Хелпикс

Главная

Контакты

Случайная статья





FILENAME : ABOU 17 страница



Tandis que nous entrions, Amparo me tira de cô té : « Moi j'ai dé jà tout compris. Tu n'as pas entendu? Le tapir de la confé rence parlait d'é poque aryenne, celui‑ ci parle du dé clin de l'Occident, Blut und Boden, sang et terre, c'est du pur nazisme.

– Ce n'est pas aussi simple, mon amour, nous sommes sur un autre continent.

– Merci pour l'information. La Grande Fraternité Blanche! Elle vous a conduit à manger votre Dieu.

– Ç a, ce sont les catholiques, mon amour, ce n'est pas la mê me chose.

– C'est la mê me chose, tu n'as pas entendu. Pythagore, Dante, la Vierge Marie et les maç ons. Toujours pour nous possé der nous. Faites l'umbanda, ne faites pas l'amour.

– Alors la syncré tisé e c'est toi. Allons voir, allons. Ç a aussi c'est de la culture.

– Il n'y a qu'une seule culture: pendre le dernier prê tre avec les boyaux du dernier Rose‑ Croix. »

 

Agliè nous fit signe d'entrer. Si l'exté rieur s'avé rait modeste, l'inté rieur é clatait en une flambé e de couleurs violentes. C'é tait une salle quadrangulaire, avec une partie ré servé e à la danse des cavalos, l'autel au fond, proté gé e par une grille derriè re laquelle se dressait l'estrade des tambours, les atabaques. L'espace rituel é tait encore vide, tandis que par‑ delà la grille s'agitait dé jà une foule composite: fidè les, curieux, Blancs et Noirs mé langé s, d'entre lesquels se dé tachaient les mé diums et leurs assistants, les cambonos, habillé s de blanc, certains les pieds nus, d'autres avec des tennis. L'autel me frappa aussitô t: pretos velhos, caboclos aux plumes multicolores, des saints qui auraient pu ressembler à des pains de sucre, n'eussent é té leurs dimensions pantagrué liques, saint Georges avec sa cuirasse scintillante et le manteau é carlate, les saints Cô me et Damien, une Vierge transpercé e d'é pé es, et un Christ impudiquement hyperré aliste, les bras ouverts comme le ré dempteur de Corcovado, mais en couleur. Manquaient les orixá s, mais on en ressentait la pré sence dans les visages des assistants et dans les effluves douceâ tres de canne et de nourritures cuites, dans l'odeur â cre de tant de transpirations dues à la chaleur et à l'excitation pour la gira imminente.

Le pai‑ de‑ santo s'avanç a, qui s'assit prè s de l'autel et accueillit quelques fidè les, et les hô tes; les perfumant avec les expirations denses de son cigare, les bé nissant et leur offrant une tasse de liqueur, comme pour un rapide rite eucharistique. Je m'agenouillai, avec mes compagnons, et je bus: je remarquai, en voyant un cambono qui versait le liquide d'une bouteille, que c'é tait du Dubonnet, mais je m'obligeai à le boire à petites gorgé es comme s'il s'agissait d'un é lixir de longue vie. Sur l'estrade, les atabaques faisaient dé jà du bruit, à coups sourds, alors que les initié s entonnaient un chant propitiatoire à l'Exu et à la Pomba Gira: Seu Tranca Ruas é Mojuba! É Mojuba, é Mojuba! Sete Encruzilhadas é Mojuba! É Mojuba, é Mojuba! Seu Marabœ é Mojuba! Seu Tiriri, é Mojuba! Exu Veludo, é Mojba! A Pomba Gira é Mojuba!

Commencè rent à s'exhaler les lourdes fumé es d'un encens indien que le pai‑ de‑ santo faisait sortir d'un encensoir, en prononç ant des oraisons particuliè res à Oxalà et à Nossa Senhora.

Les atabaques accé lé rè rent le rythme, et les cavalos envahirent l'espace devant l'autel, cé dant peu à peu à la fascination des pontos. La plupart é taient des femmes, et Amparo ironisa sur la faiblesse de son sexe (« nous sommes plus sensibles, n'est‑ ce pas? »).

