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– Les temps sont mû rs pour cette revalorisation de la culture de l'inactualité, aprè s les é checs des utopies du monde moderne, dit Bramanti.

– Saintes paroles, professeur. Mais il faut que vous pardonniez notre – mon Dieu, je ne dirai pas ignorance, mais du moins notre flottement à ce sujet: à quoi pensez‑ vous, personnellement, quand vous parlez de sciences occultes? Spiritisme, astrologie, magie noire? »

Bramanti fit un geste de dé couragement: « Oh par pitié ! Mais ce sont là les sornettes qu'on donne à avaler aux ingé nus. Moi je parle de science, fû t‑ elle occulte. Certes, l'astrologie aussi, s'il le faut, mais pas pour dire à la dactylo si dimanche prochain elle va rencontrer le jeune homme de sa vie. Ce sera plutô t une é tude sé rieuse sur les Dé cans, par exemple.

– Je vois. Scientifique. La chose est dans notre ligne, bien sû r, mais pourriez‑ vous ê tre un peu plus pré cis? »

Bramanti se dé tendit dans son fauteuil et balaya la piè ce de ses yeux, comme pour chercher des inspirations astrales. « On pourrait donner des exemples, certes. Je dirais que le lecteur idé al d'une collection de ce genre devrait ê tre un adepte Rose‑ Croix, et donc un expert in magiam, in necromantiam, in astrologiam, in geomantiam, in pyromantiam, in hydromantiam, in chaomantiam, in medicinam adeptam, pour citer le livre d'Azoth – celui qui fut donné par une jeune fille mysté rieuse au Staurophore, comme on raconte dans le Raptus philosophorum. Mais la connaissance de l'adepte embrasse d'autres champs, il y a la physiognosie, qui concerne physique occulte, statique, dynamique et ciné matique, astrologie ou biologie é soté rique, et l'é tude des esprits de la nature, zoologie hermé tique et astrologie biologique. Ajoutez la cosmognosie, qui é tudie l'astrologie mais sous l'aspect astronomique, cosmologique, physiologique, ontologique, ou l'anthropognosie, qui é tudie l'anatomie homologique, les sciences divinatoires, la physiologie fluidique, la psycurgie, l'astrologie sociale et l'hermé tisme de l'histoire. Puis il y a les mathé matiques qualitatives, c'est‑ à ‑ dire, vous le savez mieux que moi, l'arithmologie... Mais les connaissances pré liminaires postuleraient la cosmographie de l'invisible, magné tisme, auras, sommeils, fluides, psychomé trie et voyance – et en gé né ral l'é tude des cinq autres sens hyperphysiques – pour ne rien dire de l'astrologie horoscopique, qui est dé jà une dé gé né rescence du savoir quand elle n'est pas mené e avec les pré cautions d'usage – et puis physiognomonie, lecture de la pensé e, arts divinatoires (tarots, clef des songes) jusqu'aux degré s supé rieurs comme prophé tie et extase. On demandera des informations suffisantes sur les maniements fluidiques, alchimie, spagirie, té lé pathie, exorcisme, magie cé ré monielle et é vocatoire, thé urgie de base. Pour l'occultisme vé ritable, je conseillerais des explorations dans les champs de la Kabbale primitive, brahmanisme, gymnosophie, hié roglyphiques de Memphis...

– Phé nomé nologie templiè re », insinua Belbo.

Bramanti s'illumina: « Sans nul doute. Mais j'oubliais, d'abord quelques notions de né cromancie et sorcellerie des races non blanches, onomancie, fureurs prophé tiques, thaumaturgie volontaire, suggestion, yoga, hypnotisme, somnambulisme, chimie mercurielle... Wronski, pour la tendance mystique, conseillait de ne pas oublier les techniques des possé dé es de Loudun, des convulsionnaires de Saint‑ Mé dard, les breuvages mystiques, vin d'É gypte, é lixir de vie et acqua‑ toffana. Pour le principe du mal, mais je comprends qu'ici on arrive à la section la plus ré servé e d'une collection possible, je dirais qu'il faut se familiariser avec les mystè res de Belzé buth comme autodestruction, et de Satan comme prince dé trô né, d'Eurinomius, de Moloch, incubes et succubes. Pour le principe positif, mystè res cé lestes de saints Michel, Gabriel et Raphaë l et des agathodé mons. Puis mystè res d'Isis, de Mithra, de Morphé e, de Samothrace et d'É leusis et les mystè res naturels du sexe viril, phallus, Bois de Vie, Clef de Science, Baphomet, maillet, les mystè res naturels du sexe fé minin, Cé rè s, Cté is, Patè re, Cybè le, Astarté. »

