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Dans le soubassement du castel on apercevait les corps des dé capité s. Une des femmes apporta une cassette d'où elle tira un objet rond qu'elle dé posa sur le soubassement, dans un arc de la tour centrale, et aussitô t, au sommet, la fontaine se prit à jaillir. J'eus le temps de reconnaî tre l'objet: c'é tait la tê te du Maure, qui maintenant brû lait telle une souche, mettant en é bullition l'eau de la fontaine. Vapeurs, souffles, gargouillements...

Cette fois Lorenza posait sa main sur ma nuque, la caressait comme je l'avais vue faire, furtive, pour Jacopo, dans la voiture. La femme portait une sphè re d'or, elle ouvrait un robinet dans le four du soubassement et faisait couler dans la sphè re un liquide rouge et dense. Aprè s quoi, la sphè re fut ouverte et, au lieu du liquide rouge, elle contenait un œ uf gros et beau, aussi blanc que neige. Les femmes le prirent et le posè rent à terre, dans un tas de sable jaune, jusqu'à ce que l'œ uf s'ouvrî t et qu'en sortî t un oiseau, encore difforme et sanglant. Mais, abreuvé du sang des dé capité s, il commenç a à croî tre sous nos yeux, à devenir magnifique et resplendissant.

 

A pré sent, ils dé capitaient l'oiseau et le ré duisaient en cendres sur un petit autel. Certains pé trissaient la cendre, versaient la pâ te ainsi obtenue dans deux moules, et plaç aient les moules à cuire dans un four, tout en soufflant sur le feu à l'aide de tuyaux. A la fin, les moules furent ouverts et apparurent deux figures pâ les et gracieuses, presque transparentes, un jeune garç on et une jeune fille, pas plus hauts que quatre empans, doux et charnus comme des cré atures vivantes, mais avec des yeux encore vitreux, miné raux. On les posa sur deux coussins et un vieux leur versa dans la bouche des gouttes de sang...

D'autres femmes arrivè rent en portant des trompettes doré es, dé coré es de couronnes vertes, et elles en tendirent une au vieillard qui l'approcha de la bouche des deux cré atures encore suspendues entre une langueur vé gé tale et un amè ne sommeil animal, et il commenç a à insuffler de l'â me dans leurs corps... La salle se remplit de lumiè re, la lumiè re s'atté nua en pé nombre, puis en une obscurité coupé e par des é clairs orange, ensuite il y eut une immense clarté d'aube alors que quelques trompettes sonnaient hautes et retentissantes, et il y eut un é clat de rubis, insoutenable. A cet instant je perdis à nouveau Lorenza, et je compris que je ne la retrouverais plus.

Tout devint d'un rouge flamboyant, qui lentement s'estompa en indigo et violet, et l'é cran s'é teignit. Ma douleur au front s'é tait faite insupportable.

 

« Mysterium Magnum, disait Agliè, maintenant à voix haute et tranquillement, à mes cô té s. La renaissance de l'homme nouveau à travers la mort et la passion. Bonne exé cution, dois‑ je dire, mê me si le goû t allé gorique a peut‑ ê tre influé sur la pré cision des phases. Ce que vous avez vu é tait une repré sentation, c'est normal, mais qui parlait d'une Chose. Et notre hô te pré tend que cette Chose il l'a produite. Venez, allons voir le miracle accompli. »

 

– 59 –

Et si s'engendrent de tels monstres, il faut penser qu'ils sont œ uvre de nature, dussent‑ ils sembler diffé rents de l'homme.

PARACELSE, De Homunculis, in Operum Volumen Secundum, Genevae, De Tournes, 1658, p. 475.

