce sous un autre nom, tandis que dans celui‑ ci ils se cachent. Je dirais que le Refuge est le lieu où se sont ré fugié s les Templiers de Paris, aprè s avoir abandonné le Temple. Et comme en plus il me semble é lé mentaire que le parcours aille de l'Angleterre vers la France, pourquoi ne pas penser que les Templiers aient constitué un refuge à Paris mê me, dans un endroit secret et proté gé ? C'é taient de bons politiques et ils imaginaient qu'en deux cents ans les choses changeraient et qu'ils pourraient agir à la lumiè re du jour, ou presque.

– Va pour Paris. Et du quatriè me lieu, qu'est‑ ce qu'on en fait?

– Le colonel pensait à Chartres; mais si nous avons mis Paris à la troisiè me place, nous ne pouvons pas mettre Chartres à la quatriè me, car il est é vident que le plan doit concerner tous les centres d'Europe. Et puis nous sommes en train d'abandonner la piste mystique pour é tablir une piste politique. Le dé placement paraî t advenir selon une sinusoï de, raison pour quoi nous devrions remonter au nord de l'Allemagne. Or, au‑ delà du fleuve ou de l'eau, en somme au‑ delà du Rhin, en terre allemande il y a une ville de Notre‑ Dame, pas une é glise. Prè s de Danzig il y avait une ville de la Vierge, c'est‑ à ‑ dire Marienburg.

– Et pourquoi un rendez‑ vous à Marienburg?

– Parce que c'é tait la capitale des Chevaliers Teutoniques! Entre Templiers et Teutoniques les rapports ne sont pas empoisonné s comme entre Templiers et Hospitaliers, qui sont là tels des vautours à attendre la suppression du Temple pour s'emparer de ses biens. Les Teutoniques ont é té cré é s en Palestine par les empereurs allemands pour faire contrepoids aux Templiers, mais bien vite ils ont é té appelé s au nord, pour arrê ter l'invasion des barbares prussiens. Et ils l'ont tellement bien fait que, en l'espace de deux siè cles, ils sont devenus un É tat qui s'é tend sur tous les territoires baltes. Ils se dé ploient entre Pologne, Lituanie et Livonie. Ils fondent Koenigsberg, sont dé faits une seule fois par Alexandre Nevski en Estonie, et, à peu prè s au moment où les Templiers sont arrê té s à Paris, ils fixent la capitale de leur royaume à Marienburg. S'il y avait un plan de la chevalerie spirituelle pour la conquê te du monde, Templiers et Teutoniques s'é taient partagé les zones d'influence.

– Vous savez quoi? dit Belbo. Je marche. Au cinquiè me groupe maintenant. Où sont ces popelicans?

– Je l'ignore, dis‑ je.

– Vous me dé cevez, Casaubon. Peut‑ ê tre faudra‑ t‑ il le demander à Aboulafia.

– Pas question, monsieur, ré pondis‑ je piqué au vif. Aboulafia doit nous suggé rer des connexions mé dites. Mais les popelicans sont une donné e, pas une connexion, et les donné es sont l'affaire de Sam Spade. Donnez‑ moi quelques jours de temps.

– Je vous donne deux semaines, dit Belbo. Si dans deux semaines vous ne me livrez pas les popelicans, vous me livrez une bouteille de Ballantine 12 Years Old. »

 

 

Trop cher pour ma bourse. Au bout d'une semaine je livrais les popelicans à mes voraces compagnons.

« Tout est clair. Suivez‑ moi parce que nous devons remonter vers le IVe siè cle, en territoire byzantin, tandis que dans l'aire mé diterrané enne se sont dé jà ré pandus diffé rents mouvements d'inspiration maniché enne. Commenç ons par les archontiques, fondé s en Armé nie par Pierre de Cafarbarucha qui, vous l'admettrez avec moi, a un fort beau nom. Anti‑ judaï que, le diable s'identifie à Sabaoth, le dieu des Juifs, qui vit dans le septiè me ciel. Pour atteindre la Grande Mè re de la Lumiè re dans le huitiè me ciel, il faut refuser et Sabaoth et le baptê me. D'accord?

– Refusons‑ les, dit Belbo.

