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FILENAME : ABOU 25 страница



– Je fonds en larmes. Et toi, tu aimes tant que ç a ê tre Sophia?

– Mais je le suis pour toi aussi, mon amour. Tu sais qu'avant de me connaî tre tu avais des cravates horribles et des pellicules sur les é paules? »

Riccardo lui avait repris la nuque. « Je peux participer à la conversation? avait‑ il dit.

– Toi, tais‑ toi et danse. Tu es l'instrument de ma luxure.

– Ç a me va. »

Belbo poursuivait comme si l'autre n'existait pas: « Alors tu es sa prostitué e, sa fé ministe qui s'occupe des RP, et lui c'est ton Simon.

– Moi je ne m'appelle pas Simon, dit Riccardo, la langue dé jà pâ teuse.

– On ne parle pas de toi », dit Belbo. Depuis quelques instants, j'é tais mal à l'aise pour lui. Lui, d'habitude si jaloux de ses propres sentiments, é tait en train de mettre en scè ne sa querelle amoureuse devant un té moin, pis, un rival. Mais avec cette derniè re ré plique, je me rendis compte que, se mettant à nu devant l'autre – au moment où le vé ritable adversaire é tait un autre encore –, il ré affirmait, de la seule maniè re qui lui é tait permise, sa possession de Lorenza.

Pendant ce temps, Lorenza ré pondait, aprè s avoir qué mandé un autre verre à quelqu'un: « Mais par jeu. Mais c'est toi que j'aime.

– Encore heureux que tu ne me haï sses pas. Ecoute, je voudrais rentrer à la maison, j'ai une crise de gastrite. Moi je suis encore prisonnier de la basse matiè re. A ma pomme Simon n'a rien promis. On s'en va ensemble?

– Mais restons encore un peu. C'est si bon. Tu ne t'amuses pas? Et puis je n'ai pas encore regardé les tableaux. Tu as vu que Riccardo en a fait un sur moi?

– Que de choses j'aimerais faire sur toi, dit Riccardo.

– Tu es vulgaire. É carte‑ toi. Je suis en train de parler avec Jacopo. Jacopo, bon Dieu, il n'y a que toi qui peux faire des jeux intellectuels avec tes amis, moi pas? Qui est‑ ce qui me traite comme une prostitué e de Tyr? Toi.

– Je l'aurais parié. Moi. C'est moi qui te pousse dans les bras des vieux messieurs.

– Lui, il n'a jamais tenté de me prendre entre ses bras. Ce n'est pas un satyre. Ç a t'embê te qu'il n'ait pas envie de coucher avec moi mais me considè re comme un partner intellectuel.

– Allumeuse.

– C'est vraiment pas ce que tu aurais dû dire. Riccardo, emmè ne‑ moi chercher quelque chose à boire.

– Non, attends, dit Belbo. A pré sent, tu vas me dire si tu le prends au sé rieux, je veux comprendre si tu es folle ou pas. Et arrê te de boire. Dis‑ moi si tu le prends au sé rieux, nom de Dieu!

– Mais mon amour, c'est notre jeu, entre lui et moi. Et puis le plus beau de l'histoire c'est que quand Sophia comprend qui elle est, et se libè re de la tyrannie des anges, elle peut é voluer, libre du pé ché...

– Tu as cessé de pé cher?

– Je t'en prie, reviens‑ y, dit Riccardo en la baisant pudiquement au front.

– Au contraire, ré pondit‑ elle à Belbo, sans regarder le peintre, toutes ces choses‑ là ne sont plus pé ché, on peut faire tout ce qu'on veut pour se libé rer de la chair, on est au‑ delà du bien et du mal. »

Elle donna une poussé e à Riccardo et l'é loigna d'elle. Elle proclama à haute voix: « Je suis la Sophia et pour me libé rer des anges je dois perpé trer... perpé trer... per‑ pé ‑ trer tous les pé ché s, mê me les plus dé licieux! »

Elle alla, en titubant lé gè rement, dans un coin où é tait assise une fille habillé e de noir, les yeux bistré s, le teint pâ le. Elle l'attira au centre de la salle et commenç a d'ondoyer avec elle. Elles é taient presque ventre contre ventre, les bras ballants le long des flancs. « Je peux aimer mê me toi », dit‑ elle. Et elle l'embrassa sur la bouche.