Parmi les femmes, il y avait quelques Europé ennes. Agliè nous indiqua une blonde, une psychologue allemande, qui suivait les rites depuis des anné es. Elle avait tout essayé, mais si on n'est pas pré disposé, et pré fé ré, c'est inutile: la transe n'arrivait jamais pour elle. Elle dansait les yeux perdus dans le vide; tandis que les atabaques ne laissaient pas de ré pit à ses nerfs et aux nô tres, d'aigres fumigations envahissaient la salle et é tourdissaient les pratiquants et l'assistance, prenant tout le monde – je crois, et moi en tout cas – à l'estomac. Mais ç a m'é tait arrivé aussi aux « escolas de samba », à Rio; je savais la puissance psychagogique de la musique et du bruit, celle‑ là mê me à laquelle sont soumis nos fié vreux du samedi soir dans les discothè ques. L'Allemande dansait, les yeux é carquillé s, elle demandait l'oubli dans chaque mouvement de ses membres hysté riques. Petit à petit, les autres filles de santo tombaient en extase, renversaient la tê te en arriè re, s'agitaient comme liquides, naviguaient dans une mer d'amné sie, et elle, tendue, pleurante presque, bouleversé e, tel qui cherche dé sespé ré ment d'atteindre l'orgasme, et se dé mè ne, et s'essouffle, et ne dé charge pas ses humeurs. Elle cherchait à perdre le contrô le et elle le retrouvait à chaque instant, pauvre Teutonne malade de clavecins bien tempé ré s.

Les é lus accomplissaient pendant ce temps‑ là le saut dans le vide, leur regard devenait atone, leurs membres se roidissaient, leurs mouvements se faisaient de plus en plus automatiques, mais non fortuits, parce qu'ils ré vé laient la nature de l'entité qui les visitait: moelleux certains, avec les mains qui bougeaient de cô té, paumes baissé es, comme nageant; d'autres voû té s et avec des mouvements lents; et les cambonos recouvraient d'un lin blanc, pour les soustraire à la vision de la foule, ceux qu'avait touché s un esprit excellent...

Certains cavalos secouaient violemment le corps et les possé dé s par des pretos velhos é mettaient des sons sourds – hum hum hum – remuant le corps incliné en avant, tel un vieux qui s'appuierait à une canne, avanç ant la mâ choire, prenant des physionomies amaigries et é denté es. Les possé dé s par les caboclos é mettaient au contraire des cris stridents de guerriers – hiahou!! – et les cambonos s'escrimaient à soutenir ceux qui ne ré sistaient pas à la violence du don.

 

 

Les tambours battaient, les pontos s'é levaient dans l'air é pais de fumé es. Je donnais le bras à Amparo et soudain je sentis ses mains transpirer, son corps trembler; elle avait les lè vres entrouvertes. « Je ne me sens pas bien, dit‑ elle, je voudrais sortir. »

Agliè se rendit compte de l'incident et m'aida à l'accompagner dehors. Dans l'air du soir elle se remit. « Ce n'est rien, dit‑ elle, je dois avoir mangé quelque chose. Et puis ces parfums, et la chaleur...

– Non, dit le pai‑ de‑ santo qui nous avait suivis, c'est que vous avez des qualité s mé diumniques, vous avez bien ré agi aux pontos, je vous observais.

– Suffit! » cria Amparo, et elle ajouta quelques mots dans une langue que je ne connaissais pas. Je vis le pai‑ de‑ santo pâ lir, ou devenir gris, comme on disait dans les romans d'aventures quand pâ lissaient les hommes à la peau noire. « Ç a suffit, j'ai la nausé e, j'ai mangé quelque chose que je ne devais pas... S'il vous plaî t, laissez‑ moi ici prendre une bouffé e d'air; rentrez. Je pré fè re rester seule, je ne suis pas une invalide. »

