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Il entra en regardant autour de lui avec circonspection et se pré senta (professeur Camestres). A la question « professeur de quoi? » il fit un geste vague, comme pour nous inviter à la ré serve. « Veuillez m'excuser, nous dit‑ il, je ne sais pas si vous vous occupez du problè me d'un point de vue purement technique, commercial, ou si vous ê tes lié s à quelque groupe initiatique... »

Nous le rassurâ mes. « Ce n'est point excè s de prudence de ma part, dit‑ il, mais je n'aurais pas envie d'avoir des rapports avec quelqu'un de l'OTO. » Puis, devant notre perplexité : « Ordo Templi Orientis, le conventicule des derniers pré tendus fidè les d'Aleister Crowley... Je vois que vous ê tes é trangers, messieurs, à... Mieux vaut ainsi, il n'y aura pas de pré jugé s de votre part. » Il accepta de s'asseoir. « Car, voyez‑ vous, l'œ uvre que je voudrais maintenant vous pré senter s'oppose courageusement à Crowley. Nous tous, moi compris, sommes encore fidè les aux ré vé lations du Liber AL vel legis, qui, comme sans doute vous le savez, fut dicté à Crowley en 1904, au Caire, par une intelligence supé rieure nommé e Aiwaz. Et c'est à ce texte que s'en tiennent les partisans de l'OTO, aujourd'hui encore, et à ses quatre é ditions, la premiè re desquelles pré cé da de neuf mois le dé but de la guerre dans les Balkans, la deuxiè me de neuf mois le dé but de la premiè re guerre mondiale, la troisiè me de neuf mois la guerre sino‑ japonaise, la quatriè me de neuf mois les massacres de la guerre civile espagnole... »

Je ne pus m'empê cher de croiser les doigts. Il s'en aperç ut et sourit, funè bre: « Je comprends votre hé sitation. Vu que ce que je vous apporte, maintenant, est la cinquiè me proposition de ce livre, qu'arrivera‑ t‑ il dans neuf mois? Rien, rassurez‑ vous, car ce que je repropose est le Liber legis augmenté, é tant donné que j'ai eu la fortune d'ê tre visité non point par une simple intelligence supé rieure, mais par Al lui‑ mê me, principe suprê me, autrement dit Hoor‑ paar‑ Kraat, qui serait le double ou le jumeau mystique de Ra‑ Hoor‑ Khuit. Mon unique pré occupation, ne serait‑ ce que pour empê cher des influences né fastes, c'est que mon ouvrage puisse ê tre publié pour le solstice d'hiver.

– C'est envisageable, dit Belbo, encourageant.

– J'en suis vraiment heureux. Le livre fera du bruit dans les milieux initiatiques, parce que, comme vous pouvez le comprendre, ma source mystique est plus sé rieuse et digne de cré dit que celle de Crowley. Je ne sais comment Crowley pouvait mettre en œ uvre les rituels de la Bê te sans tenir compte de la Liturgie de l'É pé e. Ce n'est qu'en dé gainant l'é pé e que l'on comprend ce qu'est le Mahapralaya, autrement dit le Troisiè me œ il de Kundalinî. Et puis, dans son arithmologie entiè rement fondé e sur le Nombre de la Bê te, il n'a pas considé ré 93, 118, 444, 868 et 1001, les Nouveaux Nombres.

– Que signifient‑ ils? demanda Diotallevi aussitô t excité.

– Ah, dit le professeur Camestres, comme on le disait dé jà dans le premier Liber legis, chaque nombre est infini, et il n'y a pas de diffé rence!

– Je comprends, dit Belbo. Mais ne pensez‑ vous pas que tout cela est un peu obscur pour le lecteur moyen? »

Camestres sursauta presque sur sa chaise. « Mais c'est absolument indispensable. Qui comprendrait ces secrets sans la pré paration obligé e chuterait dans l'Abî me! Dé jà, à les rendre publics de faç on voilé e, je cours des risques, croyez‑ moi. J'é volue dans le domaine de l'adoration de la Bê te, mais de maniè re plus radicale que Crowley, vous verrez mes pages sur le congressus cum daemone, les prescriptions pour les objets du temple et l'union charnelle avec la Femme É carlate et la Bê te qu'Elle Chevauche. Crowley s'é tait arrê té au congrè s charnel dit contre nature, moi je cherche à porter le rituel au‑ delà du Mal tel que nous le concevons, j'effleure l'inconcevable, la pureté absolue de la Goetia, le seuil extrê me du Bas‑ Aumgn et du Sa‑ Ba‑ Ft... »