Les autres s'é taient avancé s autour, en demi‑ cercle, un peu excité s, et quelqu'un cria quelque chose. Belbo s'é tait assis, avec une expression impé né trable, et il regardait la scè ne comme un impresario assiste à un bout d'essai. Il é tait en transpiration et il avait un tic à l'œ il gauche, que je ne lui avais jamais remarqué. Soudain, alors que Lorenza dansait depuis au moins cinq minutes, faisant, par ses mouvements, de plus en plus mine de s'offrir, il eut un sursaut: « Maintenant, viens ici. »

Lorenza s'arrê ta, é carta les jambes, tendit les bras en avant et s'é cria: « Je suis la prostitué e et la sainte!

– Tu es la conne », dit Belbo en se levant. Il alla droit sur elle, la saisit avec violence par un poignet, et l'entraî na vers la porte.

« Arrê te, cria‑ t‑ elle, tu n'as pas le droit... » Puis elle é clata en larmes et lui jeta les bras au cou. « Mon amour, mais moi je suis ta Sophia à toi, tu ne t'es pas mis en colè re pour ç a au moins... »

Belbo lui passa tendrement un bras autour des é paules, l'embrassa sur une tempe, lui arrangea les cheveux, aprè s quoi il dit en direction de la salle: « Excusez‑ la, elle n'est pas habitué e à boire autant. »

J'entendis quelques petits rires parmi l'assistance. Je crois que Belbo aussi les avait entendus. Sur le seuil il m'aperç ut, et il fit quelque chose dont je n'ai jamais su si c'é tait pour moi, pour les autres, pour lui. Il le fit en sourdine, à mi‑ voix, quand dé sormais les autres ne s'inté ressaient plus à eux.

En tenant toujours Lorenza par les é paules, il se retourna de trois quarts vers la salle et dit lentement, du ton de qui dit une é vidence: « Cocorico. »

 

‑ 51‑

Quand doncques un Gros Cerveau Caballiste te veult dire quelque chose, ne pense qu'il te dit chose frivole, chose vulgaire, chose commune: mais un mystè re, un oracle...

Thomaso GARZONI, Il Theatro de vari e diversi cervelli mondani, Venezia, Zanfretti, 1583, discours XXXVI.

Le maté riel iconographique trouvé à Milan et à Paris ne suffisait pas. Monsieur Garamond m'autorisa à rester plusieurs jours à Munich, au Deutsches Museum.

Je passai quelques soiré es dans les petits bars du Schwabing – et dans ces cryptes immenses où jouent de leurs instruments de vieux messieurs moustachus, en pantalons de cuir courts, et se sourient les amants dans une fumé e dense de vapeurs porcines au‑ dessus des chopes de biè re d'un litre, un couple à cô té de l'autre – et les aprè s‑ midi à feuilleter le fichier des reproductions. Par moments, je quittais les archives et me promenais à travers le musé e, où on a reconstitué tout ce qu'un ê tre humain peut avoir inventé, vous manœ uvrez un poussoir et des dioramas pé troliers s'animent de tré pans en action, vous entrez dans un vrai sous‑ marin, vous faites tourner les planè tes, vous vous amusez à produire des acides et des ré actions en chaî ne – un Conservatoire moins gothique et complè tement futurible, habité par des groupes scolaires galvanisé s qui apprennent à aimer les ingé nieurs.

Au Deutsches Museum, on saura tout sur les mines aussi: on descend un escalier et on pé nè tre dans une mine, avec tout ce qu'il faut, galeries, ascenseurs pour hommes et chevaux, boyaux où rampent des enfants (en cire j'espè re) é macié s et exploité s. On parcourt des couloirs té né breux et interminables, on fait une pause sur le bord de puits sans fond, on sent le froid dans ses os, et on perç oit presque l'odeur du grisou. É chelle 1/1.

