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FILENAME : ABOU 31 страницаJe cherche une femme, une femme que je connais, avec qui j'ai eu des rapports intenses, à telle enseigne que je ne parviens pas à ré aliser pourquoi je les ai relâ ché s – moi, par ma faute, en disparaissant de la circulation. Il me semble inconcevable que j'aie laissé passer tant de temps. C'est certainement elle que je cherche, mieux: elles au pluriel, il ne s'agit pas d'une seule femme, elles sont nombreuses, toutes perdues de la mê me maniè re, par inertie – et je suis pris d'incertitude, et une me suffirait, car ç a je le sais: j'ai beaucoup perdu en les perdant. D'habitude je ne trouve pas, je n'ai plus, je n'arrive pas à me dé cider à ouvrir mon agenda où il y a le numé ro de té lé phone, et si mê me je l'ouvre c'est comme si j'é tais presbyte, je n'arrive pas à lire les noms. Je sais où elle se trouve, ou bien, je ne sais pas quel est le lieu, mais je sais comment il est, j'ai le souvenir pré cis d'un escalier, d'un porche, d'un palier. Je ne parcours pas la ville pour retrouver le lieu, je suis plutô t pris par une sorte d'angoisse, de blocage, je continue à me tourmenter sur la raison pour laquelle j'ai permis, ou voulu, que le rapport s'abolî t – ne serait‑ ce qu'en posant un lapin au dernier rendez‑ vous. Je suis sû r qu'elle attend un appel de moi. Si seulement je savais quel est son nom, je sais parfaitement qui elle est, sauf que je ne parviens pas à reconstituer ses traits. Parfois, dans le demi‑ sommeil qui suit, je conteste le rê ve. Essaie de te souvenir, tu connais et te rappelles tout et tu as clos tes comptes avec tout, ou tu ne les as pas mê me ouverts. Il n'y a rien que tu ne saches localiser. Il n'y a rien. Reste le soupç on d'avoir oublié quelque chose, de l'avoir laissé entre les plis de la sollicitude, comme on oublie un billet de banque, ou un billet avec un renseignement pré cieux dans une minipoche de ses pantalons ou dans une vieille veste, et ce n'est qu'à un certain point qu'on se rend compte que c'é tait la chose la plus importante, la dé cisive, l'unique. De la ville, j'ai une image plus claire. C'est Paris, moi je suis sur la rive gauche, je sais qu'en traversant le fleuve je me trouverais sur une place qui pourrait ê tre la place des Vosges... non, plus ouverte, parce que sur le fond se dresse une sorte de Madeleine. Passant la place, et tournant derriè re le temple, je trouve une rue (il y a une librairie‑ antiquaire à l'angle) qui s'incurve vers la droite, dans une sé rie de venelles, qui sont certainement dans le Barrio Gotico de Barcelone. On pourrait dé boucher sur une rue, trè s large, pleine de lumiè res, et c'est dans cette rue, je m'en souviens avec une é vidence eidé tique, que sur la droite, au fond d'un cul‑ de‑ sac, il y a le Thé â tre. Ce qui se passe dans ce lieu de dé lices est incertain, à coup sû r quelque chose de lé gè rement et joyeusement louche, genre strip‑ tease (raison pour quoi je n'ose pas demander de renseignements), dont je sais dé jà suffisamment pour vouloir y retourner, tout excité. Mais en vain; vers Chatham Road les rues se confondent. Je me ré veille avec le goû t de cette rencontre raté e. Je ne parviens pas à me ré signer à ne pas savoir ce que j'ai perdu. Parfois, je suis dans une grande maison de campagne. Elle est vaste, mais je sais qu'il y a une autre aile que je ne sais plus comment rejoindre, comme si les passages avaient é té muré s. Et, dans cette autre aile, il y a des piè ces et des piè ces, je ne les ai bien vues qu'une fois, il est impossible que je les aie rê vé es dans un autre rê ve, avec de vieux meubles et des gravures ternies, des consoles avec de petits thé â tres XIXe en carton dé coupé à l'emporte‑ piè ce, des divans à grandes courtepointes brodé es, et des é tagè res couvertes de livres, toutes les anné es du Journal Illustré des Voyages et des Aventures sur Terre et sur Mer, ce n'est pas vrai qu'elles se sont dé labré es à force de les avoir lues et relues, et que maman les a donné es à l'homme aux chiffons. Je me demande qui a brouillé les couloirs et les escaliers, parce que c'est là que j'aurais voulu me construire mon buen retiro, au milieu de cette odeur de friperie pré cieuse. Pourquoi ne puis‑ je rê ver au baccalauré at comme tout le monde?