– Mais les archontiques sont encore de braves garç ons. Au Ve siè cle apparaissent les messaliens qui, entre autres, survivront en Thrace jusqu'au XIe siè cle. Les messaliens ne sont pas des dualistes, mais des monarchiques. Cependant ils sont à la tambouille avec les puissances infernales, tant et si bien que dans certains textes on les taxe de borborites, qui vient de borboros, boue, à cause des choses innommables qu'ils faisaient.

– Qu'est‑ ce qu'ils faisaient?

– Les choses habituelles. Hommes et femmes levaient au ciel, recueillie dans la paume de leurs mains, leur propre ignominie, c'est‑ à ‑ dire leur sperme ou leurs menstrues, et puis ils mangeaient ç a en disant que c'é tait le corps du Christ. Et si par hasard ils mettaient leur femme enceinte, au bon moment ils lui enfonç aient la main dans le ventre, en arrachaient l'embryon, le balanç aient dans un mortier, le broyaient avec du miel et du poivre, et mange que je te mange.

– C'est dé goû tant, dit Diotallevi, du miel avec du poivre!

– Eux ce sont donc les messaliens, que certains appellent stratiotiques et phibionites, et d'autres barbelites, composé s de naassè nes et de phé mionites. Mais pour d'autres pè res de l'Eglise, les barbelites é taient des gnostiques attardé s, et donc des dualistes, ils adoraient la Grande Mè re Barbelo, et leurs initié s appelaient borboriens les hyliques, c'est‑ à ‑ dire les fils de la matiè re, distincts des psychiques, qui é taient dé jà mieux, et des pneumatiques qui é taient vraiment les é lus, le Rotary Club de toute l'affaire. Mais peut‑ ê tre les stratiotiques n'é taient‑ ils rien que les hyliques des mithraï stes.

– Tout ç a n'est‑ il pas un peu confus? demanda Belbo.

– Forcé ment. Tous ces gens n'ont pas laissé de documents. Les seules et uniques choses que nous sachions sur eux nous viennent des ragots de leurs ennemis. Mais peu importe. C'est pour dire quel brouillamini é tait l'aire moyen‑ orientale en ce temps‑ là. Et c'est pour dire d'où sortent les pauliciens. Eux, ce sont les disciples d'un certain Paul, auxquels s'unissent des iconoclastes expulsé s d'Albanie. A partir du VIIIe siè cle, ces pauliciens augmentent à vive allure: de secte, ils deviennent communauté ; de communauté, bande; de bande, pouvoir politique et les empereurs de Byzance commencent à se faire des cheveux et à les envoyer contre les armé es impé riales. Ils se ré pandent jusqu'aux confins du monde arabe, se dé versent vers l'Euphrate, envahissent le territoire byzantin jusqu'à la mer Noire. Ils installent des colonies un peu partout, nous les trouvons encore au XVIIe siè cle quand les jé suites entreprennent de les convertir, et il en existe encore quelques communauté s dans les Balkans ou dans ces eaux‑ là. Or, à quoi est‑ ce qu'ils croient donc, ces pauliciens? En Dieu, un et trin, sauf que le Dé miurge s'est entê té à cré er le monde, avec les ré sultats que nous voyons tous. Ils rejettent l'Ancien Testament, refusent les sacrements, mé prisent la croix, et ils n'honorent pas la Vierge parce que le Christ s'est directement incarné au ciel et il est passé à travers Marie comme à travers un tuyau. Les bogomiles, qui s'inspireront d'eux en partie, diront que le Christ est entré, chez Marie, par une oreille et est sorti par l'autre, sans qu'elle‑ mê me s'en soit aperç ue. Certains les accusent aussi d'adorer le soleil et le diable et de mê ler le sang des enfants au pain et au vin eucharistiques.

– Comme tout le monde.

– C'é taient des temps où, pour un hé ré tique, aller à la messe devait ê tre une souffrance. Autant se faire musulman. Mais c'é taient des gens comme ç a. Et je vous en parle parce que, quand les hé ré tiques dualistes se seront ré pandus en Italie et en Provence, pour dire qu'ils sont comme les pauliciens on les appellera popelican, publicains, populicans, lesquels gallice etiam dicuntur ab aliquis popelicant!

– Les voici.

– En effet. Les pauliciens continuent au IXe siè cle à rendre fous les empereurs de Byzance jusqu'au moment où l'empereur Basile jure que s'il met la main sur leur chef, Chrysocheir, qui avait envahi l'é glise de Saint‑ Jean‑ de‑ Dieu à É phè se et abreuvé ses chevaux dans les bé nitiers...