Monsieur Garamond se pencha en avant avec un sourire insinuant: « Vous n'allez pas né gliger les gnostiques...

– Mais bien sû r que non, bien que sur ce sujet spé cifique beaucoup de pacotille circule, et tout ç a est peu sé rieux. Quoi qu'il en soit tout occultisme sain est une Gnose.

– C'est bien ce que je disais, dit Garamond.

– Et tout cela suffirait », dit Belbo d'un ton doucement interrogatif.

Bramanti gonfla les joues, se changeant d'un seul coup de tapir en hamster. « Cela suffirait... initialement, pas pour les initié s – pardonnez‑ moi le jeu de mots. Mais dé jà avec une cinquantaine de volumes vous pourriez, messieurs, mesmé riser un public de milliers de lecteurs, qui n'attendent rien d'autre qu'une parole assuré e... Avec un investissement de quelques centaines de millions – je viens pré cisé ment chez vous, professeur Garamond, parce que je vous sais disposé aux aventures les plus gé né reuses – et un modeste pourcentage pour moi, comme directeur de la collection... »

Bramanti en avait dit assez et il perdait tout inté rê t aux yeux de Garamond. Il fut en effet congé dié en hâ te et non sans de grandes promesses. L'immuable comité de conseillers pè serait attentivement la proposition.

 

– 42 –

Mais sachez que nous sommes tous d'accord, quoi que nous disions.

Turba Philosophorum.

Quand Bramanti fut sorti, Belbo observa qu'il aurait dû ô ter son bouchon. Monsieur Garamond ne connaissait pas l'expression et Belbo s'essaya à quelques respectueuses paraphrases, mais sans succè s.

« En tout cas, dit Garamond, ne faisons pas les difficiles. Ce monsieur n'avait pas dit plus de cinq mots et je savais dé jà que ce n'é tait pas un client pour nous. Lui. Mais ceux dont il parlait, si, auteurs et lecteurs. Ce Bramanti est arrivé à conforter des ré flexions que j'é tais justement en train de faire depuis quelques jours. Voici, messieurs. » Et, thé â tralement, il tira trois livres de son tiroir.

« Voici trois volumes sortis ces derniè res anné es, et tous avec succè s. Le premier est en anglais et je ne l'ai pas lu, mais l'auteur est un critique illustre. Et qu'est‑ ce qu'il a é crit? Regardez le sous‑ titre, un roman gnostique. Et maintenant, regardez celui‑ ci: apparemment un roman à trame criminelle, un best‑ seller. Et de quoi parle‑ t‑ il? D'une é glise gnostique aux environs de Turin. Vous, vous savez qui sont ces gnostiques... » Il nous arrê ta d'un signe de la main: « Peu importe, il me suffit de savoir qu'ils sont une chose dé moniaque... Je sais, je sais, je vais peut‑ ê tre trop vite, mais je ne veux pas parler comme vous, je veux parler comme ce Bramanti. En ce moment, je suis é diteur et non pas professeur de gnosé ologie comparé e ou de ce que vous voulez. Qu'est‑ ce que j'ai vu de lucide, de prometteur, d'attirant, je dirai plus, de curieux, dans les propos de Bramanti? Cette extraordinaire capacité à tout rassembler; lui il n'a pas dit gnostiques, mais vous avez vu qu'il aurait pu le dire, entre gé omancie, gé rovital et radhames au mercure. Et pourquoi j'insiste? Parce qu'ici j'ai un autre livre, d'une journaliste cé lè bre: elle raconte des choses incroyables qui se passent à Turin, je dis bien Turin, la ville de l'automobile: jeteuses de sorts, messes noires, é vocations du diable, et tout ç a pour des gens qui paient, pas pour les tarentulé es du Sud. Casaubon, Belbo m'a dit que vous venez du Bré sil et que vous avez assisté à des rites sataniques de ces sauvages de là ‑ bas... D'accord, vous me direz aprè s exactement ce qu'ils é taient, mais c'est du pareil au mê me. Le Bré sil est ici, messieurs. Je suis entré l'autre jour en personne dans cette librairie, comment elle s'appelle, n'importe, c'é tait une librairie qui, il y a six ou sept ans, vendait des textes anarchistes, ré volutionnaires, tupamaros, terroristes, je dirai plus, marxistes... Eh bien? Comment elle s'est recyclé e? Avec les choses dont parlait Bramanti. C'est vrai, nous sommes aujourd'hui à une é poque de confusion et si vous entrez dans une librairie catholique, où naguè re il n'y avait que le caté chisme, vous trouvez mê me à pré sent la revalorisation de Luther, mais du moins ils ne vendraient pas un livre où l'on dise que la religion n'est qu'une vaste filouterie. En revanche, dans ces librairies dont moi je parle, on vend l'auteur qui y croit et celui qui en dit pis que pendre, pourvu qu'ils touchent à un sujet, comment dire...