J'errais dans une galerie secondaire, dé sespé rant de revoir la lumiè re du jour, et j'aperç us, penché sur l'abî me, quelqu'un qu'il me sembla reconnaî tre. La tê te ne m'é tait pas é trangè re, ridé e et grise, cheveux blancs, regard de chouette, mais je sentais que l'habit aurait dû ê tre diffé rent, comme si j'avais dé jà vu ce visage vissé sur quelque uniforme, comme si je retrouvais, aprè s un long temps, un prê tre dé froqué ou un capucin sans barbe. Lui aussi me regarda, lui aussi en hé sitant. Ainsi qu'il advient dans ces cas‑ là, aprè s une escrime de coups d'oeil furtifs, il prit l'initiative et me salua en italien. C'est alors que je parvins à l'imaginer dans ses nippes: eû t‑ il porté une houppelande jaunâ tre, il aurait é té monsieur Salon. A. Salon, taxidermiste. Il avait son atelier à quelques portes de mon bureau, un peu plus loin dans le couloir de la fabrique dé saffecté e où je jouais les Marlowe de la culture. Je l'avais parfois croisé dans les escaliers et nous avions é changé un signe de salut.

« Curieux, dit‑ il en me tendant la main, nous sommes colocataires depuis si longtemps et nous nous pré sentons dans les entrailles de la terre, à mille milles de distance. »

Nous prononç â mes quelques phrases de circonstance. J'eus l'impression qu'il savait parfaitement ce que je faisais, et ce n'é tait pas rien, é tant donné que je ne le savais mê me pas moi avec exactitude. « Par quel hasard dans un musé e de la technique? Dans votre maison d'é dition vous vous occupez de choses plus spirituelles, il me semble.

– Comment pouvez‑ vous le savoir?

– Oh, il fit un geste vague, les gens parlent, je reç ois beaucoup de visites...

– Quels gens viennent chez un empailleur, pardon, chez un taxidermiste?

– Il en vient beaucoup. Vous me direz comme tout le monde que ce n'est pas un mé tier commun. Mais les clients ne manquent pas, et il y en a de tous les genres. Musé es, collectionneurs privé s.

– Il ne m'arrive pas souvent de voir des animaux empaillé s dans les maisons, dis‑ je.

– Non? Cela dé pend des maisons que vous fré quentez... Ou des caves.

 

– On tient des animaux empaillé s dans les caves?

– Certains le font. Toutes les crè ches ne sont pas à la lumiè re du soleil, ou de la lune. Je me mé fie de ces clients, mais vous savez, le travail... Je me mé fie des souterrains.

– C'est pour ç a que vous vous promenez dans les souterrains?

– Je contrô le. Je me mé fie des souterrains mais je veux les comprendre. Ce n'est pas qu'il y ait beaucoup de possibilité s. Les catacombes à Rome, me direz‑ vous. Il n'y a pas de mystè re, elles sont pleines de touristes, et sous le contrô le de l'É glise. Il y a les é gouts de Paris... Vous y avez é té ? On peut les visiter le lundi, le mercredi et le dernier samedi de chaque mois, en entrant par le pont de l'Alma. Ç a aussi, c'est un parcours pour touristes. Naturellement à Paris il y a aussi les catacombes, et des caves profondes. Pour ne rien dire du mé tro. N'avez‑ vous jamais é té au numé ro 145 de la rue Lafayette?

– J'avoue que non.

– Un peu hors de porté e, entre la gare de l'Est et la gare du Nord. Un é difice d'abord indiscernable. Seulement si vous l'observez mieux, vous vous rendez compte que les portes semblent en bois mais sont en fer peint, et que les fenê tres donnent sur des piè ces inhabité es depuis des siè cles. Jamais une lumiè re. Mais les gens passent et ne savent pas.

– Ne savent pas quoi?