–... toujours ce vice, dit Belbo.

–... il lui planterait trois flè ches dans la tê te. Il envoie contre lui l'armé e impé riale, qui le capture, lui coupe la tê te, l'expé die à l'empereur; et celui‑ ci la met sur une table, sur un trumeau, sur une colonnette de porphyre et zac zac zac, il lui plante trois flè ches, et j'imagine une dans chaque œ il et la troisiè me dans la bouche.

– Des gens distingué s, dit Diotallevi.

– Ils ne le faisaient pas par mé chanceté, dit Belbo. C'é taient des questions de foi. Substance des choses espé ré es. Poursuivez, Casaubon, car notre Diotallevi ne comprend pas les finesses thé ologiques.

– Pour en finir: les croisé s rencontrent les pauliciens. Ils les rencontrent prè s d'Antioche, au cours de la premiè re croisade, où ceux‑ ci combattent aux cô té s des Arabes, et ils les rencontrent à l'assaut de Constantinople où la communauté paulicienne de Philip‑ popolis essaie de remettre la ville aux mains du tsar bulgare Johannis pour irriter les Franç ais, et c'est Villehardouin qui le dit. Voilà le lien avec les Templiers et voilà ré solue notre é nigme. La lé gende voit les Templiers comme inspiré s par les cathares. Ils ont rencontré les communauté s pauliciennes au cours des croisades et ils ont é tabli avec elles de mysté rieux rapports, de mê me qu'ils en avaient é tabli avec les mystiques et les hé ré tiques musulmans. Et, d'autre part, il suffit de suivre la piste de l'Ordonation. Elle ne peut que passer par les Balkans.

– Pourquoi?

– Parce qu'il me semble clair que le sixiè me rendez‑ vous est à Jé rusalem. Le message dit d'aller à la pierre. Et où y a‑ t‑ il une pierre qu'aujourd'hui les musulmans vé nè rent, et si nous voulons la voit nous devons enlever nos chaussures? Mais pré cisé ment au centre de la Mosqué e d'Omar à Jé rusalem, où jadis il y avait le Temple des Templiers. Je ne sais pas qui devait attendre à Jé rusalem, peut‑ ê tre un noyau de Templiers survivants et dé guisé s, ou bien des kabbalistes lié s aux Portugais, mais il est certain que pour arriver à Jé rusalem en venant de l'Allemagne, la route la plus logique est celle des Balkans, et là attendait le cinquiè me noyau, celui des pauliciens. Vous voyez comme alors le Plan devient limpide et é lé mentaire.

– Je vous dirai que vous me convainquez, dit Belbo. Mais en quel point des Balkans attendaient les popelicants?

– A mon avis, les successeurs naturels des pauliciens é taient les bogomiles bulgares, mais les Templiers de Provins ne pouvaient encore savoir que, peu d'anné es aprè s, la Bulgarie serait envahie par les Turcs et resterait sous leur domination pendant cinq siè cles.

– Par consé quent, on peut penser que le Plan s'arrê te lors du passage entre les Allemands et les Bulgares. Quand cela devrait‑ il arriver?

– En 1824, dit Diotallevi.

– Pardon, mais pourquoi? »

Diotallevi traç a rapidement un diagramme.

 

PORTUGAL ANGLETERRE FRANCE ALLEMAGNE BULGARIE JÉ RUSALEM 1344 1464 1584 1704 1824 1944

 

« En 1344, les premiers grands maî tres de chaque groupe s'installent dans les six lieux prescrits. Au cours de cent vingt ans se succè dent dans chaque groupe six grands maî tres et, en 1464, le sixiè me maî tre de Tomar rencontre le sixiè me maî tre du groupe anglais. En 1584, le douziè me maî tre anglais rencontre le douziè me maî tre franç ais. La chaî ne continue à ce rythme, et si le rendez‑ vous rate avec les pauliciens, il rate en 1824.

– Admettons qu'il rate, dis‑ je. Mais je ne comprends pas pourquoi des hommes si avisé s, ayant eu entre les mains les quatre sixiè mes du message final, n'ont pas é té capables de le reconstituer. Ou bien pourquoi, si le rendez‑ vous avec les Bulgares a sauté, ils ne se sont pas mis en contact avec le noyau suivant.