Il ne restait plus à Belbo qu'à sonder les possibilité s financiè res de Camestres. Il le fit avec de longues circonlocutions, et à la fin il apparut que notre homme, comme dé jà Bramanti, n'avait aucune intention de s'autofinancer. Commenç ait alors la phase de largage, avec demande enveloppé e de garder le manuscrit dactylographié en examen pendant une semaine, et puis on verrait. A ces mots, Camestres avait serré le manuscrit contre sa poitrine en affirmant qu'on ne l'avait jamais traité avec pareille dé fiance, et il é tait sorti en laissant comprendre qu'il avait des moyens peu communs pour nous faire regretter de l'avoir offensé.

 

En un court laps de temps, nous eû mes cependant une dizaine de manuscrits ACA bon teint. Il fallait un minimum de choix, vu que nous voulions aussi les vendre. Puisqu'il é tait exclu que nous puissions tout lire, nous consultions les tables des matiè res, en donnant un coup d'oeil, puis nous nous communiquions nos dé couvertes.

 

– 45 –

De cela dé coule une extraordinaire question. Les É gyptiens connaissaient‑ ils l'é lectricité ?

Peter KOLOSIMO, Terra senza tempo, Milan, Sugar, 1964, p. 111.

« J'ai repé ré un texte sur les civilisations disparues et les pays mysté rieux, disait Belbo. Il paraî t qu'au dé but existait un continent de Mu, du cô té de l'Australie, et que de là se sont ramifié s les grands courants migratoires. L'un va dans l'î le d'Avalon, un autre dans le Caucase et aux sources de l'Indus, puis il y a les Celtes, les fondateurs de la civilisation é gyptienne et enfin l'Atlantide...

– Vieilles lunes: des messieurs qui é crivent des livres sur Mu, je vous en balance sur cette table autant que vous voulez, disais‑ je.

– Mais celui‑ ci paiera peut‑ ê tre. Et puis il a aussi un trè s beau chapitre sur les migrations grecques dans le Yucatá n, il parle du bas‑ relief d'un guerrier, à Chiché n Itzâ, qui ressemble à un lé gionnaire romain. Deux gouttes d'eau...

– Tous les casques du monde ont soit des plumes soit des criniè res de cheval, dit Diotallevi. Ce n'est pas une preuve.

– Pour toi, pas pour lui. Lui il trouve des adorations du serpent dans toutes les civilisations et il en dé duit qu'il y a une origine commune...

 

– Qui n'a pas adoré le serpent? dit Diotallevi. Sauf, naturellement, le Peuple É lu.

– Ah oui, eux ils adoraient les veaux.

– Ce fut un moment de faiblesse. Moi, par contre, celui‑ ci je l'é carterais, mê me s'il paie. Celtisme et aryanisme, Kali‑ yuga, dé clin de l'Occident et spiritualité SS. Il se peut que je sois paranoï aque, mais il me semble nazi.

– Pour Garamond, ce n'est pas né cessairement une contre‑ indication.

– Oui, mais il y a une limite à tout. En revanche, j'en ai vu un autre sur des gnomes, ondines, salamandres, elfes et sylphides, fé es... Pourtant là aussi les origines de la civilisation aryenne entrent dans la danse. On dirait que les SS naissent des Sept Nains.

– Pas les Sept Nains, ce sont les Nibelungen.

– Mais ceux dont on parle, c'est le Petit Peuple irlandais. Et les mé chantes sont les fé es, les tout petits sont les bons, juste un peu taquins.

– Mets‑ le de cô té. Et vous Casaubon, qu'est‑ ce que vous avez vu?

– Seulement un texte curieux sur Christophe Colomb: il analyse sa signature et y trouve jusqu'à une ré fé rence aux pyramides. Son but é tait de reconstruire le Temple de Jé rusalem, é tant donné qu'il é tait grand maî tre des Templiers en exil. Comme il é tait notoirement un Juif portugais et donc expert kabbaliste, c'est avec des é vocations talismaniques qu'il a calmé les tempê tes et dompté le scorbut. Je n'ai pas regardé les textes sur la Kabbale parce que j'imagine que Diotallevi les a vus.