– Que c'est une fausse maison. C'est une faç ade, une enveloppe sans toit, sans rien à l'inté rieur. Vide. Ce n'est que l'orifice d'une cheminé e. Elle sert à l'aé ration ou à é vacuer les é manations du RER. Et quand vous le comprenez, vous avez l'impression d'ê tre devant la gueule des Enfers; et que seulement si vous pouviez pé né trer dans ces murs, vous auriez accè s au Paris souterrain. Il m'est arrivé de passer des heures et des heures devant ces portes qui masquent la porte des portes, la station de dé part pour le voyage au centre de la terre. Pourquoi croyez‑ vous qu'ils ont fait ç a?

– Pour aé rer le mé tro, vous avez dit.

– Les bouches d'aé ration suffisaient. Non, c'est devant ces souterrains que je commence à avoir des soupç ons. Me comprenez‑ vous? »

En parlant de l'obscurité il paraissait s'illuminer. Je lui demandai pourquoi il soupç onnait les souterrains.

« Mais parce qu'on y trouve les Seigneurs du Monde, ils ne peuvent qu'ê tre dans le sous‑ sol: voilà une vé rité que tous devinent mais que peu osent exprimer. Le seul, sans doute, qui se soit enhardi à le dire en toutes lettres a é té Saint‑ Yves d'Alveydre. Vous connaissez? »

Peut‑ ê tre l'avais‑ je entendu nommer par l'un ou l'autre des diaboliques, mais mes souvenirs é taient impré cis.

« C'est celui qui nous a parlé d'Agarttha, le siè ge souterrain du Roi du Monde, le centre occulte de la Synarchie, dit Salon. Il n'a pas eu peur, il se sentait sû r de lui. Mais tous ceux qui l'ont publiquement suivi ont é té é liminé s, parce qu'ils en savaient trop. »

Nous commenç â mes à nous dé placer dans les galeries, et monsieur Salon me parlait en jetant des regards distraits le long du chemin, à l'embouchure de nouvelles voies, à l'ouverture d'autres puits, comme s'il cherchait dans la pé nombre la confirmation de ses soupç ons.

« Ne vous ê tes‑ vous jamais demandé pourquoi toutes les grandes mé tropoles modernes, au siè cle dernier, se sont hâ té es de construire les mé tropolitains?

– Pour ré soudre les problè mes de la circulation. Ou quoi?

– Quand il n'y avait pas de trafic automobile et que seuls les fiacres circulaient? D'un homme de votre esprit, je m'attendrais à une explication plus subtile!

– Vous en avez une, vous?

– Peut‑ ê tre », dit monsieur Salon, et il sembla le dire d'un air absorbé et absent. Mais c'é tait une faç on de stopper la conversation. Et de fait il s'aperç ut qu'il devait s'en aller. Puis, aprè s m'avoir serré la main, il s'attarda encore une seconde, comme saisi par une pensé e fortuite: « A propos, ce colonel... comment s'appelait‑ il, celui qui é tait venu il y a des anné es aux é ditions Garamond vous parler d'un tré sor des Templiers? Vous n'en avez plus rien su? »

Je fus comme fouetté par cette brutale et indiscrè te ostentation de connaissances que je considé rais ré servé es et enterré es. Je voulais lui demander comment il pouvait ê tre au courant, mais j'eus peur. Je me limitai à lui dire, d'un air indiffé rent: « Oh, une vieille histoire, je l'avais oublié e. Mais à propos: pourquoi avez‑ vous dit " à propos " ?

– J'ai dit à propos? Ah oui, bien sû r, il me semblait qu'il avait trouvé quelque chose dans un souterrain...

– Comment le savez‑ vous?

– Je ne sais pas. Je ne me rappelle pas qui m'en a parlé. Peut‑ ê tre un client. Mais moi ma curiosité est piqué e quand entre en scè ne un souterrain. Manies de l'â ge. Bonsoir. »

Il s'en alla, et je restai à ré flé chir sur la signification de cette rencontre.

 

– 52 –

Dans certaines ré gions de l'Himalaya, parmi vingt‑ deux temples repré sentant les vingt‑ deux Arcanes d'Hermè s et les vingt‑ deux lettres de certains alphabets sacré s, l'Agarttha forme le Zé ro mystique, l'introuvable... Un é chiquier colossal s'é tendant sous terre à travers presque toutes les ré gions du Globe.