Il nous conduisit dehors, dans le jardin, et tout d'un coup je me sentis mieux. Je n'osais pas demander aux autres si Lorenza é tait vraiment revenue. J'avais rê vé. Mais aprè s quelques pas nous entrâ mes dans une serre, et de nouveau la chaleur suffocante m'é tourdit. Au milieu des plantes, tropicales pour la plupart, se trouvaient six ampoules de verre en forme de poire – ou de larme – hermé tiquement closes par un sceau, et pleines d'un liquide cé rulé en. A l'inté rieur de chaque vase ondoyait un ê tre haut d'une vingtaine de centimè tres: nous reconnû mes le roi aux cheveux gris, la reine, le Maure, le guerrier et les deux adolescents couronné s de laurier, un bleu et l'autre rose... Ils é voluaient avec un mouvement natatoire gracieux, comme s'ils se mouvaient dans leur é lé ment.

Il é tait difficile d'é tablir s'il s'agissait de modè les en plastique, en cire, ou d'ê tres vivants, d'autant que la lé gè re turbidité ne permettait pas de comprendre si le faible halè tement qui les animait provenait d'un effet d'optique ou de la ré alité.

« Il paraî t qu'ils grandissent de jour en jour, dit Agliè. Chaque matin les vases sont ensevelis sous un tas de fumier de cheval frais, autrement dit chaud, qui fournit la tempé rature utile à leur croissance. C'est pour cela que chez Paracelse apparaissent des prescriptions où on dit qu'il faut faire grandir les homuncules à la tempé rature d'un ventre de cheval. Selon notre hô te, ces homuncules lui parlent, lui communiquent des secrets, é mettent des vaticinations: qui lui ré vè le les vraies mesures du Temple de Salomon, qui la faç on d'exorciser les dé mons... Honnê tement, moi je ne les ai jamais entendus parler. »

Ils avaient des visages trè s mobiles. Le roi regardait la reine avec tendresse et ses yeux é taient trè s doux.

« Notre hô te m'a dit qu'il avait trouvé un matin l'adolescent bleu, é chappé qui sait comment à sa prison, alors qu'il cherchait à desceller le vase de sa compagne... Mais il é tait hors de son é lé ment, il respirait avec peine, et on le sauva juste à temps, en le remettant dans son liquide.

– Terrible, dit Diotallevi. Je ne les aimerais pas comme ç a. Il faut toujours transporter le vase avec soi et trouver ce crottin où que vous alliez. Que fait‑ on l'é té ? On les laisse au concierge?

– Mais peut‑ ê tre, conclut Agliè, sont‑ ils seulement des ludions, des diables carté siens. Ou des automates.

– Diable, diable, disait Garamond. Monsieur le comte, vous ê tes en train de me ré vé ler un nouvel univers. Nous devrions devenir tous plus humbles, mes chers amis. Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre... Mais enfin, à la guerre comme à la guerre... »

Garamond é tait tout bonnement foudroyé. Diotallevi gardait un air de cynisme curieux; Belbo ne manifestait aucun sentiment.

Je voulais me libé rer de tout doute et je lui dis: « Quel dommage que Lorenza ne soit pas venue, elle se serait bien amusé e.

– Eh oui », ré pondit‑ il, absent.

Lorenza n'é tait pas venue. Et moi j'é tais comme Amparo à Rio. J'é tais mal à l'aise. Je me sentais comme frustré. On ne m'avait pas tendu l'agogô.

Je quittai le groupe, rentrai dans l'é difice en me frayant un chemin à travers la foule, je passai par le buffet, pris quelque chose de frais, tout en craignant que cela ne contî nt un philtre. Je cherchai des toilettes pour me mouiller les tempes et la nuque. Je les trouvai et me sentis soulagé. Mais, comme j'en sortais, je fus intrigué par un petit escalier à vis et ne sus renoncer à la nouvelle aventure. Peut‑ ê tre, mê me si je croyais m'ê tre ressaisi, cherchais‑ je encore Lorenza.

 

– 60 –

Pauvre fou! Seras‑ tu ingé nu au point de croire que nous t'enseignons ouvertement le plus grand et le plus important des secrets? Je t'assure que celui qui voudra expliquer selon le sens ordinaire et litté ral des mots ce qu'é crivent les Philosophes Hermé tiques, il se trouvera pris dans les mé andres d'un labyrinthe d'où il ne pourra pas s'enfuir, et il n'aura pas le fil d'Ariane qui le guide pour en sortir.