– Tous avec des lettres hé braï ques erroné es, photocopié es dans les brochures à quatre sous sur la Clef des songes.

– Attention que nous sommes en train de choisir des textes pour Isis Dé voilé e. Ne faisons pas de la philologie. Les diaboliques aiment peut‑ ê tre les lettres hé braï ques tiré es de la Clef des songes. Pour toutes les contributions sur la maç onnerie, je reste dans l'incertitude. Monsieur Garamond m'a recommandé d'y aller mollo, il ne veut pas ê tre pris dans les diatribes entre les diffé rents rites. Je ne né gligerais cependant pas celui‑ ci, sur le symbolisme maç onnique dans la grotte de Lourdes. Ni cet autre, superbe, sur l'apparition d'un gentilhomme, probablement le comte de Saint‑ Germain, intime de Franklin et de Lafayette, au moment de l'invention du drapeau des É tats‑ Unis. Sauf que s'il explique bien la signification des é toiles, il entre dans un é tat confusionnel à propos des bandes.

– Le comte de Saint‑ Germain! dis‑ je. Voyez‑ moi ç a!

– Pourquoi, vous le connaissez?

– Si je vous dis que oui vous ne me croirez pas. Laissons tomber. Moi j'ai là une monstruosité de quatre cents pages contre les erreurs de la science moderne: L'atome, un mensonge judaï que, L'erreur d'Einstein et le secret mystique de l'é nergie, L'illusion de Galilé e et la nature immaté rielle de la lune et du soleil.

– Si c'est pour ç a, dit Diotallevi, ce que j'ai le plus aimé c'est ce passage en revue de sciences fortiennes.

– Et c'est quoi?

– D'un certain Charles Hoy Fort, qui avait recueilli une immense collection de nouvelles inexplicables. Une pluie de grenouilles à Birmingham, des empreintes d'un animal fabuleux dans le Devon, des escaliers mysté rieux et des empreintes de ventouses sur la croupe de certaines montagnes, des irré gularité s dans la pré cession des é quinoxes, des inscriptions sur des mé té orites, de la neige noire, des orages de sang, des ê tres ailé s à huit mille mè tres dans le ciel de Palerme, des roues lumineuses dans la mer, des restes de gé ants, une cascade de feuilles mortes en France, des pré cipitations de matiè re vivante à Sumatra, et naturellement toutes les empreintes sur le Machupicchu et autres cimes de l'Amé rique du Sud qui attestent l'atterrissage de puissants navires spatiaux à l'é poque pré historique. Nous ne sommes pas seuls dans l'univers.

– Pas mal, dit Belbo. Ce qui m'intrigue, moi, ce sont par contre ces cinq cents pages sur les pyramides. Vous le saviez, que la pyramide de Ché ops est juste sur le trentiè me parallè le, celui qui traverse le plus grand nombre de terres é mergé es? Que les rapports gé omé triques qu'on trouve dans la pyramide de Ché ops sont les mê mes qu'on trouve à Pedra Pintada en Amazonie? Que l'Egypte possé dait deux serpents à plumes, un sur le trô ne de Toutankhamon et l'autre sur la pyramide de Sakkara, et que ceci renvoie à Quetzalcoatl?

– Que vient faire Quetzalcoatl avec l'Amazonie, puisqu'il fait partie du panthé on mexicain? demandai‑ je.

– Eh bien, j'ai sans doute perdu un chaî non. Par ailleurs, comment justifier que les statues de l'î le de Pâ ques sont des mé galithes comme les celtiques? Un des dieux polyné siens s'appelle Ya et c'est d'é vidence le Iod des Juifs, comme l'ancien hongrois Io‑ v', le dieu grand et bon. Un ancien manuscrit mexicain montre la terre ainsi qu'un carré entouré par la mer et au centre de la terre il y a une pyramide portant sur sa base l'inscription Aztlan, qui ressemble à Atlas ou Atlantide. Pourquoi sur l'un et l'autre cô té de l'Atlantique trouve‑ t‑ on des pyramides?