Saint‑ Yves D'ALVEYDRE, Mission de l'Inde en Europe, Paris, Calmann‑ Lé vy, 1886, pp. 54 et 65.

A mon retour, j'en parlai à Belbo et à Diotallevi et nous fî mes diffé rentes hypothè ses. Salon, excentrique et cancanier, qui, en quelque sorte, se ré galait de mystè res, avait connu Ardenti, et tout s'arrê tait là. Ou bien: Salon savait quelque chose sur la disparition d'Ardenti et travaillait pour ceux qui l'avaient fait disparaî tre. Autre hypothè se: Salon é tait un indic...

Puis nous vî mes d'autres diaboliques, et Salon se confondit avec ses semblables.

Quelques jours plus tard, nous eû mes Agliè au bureau, pour son rapport sur quelques manuscrits que Belbo lui avait envoyé s. Il les jugeait avec pré cision, sé vé rité, indulgence. Agliè é tait madré, il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre le double jeu Garamond‑ Manuzio, et nous ne lui avions plus caché la vé rité. Il paraissait comprendre et justifier. Il dé molissait un texte en deux ou trois observations incisives, et puis il notait avec un cynisme poli que, pour Manuzio, ledit texte pouvait fort bien aller.

Je lui demandai ce qu'il pouvait me dire d'Agarttha et de Saint‑ Yves d'Alveydre.

« Saint‑ Yves d'Alveydre... dit‑ il. Un homme bizarre, sans nul doute, dè s sa jeunesse il fré quentait les fidè les de Fabre d'Olivet. Ce n'é tait qu'un employé du ministè re de l'Inté rieur, mais d'une ambition... Nous ne portâ mes certes pas un bon jugement sur lui lorsqu'il é pousa Marie‑ Victoire... »

Agliè n'avait pas ré sisté. Il é tait passé à la premiè re personne. Il é voquait des souvenirs. « Qui é tait Marie‑ Victoire? J'adore les ragots, dit Belbo.

– Marie‑ Victoire de Risnitch, d'une grande beauté lorsqu'elle é tait l'intime de l'impé ratrice Eugé nie. Mais quand elle rencontra Saint‑ Yves, elle avait la cinquantaine passé e. Et lui, la trentaine. Mé salliance pour elle, cela va sans dire. Non seulement, mais pour lui donner un titre elle avait acheté je ne me rappelle plus quelle terre ayant appartenu à certains marquis d'Alveydre. Et ainsi notre dé sinvolte personnage put se parer de ce titre, et à Paris on chantait des couplets sur le " gigolo ". Pouvant vivre de rentes, il s'é tait consacré à son rê ve. Il s'é tait mis en tê te de trouver une formule politique capable de conduire à une socié té plus harmonieuse. Synarchie comme le contraire d'anarchie. Une socié té europé enne, gouverné e par trois conseils qui repré senteraient le pouvoir é conomique, les magistrats et le pouvoir spirituel, en somme les Eglises et les hommes de science. Une oligarchie é clairé e qui é liminerait la lutte des classes. On en a entendu de pires.

– Mais Agarttha?

– Il disait qu'il avait reç u, un jour, la visite d'un mysté rieux Afghan, un certain Hadji Scharipf, qui ne pouvait ê tre afghan car son nom est carré ment albanais... Et que ce dernier lui avait ré vé lé le secret de la ré sidence du Roi du Monde – mê me si Saint‑ Yves n'a jamais utilisé cette expression, ce sont les autres, par la suite –, Agarttha, l'Introuvable.

– Mais où dit‑ on ces choses‑ là ?