– 65 – C'é tait un grand carré de six mè tres de cô té, installé au centre de la salle. Sa surface é tait faite de petits cubes de bois, de dimensions variables mais gros en moyenne comme un dé à coudre. Ils é taient relié s les uns aux autres par des fils trè s fins. Sur chaque face de ces cubes é tait collé un petit carré de papier où s'inscrivaient tous les mots de leur langue, à leurs diffé rents modes, temps ou cas, mais sans aucun ordre... Chaque é lè ve saisit au commandement du professeur une des quarante manivelles de fer disposé es sur les cô té s du châ ssis, et lui donna un brusque tour, de sorte que la disposition des mots se trouva complè tement changé e; puis trente‑ six d'entre eux eurent mission de lire à voix basse les diffé rentes lignes telles qu'elles apparaissaient sur le tableau, et quand ils trouvaient trois ou quatre mots, qui, mis bout à bout, constituaient un é lé ment de phrase, ils les dictaient aux quatre autres jeunes gens... J. SWIFT, Gulliver's Travels, III, 5 Je crois qu'en brodant sur son rê ve Belbo, une fois de plus, revenait à la pensé e de l'occasion perdue, et à son vœ u de renoncement, pour n'avoir pas su saisir – si jamais il avait existé – le Moment. Le Plan se mit en route parce qu'il s'é tait ré signé à se construire des moments fictifs. Je lui avais demandé je ne sais quel texte; il avait farfouillé sur sa table, au milieu d'une pile de manuscrits pé rilleusement posé s, et sans aucun critè re de masse et de grandeur, les uns sur les autres. Il avait repé ré le texte qu'il cherchait et tenté de le tirer, faisant s'é crouler le reste par terre. Les chemises s'é taient ouvertes et les feuillets s'é taient é chappé s de leurs minces classeurs. « Ne pouviez‑ vous pas commencer en soulevant et en dé plaç ant la premiè re moitié ? » demandai‑ je. Peine perdue: il faisait toujours comme ç a. Et il ré pondait invariablement: « Gudrun les ramassera ce soir. Il faut qu'elle ait une mission dans la vie, autrement elle va perdre son identité. » Cependant, cette fois‑ là, j'é tais personnellement inté ressé à la sauvegarde des manuscrits parce que dé sormais je faisais partie de la maison: « Mais Gudrun n'est pas capable de les remettre en ordre, elle placera les feuillets qu'il ne faut pas dans les chemises qu'il ne faut pas. – Si Diotallevi vous entendait, il exulterait. Il en sortira des livres diffé rents, é clectiques, casuels. C'est dans la logique des diaboliques. – Mais nous nous serons dans la situation des kabbalistes. Des millé naires pour trouver la bonne combinaison. Vous mettez simplement Gudrun à la place du singe qui tape pour l'é ternité sur sa machine à é crire. La diffé rence est seulement dans la duré e. En termes d'é volution nous n'aurions rien gagné. N'y a‑ t‑ il pas un programme qui permette à Aboulafia de faire ce travail? » Sur ces entrefaites, Diotallevi é tait entré. « Bien sû r qu'il y en a un, avait dit Belbo, et en thé orie il autorise l'insertion de deux mille donné es. Il suffit d'avoir envie de les é crire. Mettons que ce soient des vers de poé sies possibles. Le programme vous demande la quantité de vers que doit avoir la poé sie, et vous dé cidez, dix, vingt, cent. Aprè s quoi le programme tire de l'horloge inté rieure du computer le nombre de secondes, et il le randomise, bref il en tire une formule de combinaison toujours nouvelle. Avec dix vers vous pouvez obtenir des milliers et des milliers de poé sies casuelles. Hier, j'ai introduit des vers du type fré missent les frais tilleuls, j'ai les paupiè res é paisses, si l'aspidistra voulait, la vie voilà te donne et choses semblables. Voici quelques ré sultats. » Je compte les nuits, joue le sistre... Mort, ta victoire Mort, ta victoire... Si l'aspidistra voulait... Du cœ ur d'aube (oh cœ ur) toi albatros sinistre (oh cœ ur ) (si l'aspidistra voulait... ) Mort, ta victoire. Fré missent les frais tilleuls, je compte les nuits, joue le sistre, la huppe dé sormais m'observe. Fré missent les frais tilleuls.