– Parce qu'il est plus facile de construire des pyramides que des sphè res. Parce que le vent produit les dunes en forme de pyramides et non de Parthé non.

– Je hais l'esprit des Lumiè res, dit Diotallevi.

– Je poursuis. Dans la religion é gyptienne le culte de Râ n'apparaî t pas avant le Nouvel Empire, par consé quent il vient des Celtes. Rappelez‑ vous saint Nicolas et sa luge. Dans l'Egypte pré historique le navire solaire é tait une luge. Comme cette luge n'aurait pas pu glisser sur la neige en Egypte, son origine devait ê tre nordique... »

Je ne lâ chais pas pied: « Mais avant l'invention de la roue, on utilisait des luges sur le sable aussi.

– N'interrompez pas. Le livre dit qu'il faut d'abord identifier les analogies, et ensuite dé couvrir les raisons. Et là il dit que, en dé finitive, les raisons sont scientifiques. Les É gyptiens connaissaient l'é lectricité, autrement ils n'auraient pas pu faire ce qu'ils ont fait. Un ingé nieur allemand, chargé de la construction des é gouts de Bagdad, a mis au jour des piles é lectriques marchant encore et qui remontaient aux Sassanides. Dans les fouilles de Babylone on a extrait des accumulateurs fabriqué s il y a quatre mille ans. Et enfin l'Arche d'alliance (qui aurait dû recueillir les Tables de la Loi, la verge d'Aaron et un vase rempli de manne du dé sert) é tait une espè ce de coffre é lectrique capable de produire des dé charges de l'ordre de cinq cents volts.

– Je l'ai dé jà vu dans un film.

– Et alors? Où croyez‑ vous qu'ils vont chercher leurs idé es, les scé naristes? L'Arche é tait faite en bois d'acacia, habillé e d'or à l'inté rieur et à l'exté rieur – le mê me principe que les condensateurs é lectriques, deux conducteurs sé paré s par un isolant. Elle é tait entouré e d'une guirlande, en or elle aussi. Elle é tait placé e dans une zone sè che où le champ magné tique atteignait 500‑ 600 volts par mè tre vertical. On dit que Porsenna a libé ré par l'é lectricité son royaume de la pré sence d'un terrible animal appelé Volt.

– C'est pour cela que Volta a choisi ce surnom exotique. Avant, il ne s'appelait que Szmrszlyn Krasnapolskij.

– Soyons sé rieux. D'autant que j'ai là, outre les manuscrits, un é ventail de lettres qui proposent des ré vé lations sur les rapports entre Jeanne d'Arc et les Livres Sibyllins, Lilith dé mon talmudique et la grande mè re hermaphrodite, le code gé né tique et l'é criture martienne, l'intelligence secrè te des plantes, la renaissance cosmique et la psychanalyse, Marx et Nietzsche dans la perpective d'une nouvelle angé lologie, le Nombre d'or et le marché aux puces de Clignancourt, Kant et l'occultisme, mystè res d'Eleusis et jazz, Cagliostro et l'é nergie atomique, homosexualité et gnose, Golem et lutte des classes, pour finir avec un ouvrage en huit volumes sur le Graal et le Sacré ‑ Cœ ur.

– Qu'est‑ ce qu'il veut dé montrer? que le Graal est une allé gorie du Sacré ‑ Coeur ou que le Sacré ‑ Coeur est une allé gorie du Graal?

– Je comprends la diffé rence et l'appré cie, mais je crois que pour lui les deux font é galement l'affaire. Bref, à ce point je ne sais plus à quoi m'en tenir. Il faudrait entendre monsieur Garamond. »

Nous l'entendî mes. Lui il dit que par principe on ne devait rien jeter, et é couter tout le monde.

« Notez que la plus grande partie de tout ce qu'on a vu ré pè te des choses qu'on trouve dans tous les kiosques des gares, dis‑ je. Les auteurs, mê me ceux qui se font imprimer, se pompent entre eux, l'un donne comme té moignage l'affirmation de l'autre, et tous utilisent comme preuve dé cisive une phrase de Jamblique.