Nous la contentâ mes; mais au moment où je rentrai, aprè s l'interruption en plein air, les parfums, les tambours, la sueur maintenant envahissante qui impré gnait chaque corps, et l'air mê me vicié, agirent comme une gorgé e d'alcool sur qui se remet à boire aprè s une longue abstinence. Je me passai une main sur le front, et un vieux m'offrit un agogõ, un petit instrument doré, une sorte de triangle muni de clochettes, qu'on percutait avec une baguette. « Montez sur l'estrade, dit‑ il, jouez, ç a vous fera du bien. »

Il y avait de la sapience homé opathique dans ce conseil. Je frappais sur l'agogõ, cherchant à me mettre au rythme des tambours, et peu à peu j'entrais dans l'é vé nement, y participant je le dominais, je dé chargeais ma tension par les mouvements de mes jambes et de mes pieds, je me libé rais de ce qui m'entourait en le provoquant et en l'encourageant. Plus tard, Agliè me parlerait de la diffé rence entre qui connaî t et qui pâ tit.

Au fur et à mesure que les mé diums entraient en transe, les cambonos les conduisaient sur le pourtour du local, les faisaient asseoir, leur offraient cigares et pipes. Les fidè les exclus de la possession couraient s'agenouiller à leurs pieds, leur parlaient à l'oreille, é coutaient leur conseil, recevaient leur influx bé né fique, se ré pandaient en confessions, en tiraient soulagement. Certains donnaient les signes d'un dé but de transe, que les cambonos encourageaient avec modé ration, les reconduisant ensuite au milieu de la foule, maintenant plus dé tendus.

Sur l'aire des danseurs se remuaient encore beaucoup de candidats à l'extase. L'Allemande, on ne peut moins naturelle, s'agitait en attendant d'ê tre agité e, mais en vain. Certains avaient é té pris par l'Exu et exhibaient une expression mauvaise, sournoise, rusé e, se dé plaç ant par saccades dé sarticulé es.

 

Ce fut à cet instant que je vis Amparo.

 

 

A pré sent je sais que Hé sé d n'est pas seulement la sefira de la grâ ce et de l'amour. Comme le rappelait Diotallevi, c'est aussi le moment de l'expansion de la substance divine qui se ré pand vers son infinie pé riphé rie. Elle est soin des vivants envers les morts, mais quelqu'un doit bien avoir dit qu'elle est aussi soin des morts envers les vivants.

Frappant l'agogõ, je ne suivais plus ce qui se passait dans la salle, occupé comme je l'é tais à contrô ler mes gestes et à me laisser guider par la musique. Amparo devait ê tre rentré e depuis une dizaine de minutes, et elle avait certainement é prouvé le mê me effet que moi peu auparavant. Mais personne ne lui avait donné un agogõ, et sans doute n'en aurait‑ elle plus voulu. Hé lé e par des voix profondes, elle s'é tait dé pouillé e de toute volonté de dé fense.

Je la vis se jeter d'un coup au milieu de la danse, s'arrê ter, le visage anormalement tendu vers le haut, le cou presque rigide, puis s'abandonner sans mé moire à une sarabande lascive, avec ses mains qui suggé raient l'offrande de son propre corps. « A Pomba Gira, a Pomba Gira! » s'é criè rent quelques‑ uns, heureux du miracle, parce que ce soir‑ là la diablesse ne s'é tait pas encore manifesté e: O seu manto é de veludo, rebordado todo em ouro, o seu garfo é de prata, muito grande é seu tesouro... Pomba Gira das Almas, vem toma cho cho...

 

Je n'osai pas intervenir. Peut‑ ê tre accé lé rai‑ je les battements de ma verge de mé tal pour m'unir charnellement à ma maî tresse, ou à l'esprit chthonien qu'elle incarnait.

Les cambonos prirent soin d'elle; ils lui firent revê tir la robe rituelle, la soutinrent tandis qu'elle terminait sa transe, brè ve mais intense. Ils l'accompagnè rent s'asseoir quand dé sormais elle é tait moite de sueur et respirait pé niblement. Elle refusa d'accueillir ceux qui accouraient mendier des oracles, et elle se mit à pleurer.

La gira touchait à sa fin; j'abandonnai l'estrade et me pré cipitai auprè s d'elle; Agliè é tait dé jà en train de lui masser lé gè rement les tempes.