– Hermé tique, suggé ra Diotallevi.

– Voilà, je crois que c'est le mot juste. J'ai vu au moins dix livres sur Hermè s. Et moi je veux vous parler d'un Projet Hermè s. Où, messieurs, il faudra ramer.

– Avec le rameau d'or, dit Belbo.

– Pas exactement, dit Garamond, sans saisir la citation, mais c'est un filon d'or. Je me suis rendu compte que ces gens‑ là avalent tout, pourvu que ce soit hermé tique, comme vous disiez, pourvu que ç a dise le contraire de ce qu'ils ont trouvé dans leurs livres d'é cole. Et je crois que c'est aussi un devoir culturel: je ne suis pas un bienfaiteur par vocation, mais en ces temps si obscurs, offrir à quelqu'un une foi, un soupirail sur le surnaturel... Les é ditions Garamond ont encore et toujours une mission scientifique... »

Belbo se raidit. « Il m'avait semblé que vous songiez à Manuzio.

– A toutes les deux. É coutez‑ moi. J'ai farfouillé dans cette librairie, et puis je me suis rendu dans une autre, trè s sé rieuse, qui avait pourtant son bon petit rayon de sciences occultes. Sur ces sujets, il y a des é tudes de niveau universitaire, qui cô toient des livres é crits par des gens comme ce Bramanti‑ là. Maintenant, raisonnons: ce Bramanti‑ là n'a peut‑ ê tre jamais rencontré les auteurs universitaires, mais il les a lus, et il les a lus comme s'ils é taient ses é gaux. Ce sont des gens qui pensent que tout ce que vous leur dites se ré fè re à leur problè me, comme l'histoire du chat que les deux conjoints se disputaient pour leur divorce et lui pensait qu'ils discutaient des abattis pour son dé jeuner. Vous l'avez vu vous aussi, Belbo, vous avez balancé l'histoire de la chose templiè re, et lui, tout de suite: okay, les Templiers aussi, et la Kabbale et le loto et le marc de café. Ils sont omnivores. Omnivores. Vous avez vu la tê te de Bramanti: un rongeur. Un public immense, partagé en deux grandes caté gories, je les vois dé jà dé filer devant mes yeux et ils sont lé gion. In primis ceux qui en é crivent, et la maison Manuzio est ici, bras ouverts. Il suffit de les attirer en ouvrant une collection qui se fasse remarquer, qui pourrait s'intituler, voyons...

– La Tabula Smaragdina, dit Diotallevi.

– Quoi? Non, trop difficile, à moi, par exemple, ç a ne dit rien, il faut quelque chose qui rappelle quelque chose d'autre...

– Isis Dé voilé e, dis‑ je.