– Et alors, dit Garamond. Vous ne voulez pas vendre aux lecteurs quelque chose qu'ils ignorent? Il faut que les livres d'Isis Dé voilé e parlent exactement des mê mes choses dont parlent les autres. Ils se confirment mutuellement, donc ils sont vrais. Mé fiez‑ vous de l'originalité.

– D'accord, dit Belbo, mais il faudrait savoir ce qui est é vident et ce qui ne l'est pas. Nous avons besoin d'un conseiller.

– De quel genre?

– Je ne sais pas. Il faut qu'il soit plus blasé qu'un diabolique, mais il faut qu'il connaisse leur monde. Et puis il doit nous dire sur quoi nous devons miser pour Hermetica. Un spé cialiste sé rieux de l'hermé tisme de la Renaissance...

– Bravo, lui dit Diotallevi, et puis la premiè re fois que tu lui mets entre les mains le Graal et le Sacré ‑ Cœ ur, il fout le camp en claquant la porte.

– Ce n'est pas dit.

– Je crois avoir l'homme qu'il nous faut, dis‑ je. C'est un type certainement é rudit, qui prend suffisamment au sé rieux ces choses‑ là, mais avec é lé gance, avec ironie, dirais‑ je. Je l'ai rencontré au Bré sil, mais il devrait ê tre à Milan maintenant. Je devrais avoir son té lé phone quelque part.

– Contactez‑ le, dit Garamond. Avec circonspection, cela dé pend du prix. Et puis tâ chez aussi de l'utiliser pour la merveilleuse aventure des mé taux. »

 

 

Agliè parut heureux de me ré entendre. Il me demanda des nouvelles de la dé licieuse Amparo, je lui fis timidement comprendre que c'é tait une histoire passé e, il s'excusa, fit quelques observations polies sur la fraî cheur avec laquelle un jeune homme peut toujours ouvrir de nouveaux chapitres à sa vie. Je lui touchai un mot d'un projet d'é dition. Il se montra inté ressé, dit qu'il nous verrait volontiers, et nous fixâ mes un rendez‑ vous chez lui.

 

 

De la naissance du Projet Hermè s jusqu'à ce jour‑ là, je m'é tais amusé avec insouciance aux dé pens de la moitié du monde. Maintenant, ce sont Eux qui commenç aient à pré senter l'addition. J'é tais moi aussi une abeille, et je filais vers une fleur, mais je l'ignorais encore.

 

– 46 –

Durant le jour tu t'approcheras nombre de fois de la grenouille et profé reras paroles d'adoration. Et tu lui demanderas d'accomplir les miracles que tu dé sires... en attendant, tu entailleras une croix sur quoi l'immoler.

Extrait d'un Rituel d'Aleister CROWLEY.

Agliè habitait du cô té du piazzale Susa: une ruelle à l'é cart, un petit hô tel particulier fin de siè cle, de style sobrement floral. Un vieux valet de chambre en veste rayé e nous ouvrit, qui nous introduisit dans un salon et nous pria d'attendre monsieur le comte.

« Alors il est comte, susurra Belbo.

– Je ne vous l'ai pas dit? C'est Saint‑ Germain, ressuscité.

– Il ne peut pas ê tre ressuscité puisqu'il n'est jamais mort, trancha Diotallevi. Ce ne serait pas des fois Ahasvé rus, le Juif errant?

– Selon certains, le comte de Saint‑ Germain a é té aussi Ahasvé rus.

 

– Vous voyez? »

Agliè entra, toujours tiré à quatre é pingles. Il nous serra la main et s'excusa: une ré union ennuyeuse, tout à fait impré vue, l'obligeait à demeurer encore une dizaine de minutes dans son cabinet de travail. Il dit à son valet de chambre de nous porter du café et nous pria de nous asseoir. Il sortit ensuite, en é cartant une lourde portiè re de vieux cuir. Point de porte derriè re et, tandis que nous prenions le café, des voix alté ré es nous parvenaient de la piè ce d'à cô té. D'abord, nous parlâ mes en haussant le ton, pour ne pas é couter, puis Belbo observa que peut‑ ê tre nous dé rangions. Dans un instant de silence nous entendî mes une voix, et une phrase, qui suscitè rent notre curiosité. Diotallevi se leva de l'air d'admirer au mur une gravure du XVIIe siè cle, juste à cô té de la portiè re. C'é tait une caverne creusé e dans une montagne, à laquelle quelques pè lerins accé daient en montant sept marches. Aprè s un court laps de temps, nous faisions tous les trois semblant d'é tudier la gravure.