« Il y a des ré pé titions, je ne suis pas arrivé à les é viter, il paraî t que ç a complique trop le programme. Mais mê me les ré pé titions ont un sens poé tique. – Inté ressant, dit Diotallevi. Voilà qui me ré concilie avec ta machine. Donc, si je lui mettais dedans toute la Torah et puis lui disais – quel est le terme? – de randomiser, elle ferait de la vé ritable Temura et elle recombinerait les versets du Livre? – Certes; c'est une question de temps. Tu t'en tires en deux ou trois siè cles. » Je dis: « Mais si en revanche vous y mettez quelques dizaines de propositions prises dans les oeuvres des diaboliques, par exemple que les Templiers ont fui en Ecosse, ou que le Corpus Hermeticum est arrivé à Florence en 1460, plus quelques connectifs comme il est é vident que ou ceci prouve que, nous pourrions obtenir des sé quences ré vé latrices. Puis on comble les vides, ou on pè se les ré pé titions comme des vaticinations, insinuations et mises en garde. Au pire, nous inventons un chapitre iné dit de l'histoire de la magie. – Gé nial, dit Belbo, allons‑ y tout de suite. – Non, il est sept heures. Demain. – Moi je le fais ce soir. Aidez‑ moi rien qu'un instant, ramassez par terre une vingtaine de ces feuillets, au hasard, jetez un œ il sur la premiè re phrase que vous rencontrez, et celle‑ ci devient une donné e. » Je me penchai et ramassai: « Joseph d'Arimathie porte le Graal en France. – Excellent, noté. Poursuivez. – D'aprè s la tradition templiè re, Godefroy de Bouillon constitue à Jé rusalem le Grand Prieuré de Sion. Debussy é tait un Rose‑ Croix. – Excusez‑ moi, dit Diotallevi, mais il faut aussi insé rer quelques donné es neutres, par exemple que le koala vit en Australie ou que Papin invente la cocotte‑ minute. – Minnie est la fiancé e de Mickey, suggé rai‑ je. – N'exagé rons pas. – Exagé rons, au contraire. Si nous commenç ons à admettre la possibilité qu'il existe fû t‑ ce une seule donné e, dans l'univers, qui ne ré vè le pas quelque chose d'autre, nous sommes dé jà hors de la pensé e hermé tique. – C'est vrai. Va pour Minnie. Et si vous permettez, je mettrai une donné e fondamentale: les Templiers y sont toujours pour quelque chose. – Cela va sans dire », confirma Diotallevi.
Nous continuâ mes pendant quelques dizaines de minutes. Ensuite, il se fit vraiment tard. Mais Belbo nous dit de ne pas nous inquié ter. Il poursuivrait tout seul. Gudrun vint nous dire qu'elle fermait, Belbo lui annonç a qu'il resterait travailler et il la pria de ramasser les feuillets tombé s par terre. Gudrun é mit certains sons qui pouvaient appartenir au latin sine flexione comme à la langue ké ré mis, exprimant indignation et dé sappointement dans l'une et l'autre, signe de la parenté universelle entre toutes les langues, qui proviennent d'une unique souche adamique. Elle s'exé cuta, randomisant mieux qu'un computer.