ARTEPHIUS.

J'aboutis dans une salle situé e au‑ dessous du niveau du sol, é clairé e avec parcimonie, aux murs rocaille comme les fontaines du parc. Dans un angle j'aperç us une ouverture, semblable au pavillon d'une trompette encastré dans un mur, et dé jà de loin j'entendis qu'en provenaient des bruits. Je m'approchai et les bruits se firent plus distincts, jusqu'à ce que je pusse saisir des phrases, claires et nettes comme si elles é taient prononcé es à cô té de moi. Une oreille de Denys!

L'oreille é tait é videmment relié e à l'une des salles supé rieures et recueillait les propos de ceux qui passaient prè s de son ouverture.

 

« Madame, je vous dirai ce que je n'ai jamais dit à personne. Je suis las... J'ai travaillé sur le cinabre, et sur le mercure, j'ai sublimé des esprits, des ferments, des sels du fer, de l'acier et leurs é cumes, et je n'ai pas trouvé la Pierre. Ensuite, j'ai pré paré des eaux fortes, des eaux corrosives, des eaux ardentes, mais le ré sultat é tait toujours le mê me. J'ai utilisé les coquilles d'œ ufs, le soufre, le vitriol, l'arsenic, le sel ammoniac, le sel de verre, le sel alkali, le sel commun, le sel gemme, le salpê tre, le sel de soude, le sel attingat, le sel de tartre, le sel alembroth; mais, croyez‑ moi, il faut vous en mé fier. Il faut é viter les mé taux imparfaits, rubifié s, autrement vous serez trompé e comme je l'ai é té moi‑ mê me. J'ai tout essayé : le sang, les cheveux, l'â me de Saturne, les marcassites, l'aes ustum, le safran de Mars, les é cailles et l'é cume du fer, la litharge, l'antimoine; rien. J'ai travaillé pour tirer l'huile et l'eau de l'argent, j'ai calciné l'argent aussi bien avec un sel pré paré que sans sel, et avec de l'eau‑ de‑ vie, et j'en ai tiré des huiles corrosives, un point c'est tout. J'ai employé le lait, le vin, la pré sure, le sperme des é toiles qui tombe sur la terre, la ché lidoine, le placenta des foetus; j'ai mé langé le mercure aux mé taux, les ré duisant en cristaux; j'ai cherché dans les cendres mê mes... Enfin...

– Enfin?

– Il n'est rien au monde qui demande plus de prudence que la vé rité. La dire, c'est comme se faire une saigné e au cœ ur...

– Assez, assez, vous m'exaltez... »

 

« A vous seul, j'ose confier mon secret. Je ne suis d'aucune é poque ni d'aucun lieu. Hors du temps et de l'espace je vis mon é ternelle existence. Il y a des ê tres qui n'ont plus d'anges gardiens: je suis l'un de ceux‑ là...

– Mais pourquoi m'avez‑ vous conduit ici? »

Une autre voix: « Cher Balsamo, on est en train de jouer au mythe de l'immortel?

– Imbé cile! L'immortalité n'est pas un mythe. C'est un fait. »

 

J'é tais sur le point de m'en aller, ennuyé par ce caquetage, quand j'entendis Salon. Il parlait à voix basse, avec tension, comme s'il retenait quelqu'un par le bras. Je reconnus la voix de Pierre.

« Allons, allons, disait Salon, vous ne me direz pas que vous aussi vous ê tes là pour cette bouffonnerie alchimique. Vous n'allez pas me dire que vous ê tes venu prendre le frais dans les jardins. Vous savez que, aprè s Heidelberg, de Caus a accepté une invitation du roi de France pour s'occuper de la propreté de Paris?

– Les faç ades?