« Quelle honte, disait Amparo, moi qui n'y crois pas, moi qui ne voulais pas, mais comment ai‑ je pu?

– Ç a arrive, ç a arrive, lui disait Agliè avec douceur.

– Mais alors, il n'y a point de ré demption, pleurait Amparo, je suis encore une esclave. Va‑ t'en, toi, me dit‑ elle avec rage, je suis une sale pauvre né gresse, donnez‑ moi un maî tre, je le mé rite!

– Ç a arrivait aussi aux blonds Aché ens, la ré confortait Agliè. C'est la nature humaine... »

Amparo demanda qu'on la conduisî t aux toilettes. Le rite se terminait. Seule au milieu de la salle l'Allemande dansait encore, aprè s avoir suivi d'un regard envieux ce qui é tait arrivé à Amparo. Mais elle remuait maintenant avec une obstination ré signé e.

Amparo revint aprè s une dizaine de minutes, alors que nous prenions dé jà congé du pai‑ de‑ santo, qui se ré jouissait pour la splendide ré ussite de notre premier contact avec le monde des morts.

 

Agliè roula en silence dans la nuit dé sormais bien avancé e; il fit le geste de nous saluer quand il s'arrê ta devant notre hô tel. Amparo dit qu'elle pré fé rait monter seule. « Pourquoi ne vas‑ tu pas faire deux pas, me dit‑ elle, reviens quand je serai dé jà endormie. Je prendrai un comprimé. Excusez‑ moi tous les deux. Je vous l'ai dit, je dois avoir mangé quelque chose de mauvais. Toutes ces filles avaient mangé et bu quelque chose de mauvais. Je hais mon pays. Bonne nuit. »

Agliè comprit mon malaise et me proposa d'aller nous asseoir dans un bar de Copacabana, ouvert toute la nuit.

Je me taisais. Agliè attendit que je commence à siroter ma batida, puis il rompit le silence, et la gê ne.

« La race, ou la culture, si vous voulez, constituent une part de notre inconscient. Et une autre part est habité e par des figures arché typiques, é gales pour tous les hommes et pour tous les siè cles. Ce soir, le climat, l'atmosphè re, ont affaibli notre vigilance à tous; vous l'avez é prouvé sur vous‑ mê me. Amparo a dé couvert que les orixá s, qu'elle croyait avoir dé truits dans son coeur, habitaient encore dans son ventre. Ne croyez pas que ce fait soit positif à mes yeux. Vous m'avez entendu parler avec respect de ces é nergies surnaturelles qui vibrent autour de nous dans ce pays. Mais ne croyez pas que je voie avec une sympathie particuliè re les pratiques de possession. Ê tre un initié et ê tre un mystique, ce n'est pas la mê me chose. L'initiation, la compré hension intuitive des mystè res que la raison ne peut expliquer, est un processus abyssal, une lente transformation de l'esprit et du corps, qui peut amener à l'exercice de qualité s supé rieures et jusqu'à la conquê te de l'immortalité, mais c'est quelque chose d'intime, de secret. Elle ne se manifeste pas à l'exté rieur, elle est pudique, et surtout elle est faite de lucidité et de dé tachement. C'est pour cela que les Seigneurs du Monde sont des initié s, mais ils ne s'abandonnent pas à la mystique. Le mystique est pour eux un esclave, le lieu d'une manifestation du numineux, à travers lequel on é pie les symptô mes d'un secret. L'initié encourage le mystique, il s'en sert comme vous vous servez d'un té lé phone, pour é tablir des contacts à distance, comme le chimiste se sert du papier tournesol pour savoir qu'en un certain lieu agit une substance. Le mystique est utile parce qu'il est thé â tral, il s'exhibe. Les initié s, par contre, se reconnaissent seulement entre eux. L'initié contrô le les forces dont pâ tit le mystique. En ce sens, il n'y a pas de diffé rence entre la possession des cavalos et les extases de sainte Thé rè se d'Avila ou de san Juan de la Cruz. Le mysticisme est une forme dé gradé e de contact avec le divin. L'initiation est le fruit d'une longue ascè se de l'esprit et du cœ ur. Le mysticisme est un phé nomè ne dé mocratique, sinon dé magogique, l'initiation est aristocratique.