Le lendemain matin, Belbo é tait radieux. « Ç a marche, dit‑ il. Ç a marche et ç a produit des ré sultats inespé ré s. » Il nous tendit l'output imprimé. Les Templiers y sont toujours pour quelque chose Ce qui suit n'est pas vrai Jé sus a é té crucifié sous Ponce Pilate Le sage Ormus fonda en Egypte les Rose‑ Croix Il y a des kabbalistes en Provence Qui s'est marié aux noces de Cana? Minnie est la fiancé e de Mickey Il en dé coule que Si Les druides vé né raient les Vierges noires Alors Simon le Magicien identifie la Sophia à une prostitué e de Tyr Qui s'est marié aux noces de Cana? Les Mé rovingiens se disent rois de droit divin Les Templiers y sont toujours pour quelque chose
« Un peu confus, dit Diotallevi. – Tu ne sais pas voir les connexions. Et tu ne donnes pas l'importance qu'il faut à cette interrogation qui revient par deux fois: qui s'est marié aux noces de Cana? Les ré pé titions sont des clefs magiques. Naturellement, j'ai inté gré, mais inté grer la vé rité est le droit de l'initié. Voici mon interpré tation: Jé sus n'a pas é té crucifié, et c'est pour ç a que les Templiers reniaient le crucifix. La lé gende de Joseph d'Arimathie recouvre une vé rité profonde: Jé sus, et non pas le Graal, dé barque en France chez les kabbalistes de Provence. Jé sus est la mé taphore du Roi du Monde, du fondateur ré el des Rose‑ Croix. Et avec qui dé barque Jé sus? Avec sa femme. Pourquoi ne dit‑ on pas dans les É vangiles qui s'est marié à Cana? Mais parce que c'é taient les noces de Jé sus, noces dont on ne pouvait parler parce qu'elles avaient lieu avec une pé cheresse publique, Marie‑ Madeleine. Voici pourquoi depuis lors tous les illuminé s, depuis Simon le Magicien jusqu'à Postel, vont chercher le principe de l'é ternel fé minin dans un bordel. Par consé quent, Jé sus est le fondateur de la ligné e royale de France. »
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–– Si notre hypothè se est exacte, le Saint Graal... é tait la souche et les descendants de Jé sus, le « Sang ré al » dont é taient gardiens les Templiers... Dans le mê me temps, le Saint Graal devait ê tre, à la lettre, le ré ceptacle qui avait reç u et contenu le sang de Jé sus. Autrement dit, il devait ê tre le giron de Magdeleine. M. BAIGENT, R. LEIGH, H. LINCOLN, The Holy Blood and the Holy Grail, 1982, London, Cape, XIV. « Eh ben, dit Diotallevi, personne ne te prendrait au sé rieux. – Au contraire, il vendrait quelques centaines de milliers d'exemplaires, dis‑ je assombri. L'histoire existe, elle a é té é crite, avec des variations minimes. Il s'agit d'un livre sur le mystè re du Graal et sur les secrets de Rennes‑ le‑ Châ teau. Au lieu de ne lire que des manuscrits, vous devriez lire aussi ce qui se publie chez les autres é diteurs. – Saints Sé raphins, dit Diotallevi. Je l'avais bien dit. Cette machine ne raconte que ce que tout le monde sait dé jà. » Et il s'en alla, inconsolé. « Elle est utile, en revanche, dit Belbo piqué au vif. Il m'est venu une idé e qui é tait dé jà venue à d'autres? Et alors? Cela s'appelle polygé nè se litté raire. Monsieur Garamond dirait que c'est la preuve que je dis la vé rité. Ces messieurs doivent y avoir ré flé chi pendant des anné es, alors que moi j'ai tout ré solu en une soiré e. – Je suis avec vous, le jeu en vaut la chandelle. Mais je crois que la rè gle serait d'insé rer beaucoup de donné es qui ne proviennent pas des diaboliques. Le problè me n'est pas de trouver des relations occultes entre Debussy et les Templiers. Tout le monde le fait. Le problè me c'est de trouver des relations occultes, par exemple, entre la Kabbale et les bougies de l'automobile. » Je disais ç a au hasard, mais j'avais fourni à Belbo un point de dé part. Il m'en parla quelques matins aprè s.