– Il n'é tait pas Malraux. J'ai le soupç on qu'il s'agissait des é gouts. Curieux, n'est‑ ce pas? Ce monsieur inventait des orangeries et des vergers symboliques pour les empereurs, mais ce qui l'inté ressait, c'é taient les souterrains de Paris. En ces temps‑ là, il n'existait pas, à Paris, un vrai ré seau d'é gouts. C'é tait une combinaison de canaux à fleur de terre et de conduits enterré s, dont on savait bien peu de chose Les Romains, dè s les temps de la Ré publique, savaient tout sur leur Cloaca Maxima; mille cinq cents ans aprè s, à Paris, on ne sait rien de ce qui se passe sous terre. Et de Caus accepte l'invitation du roi parce qu'il veut en savoir davantage. Que voulait‑ il savoir? Aprè s de Caus, Colbert, pour nettoyer les conduits recouverts – c'é tait là le pré texte, et remarquez que nous sommes à l'é poque du Masque de fer –, y envoie des galé riens; ces derniers se mettent à naviguer dans les excré ments, suivent le courant jusqu'à la Seine, et ils s'é loignent à bord d'un bateau, sans que personne ose affronter les redoutables cré atures enveloppé es d'une puanteur insupportable et de nué es de mouches... Alors Colbert place des gendarmes aux diffé rentes sorties sur le fleuve, et les forç ats moururent dans les boyaux. En trois siè cles, à Paris, on a ré ussi à couvrir à peine trois kilomè tres d'é gouts. Mais au XVIIIe, on couvre vingt‑ six kilomè tres, et pré cisé ment à la veille de la Ré volution. Ç a ne vous dit rien?

– Oh, vous savez, cela...

– C'est qu'arrivent au pouvoir des gens nouveaux, qui savent quelque chose que les gens d'avant ne savaient pas. Napolé on envoie des é quipes d'hommes pour avancer dans le noir, au milieu des dé jections de la mé tropole. Qui a eu le courage de travailler là ‑ bas, à cette é poque, a trouvé beaucoup de choses. Des bagues, de l'or, des colliers, des bijoux, que n'é tait‑ il pas tombé de qui sait où dans ces couloirs. Des gens qui avaient le cœ ur d'avaler ce qu'ils trouvaient, pour sortir ensuite, prendre un laxatif, et devenir riches. Et on a dé couvert que nombre de maisons avaient un passage souterrain qui menait directement à l'é gout.

– Ç a, alors...

– A une é poque où l'on jetait son vase de nuit par les fenê tres? Et pourquoi trouva‑ t‑ on, dè s ce temps‑ là, des é gouts avec une sorte de trottoir laté ral, et des anneaux de fer muré s afin qu'on pû t s'y accrocher? Ces passages correspondent à ces tapis francs où le milieu – la pè gre, comme on disait alors – se ré unissait, et si la police arrivait on pouvait s'enfuir et ré é merger d'un autre cô té.

– Feuilleton, pardi...

– Ah oui? Qui cherchez‑ vous à proté ger, vous? Sous Napolé on III, le baron Haussmann oblige par dé cret toutes les maisons de Paris à construire un ré servoir autonome, et puis un couloir souterrain qui conduise aux é gouts collecteurs... Une galerie de deux mè tres trente de hauteur et d'un mè tre trente de largeur. Vous rendez‑ vous compte? Chaque maison de Paris relié e par un couloir souterrain aux é gouts. Et vous savez quelle est la longueur des é gouts de Paris, aujourd'hui? Deux mille kilomè tres, et sur diffé rents strates ou niveaux. Et tout a commencé avec celui qui a projeté à Heidelberg ces jardins...

– Et alors?

– Je vois que vous ne voulez vraiment pas parler. Et pourtant vous savez quelque chose que vous ne voulez pas me dire.

– Je vous en prie, laissez‑ moi, il est bien tard, vé, on m'attend pour une ré union. » Bruit de pas.