– Dans Mission de l'Inde en Europe. Un ouvrage qui a beaucoup influencé la pensé e politique contemporaine. Il existe à Agarttha des villes souterraines, sous elles et en allant vers le centre il y a cinq mille pundits qui la gouvernent – é videmment le chiffre de cinq mille rappelle les racines hermé tiques de la langue vé dique, je ne vous l'apprends pas. Et chaque racine est un hié rogramme magique, lié à une puissance cé leste et avec la sanction d'une puissance infernale. La coupole centrale d'Agarttha reç oit par en haut l'é clairage de sortes de miroirs qui ne laissent arriver la lumiè re qu'à travers la gamme enharmonique des couleurs, dont le spectre solaire de nos traité s de physique ne constitue que le systè me diatonique. Les sages d'Agarttha é tudient toutes les langues sacré es pour arriver à la langue universelle, le Vattan. Quand ils abordent des mystè res trop profonds, ils s'é lè vent de terre en forte lé vitation et ils iraient se fracasser le crâ ne contre la voû te de la coupole si leurs confrè res ne les retenaient pas. Ils pré parent les foudres, orientent les courants cycliques des fluides interpolaires et intertropicaux, les dé rivations interfé rentielles dans les diffé rentes zones de latitude et de longitude de la terre. Ils sé lectionnent les espè ces, et ils ont cré é des animaux petits mais aux vertus psychiques extraordinaires, avec un dos de tortue, une croix jaune sur le dos et un œ il et une bouche aux deux extré mité s. Des animaux polypodes qui peuvent se dé placer dans toutes les directions. C'est à Agarttha que se sont probablement ré fugié s les Templiers aprè s leur dispersion, et c'est là qu'ils exercent leurs tâ ches de surveillance. Quoi d'autre encore?

– Mais... il parlait sé rieusement? demandai‑ je.

– Je crois que lui prenait l'histoire à la lettre. D'abord nous le considé râ mes comme un exalté, ensuite nous nous rendî mes compte qu'il faisait allusion, peut‑ ê tre sur le mode visionnaire, à une direction occulte de l'histoire. Ne dit‑ on pas que l'histoire est une é nigme sanglante et insensé e? Ce n'est pas possible, il doit y avoir un dessein. Il faut qu'il y ait un Cerveau. C'est pour cela que des hommes, et pas des plus benê ts, ont pensé, au cours des siè cles, aux Seigneurs ou au Roi du Monde, peut‑ ê tre pas une personne physique: un rô le, un rô le collectif, l'incarnation tour à tour provisoire d'une Intention Stable. Quelque chose avec quoi é taient certainement en contact les grands ordres sacerdotaux et chevaleresques disparus.

– Vous y croyez, vous? demanda Belbo.

– Des personnes plus é quilibré es que lui cherchent les Supé rieurs Inconnus.

– Et les trouvent? »

Agliè rit presque à part soi, avec bonhomie. « Quelle espè ce de Supé rieurs Inconnus seraient‑ ils, s'ils se laissaient dé couvrir par le premier venu? Messieurs, au travail. J'ai encore un manuscrit, et, coï ncidence, c'est pré cisé ment un traité sur les socié té s secrè tes.

« Une bonne chose? demanda Belbo

– Je vous le laisse à imaginer. Mais pour les é ditions Manuzio, cela pourrait aller. »

 

– 53 –

Ne pouvant non plus diriger ouvertement les destiné es terrestres, parce que les gouvernements s'y opposeraient, cette association mysté rieuse ne peut agir autrement que par le moyen des socié té s secrè tes... Ces socié té s secrè tes, cré é es à mesure qu'on en a besoin, sont dé taché es par bandes distinctes et opposé es en apparence, professant respectivement, et tour à tour, les opinions du jour les plus contraires, pour diriger sé paré ment, et avec confiance, tous les partis politiques, religieux, é conomiques et litté raires, et elles sont rattaché es, pour y recevoir une direction commune, à un centre inconnu où est caché le ressort puissant qui cherche ainsi à mouvoir invisiblement tous les sceptres de la terre.

J. M. HOENE‑ WRONSKI, cité par P. Sé dir, Histoire et doctrine des Rose‑ Croix, Paris, Collection des Hermé tistes, 1910, pp. 7‑ 8.