« Vous aviez raison, vous. N'importe quelle donné e devient importante si elle est en connexion avec une autre. La connexion change la perspective. Elle induit à penser que chaque aspect du monde, chaque voix, chaque mot é crit ou dit n'a pas le sens qui apparaî t, mais nous parle d'un Secret. Le critè re est simple: soupç onner, toujours soupç onner. On peut lire par transparence mê me un panneau de sens interdit. – Certes. Moralisme cathare. Horreur de la reproduction. Le sens est interdit parce qu'il est duperie du Dé miurge. Ce n'est pas par cette voie qu'on trouvera le Chemin. – Hier soir il m'est tombé entre les mains le manuel pour le permis de conduire B. É tait‑ ce à cause de la pé nombre, ou de ce que vous m'aviez dit, toujours est‑ il que j'ai é té pris du soupç on que ces pages disaient Quelque Chose d'Autre. Et si l'automobile n'existait que comme mé taphore de la cré ation? Mais il ne faut pas se limiter à l'exté rieur, ou à l'illusion du tableau de bord, il faut savoir regarder ce que seul voit l'Architecte, ce qui se trouve dessous. Ce qui est dessous est comme ce qui est dessus. C'est l'arbre des sefirot. – Vous n'allez pas me dire ç a. – Ce n'est pas moi qui le dis. C'est lui qui se dit. Et d'abord, l'arbre moteur est un Arbre, comme l'indique le mot mê me. Eh bien, que l'on additionne le moteur à soupapes en tê te, deux roues anté rieures, l'embrayage, le changement de vitesse, deux joints, le diffé rentiel et les deux roues posté rieures. Total: dix articulations, comme les sefirot. – Mais les positions ne coï ncident pas. – Qui l'a dit? Diotallevi nous a expliqué que dans certaines versions Tif'é ré t n'é tait pas la sixiè me mais la huitiè me sefira, et qu'elle se trouvait sous Né tsah et Hod. Le mien, c'est l'arbre de Belboth, autre tradition. – Fiâ t. – Mais suivons la dialectique de l'Arbre. Au sommet le Moteur, Omnia Movens, dont nous parlerons, et qui est la Source Cré ative. Le Moteur communique son é nergie cré atrice aux deux Roues Sublimes – la Roue de l'Intelligence et la Roue de la Sapience. – Oui, si la voiture est à traction avant... – Le meilleur, dans l'arbre de Belboth, c'est qu'il supporte des mé taphysiques alternatives. Image d'un cosmos spirituel avec la traction avant, où le moteur placé devant communique immé diatement ses volonté s aux Roues Sublimes, tandis que dans la version maté rialiste il est l'image d'un cosmos dé gradé, où le Mouvement est imprimé par un Moteur Ultime aux deux Roues Infimes: du fond de l'é manation cosmique se libè rent les forces basses de la matiè re. – Et avec moteur et traction arriè re? – Satanique. Coï ncidence du Supé rieur et de l'Infime. Dieu s'identifie avec les mouvements de la matiè re grossiè re posté rieure. Dieu comme aspiration é ternellement frustré e à la divinité. Ç a doit dé pendre du Bris des Vases. – Ne serait‑ ce pas le Bris du Pot d'é chappement? – Oui dans les Cosmos Avorté s, où le souffle vé né neux des Archontes se ré pand dans l'É ther Cosmique. Mais ne nous é garons pas en chemin. Aprè s le Moteur et les deux Roues vient l'Embrayage, la sefira de la Grâ ce qui é tablit ou interrompt le courant de l'Amour liant le reste de l'Arbre à l'É nergie Supé rieure. Un Disque, un mandala qui caresse un autre mandala. De là l'É crin de la Mutation – ou du changement, comme disent les positivistes, qui est le principe du Mal parce qu'il permet à la volonté humaine de ralentir ou d'accé lé rer le processus