Je ne comprenais pas à quoi voulait en venir Salon. Je regardai autour de moi, serré que j'é tais entre la rocaille et l'ouverture de l'oreille, et je me sentis dans le sous‑ sol, moi aussi sous une voû te, et j'eus l'impression que l'embouchure de ce canal phonurgique n'é tait autre que le dé but d'une descente dans des boyaux obscurs qui plongeaient vers le centre de la terre, grouillants de Nibelungen. Je sentis le froid. J'allais m'é loigner lorsque j'entendis encore une voix: « Venez. On va commencer. Dans la salle secrè te. Appelez les autres. »

 

– 61 –

Un Dragon à trois tê tes garde cette Toison d'or. La premiè re tê te est issue des eaux, la seconde de la terre, la troisiè me de l'air. Né anmoins, il faut que ces trois tê tes n'en forment qu'une trè s puissante, qui dé vorera tous les autres Dragons.

Jean D'ESPAGNET, Arcanum Hermeticae Philosophiae Opus, 1623, 138.

Je retrouvai mon groupe et dis à Agliè que j'avais entendu quelqu'un parler à voix basse d'une ré union.

« Ah, dit Agliè, on est curieux! Mais je vous comprends. Si vous vous enfoncez dans les mystè res hermé tiques, vous voudrez n'en rien ignorer. Eh bien, ce soir devrait avoir lieu, pour ce que j'en sais, l'initiation d'un nouveau membre de l'Ordre de la Rose‑ Croix Ancien et Accepté.

– On peut voir? demanda Garamond.

– On ne peut pas. On ne doit pas. On ne devrait. On ne pourrait. Mais nous ferons comme ces personnages du mythe grec, qui virent ce qu'ils ne devaient pas, et nous affronterons l'ire des dieux. Je vous permets de glisser un regard. » Il nous fit monter par un escalier é troit jusqu'à un couloir sombre, é carta une tenture et, à travers une baie vitré e close, nous pû mes jeter un coup d'œ il dans la salle en contrebas, é clairé e par des braseros ardents. Les murs é taient tapissé s de damas tissé de fleurs de lys, et au fond se dressait un trô ne surmonté d'un baldaquin doré. De chaque cô té du trô ne, profilé s en carton ou en matiè re plastique, posé s sur deux tré pieds, un soleil et une lune, d'une exé cution plutô t grossiè re mais recouverts de feuilles d'é tain ou de lames de mé tal, naturellement d'or et d'argent, et d'un certain effet car les deux astres é taient directement animé s par les flammes d'un brasero. Au‑ dessus du baldaquin pendait du plafond une é norme é toile, é tincelante de pierres pré cieuses, ou de lamelles de verre. Le plafond é tait tapissé de damas bleu constellé de grandes é toiles argenté es.

Face au trô ne, une longue table que dé coraient des palmes où é tait posé e une é pé e, et, juste devant la table, un lion empaillé à la gueule grande ouverte. D'é vidence quelqu'un lui avait disposé une petite lampe rouge à l'inté rieur du crâ ne car ses yeux brillaient, incandescents, et sa gorge paraissait lancer des flammes. Je pensai qu'il devait y avoir la patte de monsieur Salon là ‑ dessous, et je ré alisai enfin à quels clients curieux il faisait allusion le jour où je le rencontrai dans la mine, à Munich.

A la table se trouvait Bramanti, attifé d'une tunique é carlate et de parements verts brodé s, d'une chape blanche à frange d'or, d'une croix sur la poitrine, et d'un chapeau rappelant vaguement une mitre, orné d'un panache blanc et rouge. Devant lui, dans une attitude hié ratique, une vingtaine de personnes, é galement en tunique é carlate, mais sans parements. Tous portaient sur la poitrine quelque chose de doré qu'il me sembla reconnaî tre. Je me souvins d'un portrait de la Renaissance, d'un grand nez des Habsbourg, de cet agneau bizarre aux pattes pendantes, pendu par la taille. Ces gens se paraient d'une imitation acceptable de la Toison d'or.

Bramanti é tait en train de parler, les bras levé s, comme s'il psalmodiait une litanie, et les assistants ré pondaient par moments. Puis Bramanti leva l'é pé e et tous tirè rent de leur tunique un stylet, ou un coupe‑ papier, et ils le brandirent. Et ce fut à cet instant qu'Agliè laissa retomber la tenture. Nous en avions trop vu.