– Casaubon, dit Belbo, mais vous croyez vraiment que les lé gislateurs de Provins é taient des andouilles? S'ils voulaient que la ré vé lation reste occulté e pendant six cents ans, ils ont dû prendre leurs pré cautions. Chaque maî tre d'un noyau sait où trouver le maî tre du noyau suivant, mais pas où trouver les autres, et aucun des autres ne sait où trouver les maî tres des noyaux pré cé dents. Il suffit que les Allemands aient perdu les Bulgares et ils ne sauront jamais où trouver les hié rosolymitains, tandis que les hié rosolymitains ne sauront où trouver aucun des autres. Et quant à reconstruire un message à partir de fragments incomplets, tout dé pend de la faç on dont les fragments ont é té divisé s. Certes, pas en une suite logique. Il suffit qu'il manque un seul morceau et le message est incompré hensible, et qui a le morceau manquant ne sait qu'en faire.

– Songez donc, dit Diotallevi, si la rencontre n'a pas eu lieu, l'Europe est aujourd'hui le thé â tre d'un ballet secret entre des groupes qui se cherchent et ne se trouvent pas, et chacun sait qu'il suffirait d'un rien pour devenir le souverain du monde. Comment s'appelle cet empailleur dont vous nous avez parlé, Casaubon? Peut‑ ê tre le complot existe‑ t‑ il vraiment, et l'histoire n'est‑ elle rien d'autre que le ré sultat de cette bataille pour reconstituer un message perdu. Nous, nous ne les voyons pas, et eux, invisibles, agissent autour de nous. »

A Belbo et à moi il nous vint é videmment la mê me idé e, et nous commenç â mes à parler ensemble. Mais il s'en fallait d'un rien pour opé rer la bonne connexion. Nous avions aussi appris qu'au moins deux expressions du message de Provins, la ré fé rence à trente‑ six Invisibles sé paré s en six groupes, et le terme de cent vingt ans, apparaissaient aussi au cours du dé bat sur les Rose‑ Croix.

– Aprè s tout, c'é taient des Allemands, dis‑ je. Je lirai les manifestes rose‑ croix.

– Mais vous avez dit vous‑ mê me qu'ils é taient faux, dit Belbo.

– Et alors? Nous aussi nous sommes en train de bâ tir un faux.

– C'est vrai, dit‑ il. J'allais l'oublier. »

 

– 69 –

Elles deviennent le Diable: dé biles, timoré es, vaillantes et à des heures exceptionnelles, sanglantes sans cesse, lacrymantes, caressantes, avec des bras qui ignorent les lois... Fi! Fi! Elles ne valent rien, elle sont faites d'un cô té, d'un os courbe, d'une dissimulation rentré e... Elles baisent le serpent...

Jules BOIS, Le satanisme et la magie, Paris, Chailley, 1895, p. 12.

Il l'oubliait, à pré sent je le sais. Et c'est sû rement à cette pé riode qu'appartient ce file, bref et hé bé té.

 

 

FILENAME: ENNOÏ A  

Tu es arrivé e à la maison, soudain. Tu avais cette herbe. Je ne voulais pas, parce que je ne laisse aucune substance vé gé tale interfé rer sur le fonctionnement de mon cerveau (mais je mens, car je fume du tabac et je bois des distillats de cé ré ales). Quoi qu'il en soit, les rares fois où, au dé but des anné es soixante, quelqu'un me poussait à participer à la ronde du joint, avec ce sale papier visqueux impré gné de salive, et la derniè re bouffé e avec l'é pingle, j'avais envie de rire.

Mais hier, c'est toi qui me l'offrais, et j'ai pensé que c'é tait peut‑ ê tre ta faç on de t'offrir, et j'ai fumé avec foi. Nous avons dansé serré s l'un contre l'autre, comme on ne le fait plus depuis des anné es, et – la honte – tandis que tournait la Quatriè me de Mahler. C'é tait une sensation, comme si entre mes bras se levait une cré ature antique, au visage doux et ridé de vieille chè vre, un serpent qui surgissait du plus profond de mes lombes, et je t'adorais ainsi qu'une tante trè s ancienne et universelle. Je continuais probablement à me remuer serré contre ton corps, mais je sentais aussi que tu t'é levais et prenais ton envol, tu te transformais en or, tu ouvrais des portes fermé es, tu dé plaç ais les objets en l'air. Je pé né trais dans ton ventre obscur, Megale Apophasis. Prisonniè re des anges.



  

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