continu de l'é manation. Raison pour quoi le changement de vitesse automatique coû te plus cher, parce qu'en ce cas c'est l'Arbre mê me qui dé cide selon l'É quilibre Souverain. Puis vient un Joint qui, quel hasard, prend le nom d'un magicien de la Renaissance, Cardan, et donc un Engrenage Conique – on remarquera l'opposition avec le quaterne de Cylindres dans le moteur – où il y a une Couronne (Ké té r Mineure) qui transmet le mouvement aux roues terrestres. Et ici devient é vidente la fonction de la sefira de la Diffé rence, ou diffé rentielle, qui, avec son sens majestueux de la Beauté, distribue les forces cosmiques sur les deux Roues de la Gloire et de la Victoire, lesquelles, dans un cosmos non avorté (à traction avant), suivent le mouvement dicté par les Roues Sublimes. – La lecture est cohé rente. Et le cœ ur du Moteur, siè ge de l'Un, Couronne? – Mais il suffit de lire avec des yeux d'initié. Le Moteur Souverain vit d'un mouvement d'Aspiration et É chappement. Une respiration divine complexe, où originairement les unité s, dites les Cylindres (arché type gé omé trique é vident), é taient deux, puis ils en engendrè rent un troisiè me, et enfin ils se contemplent et se meuvent par amour mutuel dans la gloire du quatriè me. En cette respiration dans le Premier Cylindre (aucun d'eux n'est premier par hié rarchie, mais par admirable alternance de position et rapport), le Piston – é tymologie: vient de Pistis Sophia – descend du Point Mort Haut au Point Mort Bas tandis que le Cylindre se remplit d'é nergie à l'é tat pur. Je simplifie, car ici devraient entrer en jeu des hié rarchies angé liques, ou Mé diateurs de la Distribution, qui, selon mon manuel, " permettent l'ouverture et la fermeture des Lumiè res mettant en communication l'inté rieur des Cylindres avec les conduits d'aspiration du mé lange "... Le siè ge inté rieur du Moteur peut communiquer avec le reste du cosmos seulement à travers cette mé diation, et là je crois que se ré vè le, peut‑ ê tre, mais je ne voudrais pas dire d'hé ré sie, la limite originaire de l'Un, qui dé pend en quelque sorte, pour cré er, des Grands Excentriques. Il faudra donner une lecture plus attentive du Texte. En tout cas, quand le Cylindre se remplit d'É nergie, le Piston remonte au Point Mort Haut et ré alise la Compression Maximum. C'est le tsimtsum. Et là, voici la gloire du Big Bang, l'Explosion et l'Expansion. Une É tincelle jaillit, le mé lange resplendit et s'enflamme, et c'est, dit le manuel, l'unique Phase Active du Cycle. Et malheur, malheur si dans le Mé lange se glissent les coquilles, les qelippot, gouttes de matiè re impure comme l'eau ou le Coca‑ Cola, l'Expansion n'a pas lieu, ou bien elle a lieu par saccades abortives... – Shell ne voudrait pas dire qelippot? Mais alors, il faut s'en mé fier. Doré navant, seulement du Lait de Vierge... – Nous vé rifierons. Ce pourrait ê tre une machination des plus grandes compagnies pé troliè res, les Sept Soeurs, principes infé rieurs qui veulent contrô ler la marche de la Cré ation... En tout cas, aprè s l'Expansion, voici le grand souffle divin, qui, dans les textes les plus anciens, est appelé l'Echappement. Le Piston remonte au Point Mort Haut et il expulse la matiè re informe dé sormais brû lé e. Dans le seul cas où cette opé ration de purification ré ussit, recommence le Nouveau Cycle. Et à y bien penser, c'est aussi le mé canisme né oplatonicien de l'Exil et du Retour, admirable