Nous nous é loignâ mes (à l'allure de la Panthè re rose, comme pré cisa Diotallevi, exceptionnellement informé sur les perversions du monde contemporain), et nous retrouvâ mes dans le jardin, un peu essoufflé s.

Garamond é tait abasourdi. « Mais ce sont des... maç ons?

– Oh, dit Agliè, que veut dire maç ons? Ce sont des adeptes d'un ordre chevaleresque, qui se ré fè re aux Rose‑ Croix et indirectement aux Templiers.

– Mais tout ç a n'a rien à voir avec la maç onnerie? demanda encore Garamond.

– S'il y a quelque chose en commun avec la maç onnerie, dans ce que vous avez vu, c'est que le rite de Bramanti aussi est un hobby pour les gens des professions libé rales et les politiciens de province. Mais il en alla ainsi dè s les dé buts: la franc‑ maç onnerie fut une pâ le spé culation sur la lé gende templiè re. Et celle‑ ci est la caricature d'une caricature. Sauf que ces messieurs le prennent terriblement au sé rieux. Hé las! Le monde grouille de rosicruciens et de templaristes comme ceux que vous avez vus ce soir. Ce n'est pas de ceux‑ là qu'il faudra attendre une ré vé lation, mê me si c'est parmi eux qu'on pourrait rencontrer un initié digne de foi.

– Mais enfin, demanda Belbo, et sans ironie, sans dé fiance, comme si la question le concernait personnellement, enfin, vous les fré quentez. A qui pouvez‑ vous... excusez‑ moi... pouviez‑ vous croire, vous, parmi tous ceux‑ là ?

– A aucun, naturellement. Ai‑ je l'air d'un individu cré dule? Je les regarde avec la froideur, la compré hension, l'inté rê t avec quoi un thé ologien peut observer les foules napolitaines qui hurlent en attendant le miracle de saint Janvier. Ces foules té moignent une foi, un besoin profond, et le thé ologien rô de parmi ces gens bavant et suant parce qu'il pourrait y rencontrer le saint qui s'ignore, le porteur d'une vé rité supé rieure, capable un jour de jeter une nouvelle lumiè re sur le mystè re de la Trè s Sainte Trinité. Mais la Trè s Sainte Trinité n'est pas saint Janvier. »

Il é tait insaisissable. Je ne savais comment dé finir son scepticisme hermé tique, son cynisme liturgique, cette mé cré ance supé rieure qui le portait à reconnaî tre la dignité de toute superstition qu'il mé prisait.

« C'est simple, ré pondait‑ il à Belbo, si les Templiers, les vrais, ont laissé un secret et institué une continuité, il faudra bien aller à leur recherche, et dans les milieux où ils pourraient le plus facilement se camoufler, où peut‑ ê tre eux‑ mê mes inventent rites et mythes pour agir inobservé s, tel un poisson dans l'eau. Que fait la police quand elle cherche l'é vadé sublime, le gé nie du mal? Elle passe au peigne fin les bas‑ fonds, les bars mal famé s que hantent d'habitude la canaille, les petites frappes, qui ne parviendront jamais à concevoir les crimes grandioses de la personne recherché e. Que fait le stratè ge de la terreur pour recruter ses futurs acolytes, et se rencontrer avec les siens, et les reconnaî tre? Il dé ambule dans ces lieux de rendez‑ vous de pseudo‑ subversifs où beaucoup, qui ne seront jamais tels par manque de trempe, miment à dé couvert les comportements pré sumé s de leurs idoles. On cherche la lumiè re perdue dans les incendies, ou dans ces sous‑ bois quand, aprè s le flamboiement, les flammes ronflent sous les broussailles, la boue de feuilles et d'herbes, le feuillage à demi brû lé. Et où pourrait‑ il mieux se masquer, le vrai Templier, si ce n'est au milieu de la foule de ses caricatures? »

 

– 62 –

Nous considé rerons comme socié té s druidiques par dé finition les socié té s qui s'affirment druidiques dans leur appellation ou dans leurs buts et qui confè rent des initiations se ré clamant du druidisme.