Un jour, je vis monsieur Salon sur le seuil de son atelier. Soudain, entre chien et loup, je m'attendais qu'il poussâ t le cri de la chouette. Il me salua comme un vieil ami et me demanda comment ç a allait là ‑ bas. Je fis un geste vague, lui souris, et filai.

M'assaillit de nouveau la pensé e d'Agarttha. De la maniè re dont me les avait exposé es Agliè, les idé es de Saint‑ Yves pouvaient apparaî tre fascinantes pour un diabolique, mais pas inquié tantes. Et pourtant, dans les paroles et dans le visage de Salon, à Munich, j'avais perç u de l'inquié tude.

Ainsi, en sortant, je dé cidai de faire un saut en bibliothè que et de chercher la Mission de l'Inde en Europe.

Il y avait l'habituelle cohue dans la salle des fichiers et au bureau de prê t. En jouant des coudes je m'emparai du tiroir que je cherchais, trouvai l'indication, remplis la fiche et la passai à l'employé. Il m'informa que le livre é tait en main et, ainsi qu'il arrive dans les bibliothè ques, il paraissait en jouir. Mais, juste à cet instant, j'entendis une voix dans mon dos: « Permettez, il est bien ici, je viens de le rendre. » Je me retournai. C'é tait le commissaire De Angelis.

Je le reconnus, et lui aussi me reconnut – trop vite, dirais‑ je. Je l'avais vu en des circonstances qui, pour moi, é taient exceptionnelles; lui, au cours d'une enquê te de routine. Par ailleurs, à l'é poque d'Ardenti j'avais une barbiche clairsemé e et les cheveux un peu plus longs. Quel œ il.

M'aurait‑ il tenu sous contrô le depuis mon retour? Ou sans doute n'é tait‑ il qu'un bon physionomiste, les policiers doivent cultiver l'esprit d'observation, mé moriser les visages, et les noms...

« Monsieur Casaubon! Et nous lisons les mê mes livres! »

Je lui tendis la main: « Maintenant, je pourrais ê tre professeur, depuis longtemps. Et mê me passer le concours pour entrer dans la police, comme vous‑ mê me me l'avez conseillé, un beau matin. Ainsi aurai‑ je les livres le premier.

– Il suffit d'arriver le premier, me dit‑ il. Mais à pré sent le livre est revenu, vous pourrez le ré cupé rer un peu plus tard. Pour l'instant, laissez‑ moi vous offrir un café. »

L'invitation m'embarrassait, mais impossible de me dé rober. Nous allâ mes nous asseoir dans un bar du coin. Il me demanda comment il se faisait que je m'occupais de la mission de l'Inde, et je fus tenté de lui retourner sa question: pourquoi s'en occupait‑ il, lui; mais je dé cidai de proté ger d'abord mes arriè res. Je lui dis que je poursuivais, à temps perdu, mes é tudes sur les Templiers: les Templiers, selon von Eschenbach, quittent l'Europe et se rendent en Inde, et, selon certains, dans le royaume d'Agarttha. Maintenant, c'é tait à lui de se dé couvrir. « Plutô t, dites‑ moi: pourquoi donc ç a vous inté resse vous aussi?

– Oh, vous savez, ré pondit‑ il, depuis que vous m'avez conseillé ce livre sur les Templiers, j'ai commencé à me faire une culture sur le sujet. Vous savez mieux que moi que des Templiers on arrive automatiquement à Agarttha. » Touché. Puis il dit: « Je plaisantais. Je cherchais le livre pour d'autres raisons. C'est parce que... » Il hé sita. « Bref, quand je ne suis pas en service, je fré quente les bibliothè ques. Pour ne pas devenir une machine, ou pour ne pas rester un flic, je vous laisse le choix de la formule la plus aimable. Mais vous, racontez‑ moi. »

Je paradai dans un ré sumé autobiographique, jusqu'à la merveilleuse histoire des mé taux.

Il me demanda: « Mais là, dans cette maison d'é dition, et dans l'autre à cô té, vous ne faites pas des livres de sciences mysté rieuses? »



  

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