dialectique de la Voie Ascendante et de la Voie Descendante. – Quantum mortalia pectora caecae noctis habent! Et les enfants de la matiè re qui ne s'en é taient jamais aperç us! – C'est pour ç a que les maî tres de la Gnose disent qu'il ne faut pas se fier aux Hyliques mais aux Pneumatiques. – Pour demain, je pré pare une interpré tation mystique de l'annuaire du té lé phone... – Toujours ambitieux, notre Casaubon. Attention que là, vous aurez à ré soudre le problè me insondable de l'Un et du Multiple. Mieux vaut aller de l'avant avec calme. Examinez d'abord le mé canisme de la machine à laver. – Lui, il parle tout seul. Transformation alchimique, de l'œ uvre au noir à l'œ uvre plus blanche que le blanc. »
– 67 – Da Rosa, nada digamos agora... SAMPAYO Bruno, Os Cavaleiros do Amor, Lisboa, Guimarã es, 1960, p. 155 Quand on se met dans un é tat de soupç on, on ne né glige plus aucune piste. Aprè s les rê veries sur l'arbre moteur, j'é tais disposé à voir des signes ré vé lateurs dans tout objet qui me tomberait sous la main. J'avais conservé des rapports avec mes amis bré siliens, et ces jours‑ là se tenait à Coï mbre un colloque sur la culture lusitaine. Plus par dé sir de me revoir que par hommage à mes compé tences, les amis de Rio ré ussirent à me faire inviter. Lia ne vint pas, elle é tait au septiè me mois, sa grossesse avait à peine retouché sa ligne menue, la changeant en une frê le madone flamande, mais elle pré fé rait ne pas affronter un voyage. Je passai trois joyeuses soiré es avec mes vieux camarades et, tandis que nous rentrions en autocar vers Lisbonne, s'é leva une discussion pour dé cider si on devait s'arrê ter à Fatima ou à Tomar. Tomar é tait le châ teau où les Templiers portugais s'é taient retranché s aprè s que la bienveillance du roi et du pape les avait sauvé s du procè s et de la ruine, les transformant en l'ordre des Chevaliers du Christ. Je ne pouvais pas rater un châ teau des Templiers, et par chance le reste du groupe ne se montrait pas enthousiaste pour Fatima. Si je pouvais m'imaginer un châ teau templier, tel é tait bien Tomar. On y monte le long d'une route fortifié e qui cô toie les bastions exté rieurs, aux meurtriè res en forme de croix, et dè s les premiers instants on y respire un air de croisade. Les Chevaliers du Christ avaient prospé ré des siè cles durant dans ces lieux: la tradition veut qu'aussi bien Henri le Navigateur que Christophe Colomb aient é té des leurs, et de fait ils s'é taient voué s à la conquê te des mers – faisant la fortune du Portugal. La longue et heureuse existence dont ils avaient joui là ‑ bas a permis que fû t reconstruit et agrandi le châ teau au cours des siè cles, si bien qu'à sa partie mé dié vale sont enté es des ailes Renaissance et baroques. Je fus é mu en entrant dans l'é glise des Templiers, avec sa rotonde octogonale qui reproduit celle du Saint‑ Sé pulcre. Je fus intrigué par le fait que dans l'é glise, selon la zone, les croix templiè res é taient de forme diffé rente: problè me que je m'é tais dé jà posé en regardant la brouillonne iconographie à ce sujet. Alors que la croix des chevaliers de Malte é tait resté e plus ou moins la mê me, la templiè re paraissait avoir subi les influences du siè cle ou de la tradition locale. Voilà pourquoi il suffit aux chasseurs de Templiers de trouver quelque part une croix quelconque pour dé couvrir une trace des Chevaliers.
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