– Isis Dé voilé e! Ç a sonne bien, bravo Casaubon, il y a du Toutankhamon là ‑ dedans, du scarabé e des pyramides. Isis Dé voilé e, avec une couverture lé gè rement ensorcelante, mais pas trop. Et poursuivons. Ensuite, il y a la deuxiè me troupe, ceux qui achè tent. Bien, mes amis, vous me dites que Manuzio n'est pas inté ressé e par ceux qui achè tent. C'est le mé decin qui en a dé cidé ? Cette fois nous vendons les Manuzio, messieurs, ce sera un saut qualitatif! Restent enfin les é tudes de niveau scientifique, et là les é ditions Garamond entrent en scè ne. A cô té des é tudes historiques et des autres collections universitaires, nous nous trouvons un conseiller sé rieux et publions trois ou quatre livres par an, dans une collection sé rieuse, rigoureuse, avec un titre explicite mais pas pittoresque...

– Hermetica, dit Diotallevi.

– Excellent. Classique, digne. Vous allez me demander pourquoi dé penser du fric avec Garamond quand nous pouvons en gagner avec Manuzio. Mais la collection sé rieuse sert d'appeau, attire des personnes sensé es qui feront d'autres propositions, indiqueront des pistes, et puis elle attire les autres, les Bramanti, qui seront dé vié s sur Manuzio. Le Projet Hermè s me paraî t un projet parfait, une opé ration propre, rentable, qui renforce le flux idé al entre les deux maisons... Messieurs, au travail. Visitez des librairies, é tablissez des bibliographies, demandez des catalogues, voyez ce qui se fait dans les autres pays... Et puis qui sait combien de gens se sont succé dé devant vous, qui portaient des tré sors d'un certain type, et vous les avez liquidé s parce que ç a ne nous servait pas. Et j'y tiens, Casaubon, dans l'histoire des mé taux aussi mettons un peu d'alchimie. L'or est un mé tal, je veux l'espé rer. Les commentaires à plus tard, vous savez que je suis ouvert aux critiques, suggestions, contestations, comme il est d'usage entre personnes de culture. Le projet devient exé cutoire à partir de cet instant. Madame Grazia, faites entrer ce monsieur qui patiente depuis deux heures, on ne traite pas ainsi un Auteur! » dit‑ il en nous ouvrant la porte et en cherchant à se faire entendre jusque dans la salle d'attente.

 

– 43 –

Des gens que l'on rencontre dans la rue... se livrent en secret aux opé rations de la Magie noire, se lient ou essaient du moins de se lier avec les Esprits de Té nè bres, pour assouvir leurs dé sirs d'ambition, de haine, d'amour, pour faire, en un mot, le Mal.

J. K. HUYSMANS, Pré face à J. Bois, Le satanisme et la magie, 1895, pp. VIII‑ IX.

J'avais cru que le Projet Hermè s é tait une idé e à peine é bauché e. Je ne connaissais pas encore monsieur Garamond. Tandis qu'au cours des jours suivants je m'attardais dans les bibliothè ques pour chercher les illustrations sur les mé taux, chez Manuzio ils é taient dé jà au travail.

Deux mois plus tard, je trouvai sur la table de Belbo un numé ro, fraî chement imprimé, du Parnasse Œ notrien, avec un long article, « Renaissance de l'occultisme », où l'hermé tiste bien connu, le docteur Moebius – pseudonyme flambant neuf de Belbo, qui avait ainsi gagné ses premiers deniers sur le Projet Hermè s – parlait de la miraculeuse renaissance des sciences occultes dans le monde moderne et annonç ait que les é ditions Manuzio entendaient se lancer dans cette voie avec la nouvelle collection Isis Dé voilé e.

Pendant ce temps‑ là, monsieur Garamond avait é crit une sé rie de lettres aux diffé rentes revues d'hermé tisme, astrologie, tarots, ovnilogie, signant d'un nom quelconque, et demandant des informations sur la nouvelle collection annoncé e par les é ditions Manuzio. Au sujet de quoi les ré dacteurs des revues en question lui avaient té lé phoné pour demander des informations et lui il avait fait le mysté rieux, disant qu'il ne pouvait encore ré vé ler les dix premiers titres, qui é taient par ailleurs en fabrication. De faç on que l'univers des occultistes, certainement fort agité par les incessants roulements de tam‑ tam, é tait dé sormais au courant du Projet Hermè s.