Celui que nous avions entendu é tait certainement Bramanti, et il disait: « En somme, moi je n'envoie des diables chez personne! »

Ce jour‑ là nous ré alisâ mes que Bramanti avait du tapir non seulement l'aspect mais aussi la voix.

L'autre voix é tait celle d'un inconnu, au fort accent marseillais, et au ton criard, presque hysté rique. Par moments s'interposait dans le dialogue la voix d'Agliè, velouté e et conciliante.

« Allons, messieurs, disait maintenant Agliè, vous en avez appelé à mon verdict, et j'en suis honoré, mais dans ce cas‑ là il faut m'é couter. Avant tout, permettez‑ moi de le dire, cher Pierre, vous avez é té pour le moins imprudent d'é crire cette lettre...

– L'affaire n'est pas compliqué e, monsieur le comte, ré pondait la voix franç aise, ce monsieur Bramanti, vé, il é crit un article, dans une revue que nous tous, peuchè re, estimons, où il fait de l'ironie plutô t lourde sur certains lucifé riens, qui voleraient des hosties sans mê me croire en la pré sence ré elle, pour en tirer de l'argent et patati! et patata! Bon, à pré sent tout le monde sait que l'unique É glise Lucifé rienne reconnue est celle dont je suis modestement Tauroboliaste et Psychopompe et on le sait, vous savez, que mon É glise, vé, ne fait pas du satanisme vulgaire et ne fait pas de la bouillabaisse avec les hosties, ni de la ratatouille d'ailleurs, comme celle du chanoine Docre à Saint‑ Sulpice. Moi, dans la lettre, j'ai dit que nous ne sommes pas des satanistes vieux jeu, adorateurs du Grand Tenancier du Mal, et que nous n'avons pas besoin, vé, de singer l'É glise de Rome, avec tous ces ciboires et ces comment on dit chasubles... Nous sommes plutô t des Palladiens, vé, mais tout le monde le sait, pour nous Lucifer est le principe du bien, et si ç a se trouve, c'est Adonaï, coquin de sort, qui est le principe du mal, parce que ce monde, c'est lui qui l'a cré é, et Lucifer avait tenté de s'y opposer...

– D'accord, disait Bramanti, excité, je l'ai dit, je peux avoir pé ché par lé gè reté, mais ceci ne vous autorisait pas à me menacer d'un sortilè ge!

– Allons! allons! Ne confondons pas, ouvrez les esgourdes, j'ai fait une mé taphore! Plutô t, c'est vous qui en retour m'avez fait l'envoû tement!

– Eh! Bien sû r, mes confrè res et moi avons du temps à perdre pour envoyer les diablotins se promener! Nous pratiquons, nous, Dogme et Rituel de la Haute Magie, nous ne sommes pas des jeteuses de sorts!

– Monsieur le comte, j'en appelle à vous. Notoirement, monsieur Bramanti a des rapports avé l'abbé Boutroux, et vous, vous savez bien que de ce prê tre on dit qu'il s'est fait tatouer sur la plante des pieds le crucifix afin, peuchè re, de pouvoir marcher sur notre Seigneur, autrement dit le sien... Bon, je rencontre, il y a sept jours de cela, ce pré tendu abbé dans la librairie Du Sangreal, vous connaissez, lui me sourit, bien visqueux comme d'habitude, et il me dit bien bien, vé, on s'entendra un de ces soirs... Mais qu'est‑ ce que ç a veut dire, un de ces soirs? Ç a veut dire, é coutez‑ moi bien, que, deux soirs aprè s, commencent les visites: je suis sur le point d'aller au lit et, vé, je me sens frapper à la figure par des chocs fluidiques, vous savez que ce sont des é manations aisé ment reconnaissables.

– Vous avez dû frotter vos semelles sur la moquette.