M. RAOULT, Les druides. Les socié té s initiatiques celtes contemporaines, Paris, Rocher, 1983, p. 18.

Minuit approchait et, selon le programme d'Agliè, nous attendait la seconde surprise de la soiré e. Nous quittâ mes les jardins palatins et reprî mes le voyage à travers les collines.

Trois quarts d'heure plus tard, Agliè fit garer les deux voitures au bord d'un fourré. Il fallait traverser un maquis, dit‑ il, pour arriver à une clairiè re, et il n'y avait ni route ni sentier.

Nous avancions sur une pente lé gè re, tout en pié tinant dans le sous‑ bois: ce n'é tait pas mouillé, mais les chaussures glissaient sur un dé pô t de feuilles pourries et de racines gluantes. De temps à autre, Agliè allumait une lampe de poche pour repé rer des passages praticables, mais il l'é teignait aussitô t car – disait‑ il – il ne fallait pas signaler notre pré sence aux officiants. A un moment donné, Diotallevi hasarda un commentaire, dont j'ai un vague souvenir, peut‑ ê tre é voqua‑ t‑ il le Petit Chaperon Rouge, mais Agliè, et avec une certaine tension, le pria de s'abstenir.

Alors que nous é tions sur le point de sortir du maquis, nous commenç â mes d'entendre des voix lointaines. Nous arrivâ mes enfin à l'oré e de la clairiè re qui nous apparut dè s l'abord é clairé e par des lumiè res douces, comme des torches, ou mieux, des lumignons qui ondoyaient presque à ras de terre, des lueurs faibles et argenté es, comme si une substance gazeuse brû lait avec une froideur chimique en bulles de savon errant sur l'herbe. Agliè nous dit de nous arrê ter où nous é tions, encore à l'abri des buissons, et d'attendre, sans nous faire remarquer.

« D'ici peu arriveront les prê tresses. Les druidesses, plutô t. Il s'agit d'une invocation à la grande vierge cosmique Mikil – saint Michel en repré sente une adaptation populaire chré tienne, et ce n'est pas un hasard si saint Michel est un ange, donc androgyne, et s'il a pu prendre la place d'une divinité fé minine...

– D'où viennent‑ elles? chuchota Diotallevi.

– De diffé rents endroits, de la Normandie, de la Norvè ge, de l'Irlande... L'é vé nement est plutô t singulier et cette aire est propice au rite.

– Pourquoi? demanda Garamond.

– Parce que certains lieux sont plus magiques que d'autres.

– Mais qui sont‑ elles... dans la vie? demanda encore Garamond.

– Des personnes comme tout le monde. Des dactylos, des inspectrices, des poé tesses. Des personnes que vous pourriez rencontrer demain sans les reconnaî tre. »

 

Maintenant nous entrevoyions une petite foule qui s'apprê tait à envahir le centre de la clairiè re. Je compris que les lumiè res froides que j'avais vues é taient de petites lampes que les prê tresses portaient à la main, et elles m'avaient semblé au ras de l'herbe parce que la clairiè re se trouvait au sommet d'un coteau, et de loin j'avais discerné dans le noir les druidesses qui, montant de la vallé e, en é mergeaient sur le bord extrê me du petit plateau. Elles é taient vê tues de tuniques blanches qui flottaient dans le vent lé ger. Elles se disposè rent en cercle, et au centre se placè rent trois officiantes.

« Ce sont les trois hallouines de Lisieux, de Clonmacnois et de Pino Torinese », dit Agliè. Belbo demanda pourquoi pré cisé ment elles et Agliè haussa les é paules: « Silence, attendons. Je ne peux pas vous ré sumer en trois mots le rituel et la hié rarchie de la magie nordique. Contentez‑ vous de ce que je vous dis. Si je n'en dis pas plus, c'est parce que je n'en sais rien... ou que je ne peux rien en dire. Il faut que je respecte certains devoirs de ré serve... »



  

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