« Dé guisons‑ nous en fleur, nous disait monsieur Garamond, qui venait de nous convoquer dans la salle de la mappemonde, et les abeilles viendront. »

Mais ce n'é tait pas tout. Garamond voulait nous montrer le dé pliant (« dè ppliante », comme il l'appelait lui – mais c'est ainsi qu'on dit dans les maisons d'é dition milanaises, comme on dit « Citroenn » et « Ré naull »): une chose simple, quatre pages, mais sur papier glacé. La premiè re page reproduisait ce que devait ê tre le sché ma de la couverture de la sé rie, une sorte de sceau en or (c'est le Pentacle de Salomon, expliquait Garamond) sur fond noir, le bord de la page souligné par une frise qui é voquait un entrelacs de svastikas (la svastika asiatique, pré cisait Garamond, celle qui va dans le sens du soleil, pas la nazie qui va dans le sens des aiguilles d'une montre). En haut, à la place du titre des volumes, une inscription: « il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre... ». Dans les pages inté rieures, on cé lé brait les gloires des é ditions Manuzio au service de la culture; puis, avec quelques slogans efficaces, on touchait au fait que le monde contemporain requiert des certitudes plus profondes et lumineuses que celles que peut donner la science: « De l'Egypte, de la Chaldé e, du Tibet, une sapience oublié e – pour la renaissance spirituelle de l'Occident. »

Belbo lui demanda à qui é taient destiné s les dé pliants, et Garamond sourit comme sourit, aurait dit Belbo, l'â me damné e de Rocambole. « Je me suis fait envoyer de France l'annuaire de toutes les socié té s secrè tes existant aujourd'hui dans le monde, et ne me demandez pas comment il peut y avoir un annuaire public des socié té s secrè tes; il existe, le voici, é ditions Henri Veyrier, avec adresse, numé ro de té lé phone, code postal. Plutô t, vous Belbo, vous allez le voir et é liminer les socié té s qui n'ont pas d'inté rê t pour nous, car je m'aperç ois qu'il y a aussi les jé suites, l'Opus Dei, les Carbonari et le Rotary Club, mais cherchez toutes celles qui sont teinté es d'occultisme, j'en ai dé jà coché quelques‑ unes. »

Il feuilletait: « Voilà : Absolutistes (qui croient en la mé tamorphose), Aetherius Society en Californie (relations té lé pathiques avec Mars), Astara de Lausanne (jurement de grand secret absolu), Atlanteans en Grande‑ Bretagne (recherche du bonheur perdu), Builders of the Adytum en Californie (alchimie, kabbale, astrologie), Cercle E. B. de Perpignan (consacré à Hator, dé esse de l'amour et gardienne de la Montagne des Morts), Cercle Eliphas Levi de Maule (je ne sais pas qui est ce Levi, ce doit ê tre cet anthropologue franç ais, ou comme on veut bien le qualifier), Chevaliers de l'Alliance Templiè re de Toulouse, Collè ge Druidique des Gaules, Convent Spiritualiste de Jé richo, Cosmic Church of Truth en Floride, Sé minaire Traditionaliste d'Ecô ne en Suisse, Mormons (ceux‑ là je les ai mê me trouvé s une fois dans un polar, mais peut‑ ê tre n'y en a‑ t‑ il plus), É glise de Mithra à Londres et à Bruxelles, É glise de Satan à Los Angeles, É glise Lucifé rienne Unifié e de France, É glise Rosicrucienne Apostolique à Bruxelles, Enfants des Té nè bres ou Ordre Vert en Cô te‑ de‑ l'Or (peut‑ ê tre pas ceux‑ là, qui sait en quelle langue ils é crivent), Escuela Hermetista Occidental de Montevideo, National Institute of Kabbalah de Manhattan, Central Ohio Temple of Hermetic Science, Tetra‑ Gnosis de Chicago, Frè res Anciens de la Rose‑ Croix de Saint‑ Cyr‑ sur‑ Mer, Fraternité Johannite pour la Ré surrection Templiè re à Kassel, Fraternité Internationale d'Isis à Grenoble, Ancient Bavarian Illuminé s de San Francisco, The Sanctuary of the Gnosis de Sherman Oaks, Grail Foundation of America, Sociedade do Graal do Brasil, Hermetic Brotherhood of Luxor, Lectorium Rosicrucianum en Hollande, Mouvement du Graal à Strasbourg, Ordre d'Anubis à New York, Temple of Black Pentacle à Manchester, Odinist Fellowship en Floride, Ordre de la Jarretiè re (il doit y avoir là ‑ dedans jusqu'à la reine d'Angleterre), Ordre du Vril (maç onnerie né o‑ nazie, sans adresse), Militia Templi de Montpellier, Ordre Souverain du Temple Solaire à Monte‑ Carlo, Rose‑ croix de Harlem (vous comprenez, mê me les nè gres, maintenant), Wicca (association lucifé rienne d'obé dience celtique, ils invoquent les 72 gé nies de la Kabbale)... en somme, dois‑ je continuer?