– Ah oui! Et alors, pourquoi, dites un peu, pourquoi ils volaient, les bibelots; un de mes alambics m'atteint à la tê te, mon Baphomet en plâ tre tombe par terre, c'é tait un cadeau de mon pô vre pè re, et sur le mur, vé, apparaissent des é critures en rouge, des ordures que je n'ose pas redire? Or, vous savez bien qu'il n'y a pas plus d'un an feu monsieur Gros avait accusé cet abbé ‑ là de faire des cataplasmes avé de la matiè re fé cale, pardonnez‑ moi, et l'abbé l'a condamné à mort– et deux semaines aprè s, vé, le pô vre monsieur Gros mourait mysté rieusement. Que ce Boutroux manipule des substances vé né neuses, mê me le jury d'honneur convoqué par les martinistes de Lyon l'a é tabli...

– Sur la base de calomnies... disait Bramanti.

– Holà, dites donc! Un procè s sur des sujets de cette sorte est toujours fondé sur des indices...

– Oui, mais que monsieur Gros fû t un alcoolo avec une cirrhose au dernier stade, ç a on ne l'a pas dit au tribunal.

– Mais ne faites pas l'enfant! Mais la sorcellerie procè de par des voies naturelles, si quelqu'un a une cirrhose, on le frappe dans l'organe malade, c'est le b a ba de la magie noire...

– Et alors tous ceux qui meurent de cirrhose, c'est le bon Boutroux, laissez‑ moi rire!

– Et alors racontez‑ moi ce qui s'est passé à Lyon pendant ces deux semaines, vé... Chapelle dé consacré e, hostie avé le té tragrammatό n, votre Boutroux dans une grande robe rouge avé la croix renversé e, et madame Olcott, sa voyante personnelle, peuchè re pour ne pas dire autre chose, qui lui apparaî t le trident sur le front, et les calices vides qui se remplissent tout seuls de sang, et l'abbé qui crachouillait dans la bouche des fidè les... C'est vrai ou c'est pas vrai?

– Mais vous avez trop lu Huysmans, mon cher! riait Bramanti. Ce fut un é vé nement culturel, une ré é vocation historique, comme les cé lé brations de l'é cole de Wicca et des collè ges druidiques!

– Ouais, pé caï re! le carnaval de Venise... »

Nous entendî mes un remue‑ mé nage, comme si Bramanti allait se jeter sur son adversaire, et qu'Agliè le retî nt avec peine. « Vous le voyez, vous le voyez, disait le Franç ais de sa voix haut perché e. Mais faites attention, Bramanti, demandez à votre ami Boutroux ce qui lui est arrivé ! Vous, vous ne le savez pas encore, mais il est allongé à l'hô pital, demandez‑ lui un peu qui lui a cassé la figure! Mê me si je ne pratique pas votre goethia là, j'en sais quelque chose moi aussi, et quand j'ai compris que ma maison é tait habité e, j'ai tracé sur le parquet le cercle de dé fense, je crois bien, et comme moi je n'y crois pas mais vos diablotins si, j'ai enlevé le scapulaire du Carmel, et je lui ai fait le contresigne, l'envoû tement retourné, ah oui. Votre abbé a passé un bien mauvais quart d'heure, ils te l'ont escagassé, va!

– Vous voyez, vous voyez? haletait Bramanti, vous voyez que c'est lui qui fait les malé fices?

– Messieurs, à pré sent ç a suffit, dit Agliè, aimable mais ferme. A pré sent, vous allez m'é couter. Vous savez combien j'appré cie sur le plan cognitif ces revisitations de rituels dé suets, et pour moi l'é glise lucifé rienne ou l'ordre de Satan sont é galement respectables au‑ delà des diffé rences dé monologiques. Vous savez mon scepticisme en la matiè re, mais enfin, nous appartenons cependant toujours à la mê me chevalerie spirituelle et je vous invite à un minimum de solidarité. Et puis, messieurs, mê ler le Prince des Té nè bres à des dé pits personnels! Si c'é tait vrai, ce serait pué ril. Allons, fables d'occultistes. Vous ne vous comportez pas mieux que de vulgaires francs‑ maç ons. Boutroux est un dissident, soyons francs, et si l'occasion s'en pré sente, cher Bramanti, invitez‑ le à revendre à un brocanteur son bric‑ à ‑ brac d'accessoiriste pour le Mé phistophé lè s de Boï to...



  

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