– Elles existent vraiment toutes? demanda Belbo.

– Et davantage encore. Au travail, faites la liste dé finitive et puis nous expé dions. Mê me s'il s'agit d'é trangers. Entre ces gens‑ là, les nouvelles voyagent. Maintenant, il ne reste plus qu'une chose à faire. Il faut circuler dans les bonnes librairies et parler non seulement avec les libraires mais aussi avec les clients. Laisser tomber dans vos propos qu'il existe une collection avec telles ou telles caracté ristiques. »

Diotallevi lui fit remarquer qu'ils ne pouvaient pas, eux, s'exposer de la sorte, il fallait trouver des dé marcheurs banalisé s, et Garamond dit de les chercher: « Pourvu qu'ils soient gratis. »

 

Belle pré tention, commenta Belbo une fois qu'ils furent revenus dans leur bureau. Mais les dieux du sous‑ sol nous proté geaient. Juste à cet instant Lorenza Pelligrini entra, plus solaire que jamais; Belbo devint radieux; elle vit les dé pliants, qui piquè rent sa curiosité.

Quand elle sut le projet de la maison d'à cô té, son visage s'illumina: « Magnifique, j'ai un ami super sympa, un ex‑ tupamaro uruguayen, qui travaille dans une revue appelé e Picatrix, il m'emmè ne toujours aux sé ances de spiritisme. Je me suis lié e d'amitié avec un ectoplasme fabuleux, dé sormais il me demande toujours, à peine il se maté rialise! »

Belbo regarda Lorenza comme pour savoir quelque chose, puis il y renonç a. Je crois qu'il avait pris l'habitude de s'attendre de la part de Lorenza aux fré quentations les plus inquié tantes, mais qu'il avait dé cidé de s'inquié ter seulement de celles qui pouvaient jeter une ombre sur leur rapport d'amour (l'aimait‑ il? ). Et dans cette allusion à Picatrix, davantage que le fantô me du colonel, il avait entrevu celui de l'Uruguayen trop sympathique. Mais Lorenza parlait dé jà d'autre chose et nous ré vé lait comment elle fré quentait beaucoup de ces petites librairies où on vend les livres qu'Isis Dé voilé e aurait voulu publier.

« Elles sont à voir, vous savez, é tait‑ elle en train d'expliquer. J'y trouve des herbes mé dicamenteuses, et les instructions pour faire l'homunculus, exactement comme Faust avec Hé lè ne de Troie, oh, Jacopo faisons‑ le, j'aimerais tant un homunculus de toi, et puis nous le gardons comme un basset. C'est facile; ce livre disait qu'il suffit de recueillir dans une fiole un peu de semence humaine, ç a ne te sera pas difficile, j'espè re, ne rougis pas idiot, ensuite tu le mé langes avec de l'hippomane, qui serait, paraî t‑ il, un liquide... secré té... sé creté... comment on dit?...

– Sé cré té, suggé ra Diotallevi.

– Possible? En somme, ce que produisent les juments grosses par sé cré tion, je comprends que ç a c'est plus difficile, si j'é tais une jument grosse je ne voudrais pas qu'on vienne me recueillir l'hippomane, surtout si ce sont des inconnus, mais je crois qu'on peut en trouver tout pré paré, comme les agarbatties. Et puis tu mets le tout dans un vase et tu laisses macé rer pendant quarante jours et petit à petit tu vois se former une figurine, un mini‑ fœ tus, qui en deux autres mois devient un homunculus super gracieux, il sort et se met à ton service – je crois qu'ils ne meurent jamais, pense un peu il ira mê me t'apporter des fleurs sur ta tombe quand tu seras mort!

 

– Et qui d'autre vois‑ tu dans ces librairies? demanda Belbo.

– Des gens fantastiques, des gens qui parlent avec les anges, qui font de l'or, et puis des magiciens professionnels avec une tê te de magicien professionnel...

– Comment c'est une tê te de magicien professionnel?

– Ils ont d'habitude le nez aquilin, les sourcils comme un Russe et des yeux d'aigle; ils portent les cheveux sur le cou, comme les peintres d'autrefois, et la barbe, mais pas drue, avec quelques plaques entre le menton et les joues; et leurs moustaches retombent en avant et descendent sur la lè vre en touffes, et par force, parce que la lè vre est trè s soulevé e sur les dents, les pauvres, et leurs dents dé bordent, se chevauchant toutes un peu. Ils ne le devraient pas avec ces dents‑ là, mais ils sourient avec douceur, cependant que leurs yeux (je vous ai dit qu'ils é taient d'aigle, non? ) vous regardent d'une maniè re inquié tante.

– Facies hermetica, commenta Diotallevi.

– Oui? Vous voyez, donc. Quand il entre quelqu'un pour demander un livre, mettons, avec des priè res contre les esprits du mal, ils suggè rent aussitô t au libraire le titre juste, et qui est celui que le libraire n'a pas. Mais si tu cré es un lien d'amitié avec eux et que tu demandes si c'est un livre efficace, ils sourient de nouveau avec compré hension comme s'ils parlaient d'enfants et te disent que devant ce genre de chose il faut se mé fier. Puis ils te citent des cas de diables qui ont fait des trucs horribles à leurs amis, toi tu prends peur et eux te rassurent en disant que bien des fois c'est seulement de l'hysté rie. Bref, on ne sait jamais s'ils y croient ou pas. Souvent les libraires me font cadeau de baguettes d'encens; un, une fois, il m'a donné une petite main en ivoire contre le mauvais œ il.

– Alors, à l'occasion, lui avait dit Belbo, quand tu te balades par là ‑ bas, demande s'ils sont au courant de cette nouvelle collection Manuzio, et tu pourrais mê me faire voir le dé pliant. »

 

Lorenza s'en alla avec une dizaine de dé pliants. J'imagine que dans les semaines qui ont suivi, elle a dû bien travailler elle aussi, mais je ne croyais pas que les choses pussent avancer si vite. Au bout de quelques mois madame Grazia n'arrivait dé jà plus à faire front devant les diaboliques, comme nous avions dé fini les ACA avec des inté rê ts occultistes. Et, ainsi que le voulait leur nature, ils furent lé gion.

 

–44–

Invoque les forces de la Table de l'Union en suivant le Suprê me Rituel du Pentagramme, avec l'Esprit Actif et Passif, avec Eheieh et Agla. Retourne à l'autel et ré cite la suivante Invocation aux Esprits É nochiens: Ol Sonuf Vaorsag Goho lad Balt, Lonsh Calz Vonpho, Sobra Z‑ ol Ror I Ta Nazps, od Graa Ta Malprg... Ds Hol‑ q Qaa Nothoa Zimz, Od Commah Ta Nopbloh Zien...

Israë l REGARDIE, The Original Account of the Teachings, Rites and Ceremonies of the Hermetic Order of the Golden Dawn, Ritual for Invisibility, St. Paul, Llewellyn Publications, 1986, p. 423.

Nous fû mes vernis, et nous eû mes un premier entretien de trè s haute qualité, du moins en vue de notre initiation.

Pour l'occasion le trio é tait au complet, Belbo, Diotallevi et moi, et il s'en fallut de peu qu'à l'entré e de notre hô te nous ne poussions un cri de surprise. Il avait la facies hermetica dé crite par Lorenza Pellegrini, et par‑ dessus le marché il é tait vê tu de noir.



  

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