– Un fait mental et non charnel?

– En un certain sens. Votre Amparo surveillait fé rocement son esprit et ne se gardait pas de son corps. Le laï c est plus faible que nous. »

 

 

Il é tait trè s tard. Agliè me ré vé la qu'il s'apprê tait à quitter le Bré sil. Il me laissa son adresse à Milan.

Je rentrai à l'hô tel et trouvai Amparo endormie. Je m'allongeai en silence à cô té d'elle, dans le noir, et je passai une nuit sans sommeil. Avec l'impression d'avoir contre moi un ê tre inconnu.

 

Le matin suivant, Amparo me dit, d'un ton sec, qu'elle allait à Petropolis rendre visite à une amie. Nous nous saluâ mes avec gê ne.

Elle partit, un sac de toile à la main, et un volume d'é conomie politique sous le bras.

Pendant deux mois elle ne donna pas de nouvelles, et je ne la cherchai pas. Puis elle m'é crivit une courte lettre, trè s é vasive. Elle me disait qu'elle avait besoin d'une pé riode de ré flexion. Je ne lui ré pondis pas.

 

Je n'é prouvai ni passion, ni jalousie, ni nostalgie. Je me sentais vide, lucide, propre et limpide comme une casserole d'aluminium.

Je restai encore un an au Bré sil, mais en me sentant dé sormais sur le dé part. Je ne vis plus Agliè, je ne vis plus les amis d'Amparo, je passais des heures trè s longues sur la plage à prendre le soleil.

Je faisais voler les cerfs‑ volants, qui, là ‑ bas, sont trè s beaux.

 

 

GÉ BURA

 

– 34 –

Beydelus, Demeymes, Adulex, Metucgayn, Atine, Ffex, Uquizuz, Gadix, Sol, Veni cito cum tuis spiritibus.

Picatrix, Ms. SLOANE 1305, 152, verso.

Le Bris des Vases. Diotallevi nous parlerait souvent du kabbalisme tardif d'Isaac Luria, où se perdait l'articulation ordonné e des sefirot. La cré ation, disait‑ il, est un processus d'inspiration et d'expiration divines, comme une haleine anxieuse, ou l'action d'un soufflet.

« Le Grand Asthme de Dieu, glosait Belbo.

– Essaie, toi, de cré er à partir de rien. C'est une chose qu'on ne fait qu'une seule fois dans sa vie. Dieu, pour souffler le monde comme on souffle une fiole de verre, a besoin de se contracter en lui‑ mê me, pour prendre sa respiration, et puis il é met le long sifflement lumineux des dix sefirot.

– Sifflement ou lumiè re?

– Dieu souffle et la lumiè re fut.

– Multimé dia.

– Mais il est né cessaire que les lumiè res des sefirot soient recueillies dans des ré cipients capables de ré sister à leur splendeur. Les vases destiné s à accueillir Ké té r, Hokhma et Bina ré sistè rent à leur é clat, tandis qu'avec les sefirot infé rieurs, depuis Hé sé d jusqu'à Yesod, lumiè re et soupir se dé gagè rent d'un seul coup et avec trop de vigueur, et les vases se brisè rent. Les fragments de la lumiè re se dispersè rent à travers l'univers, et il en naquit la matiè re grossiè re. »

Le bris des vases est une catastrophe sé rieuse, disait Diotallevi soucieux, rien de moins vivable qu'un monde avorté. Il devait y avoir un dé faut dans le cosmos dè s les origines, et les rabbins les plus savants n'avaient pas ré ussi à l'expliquer tout à fait. Peut‑ ê tre qu'au moment où Dieu expire et se vide, il reste dans le ré cipient originaire des gouttes d'huile, un ré sidu maté riel, le reshimu, et Dieu dé jà se propage en mê me temps que ce ré sidu. Ou bien quelque part les coquilles, les qelippot, les principes de la ruine attendaient, sournois, à l'affû t.

« Gens visqueux, les qelippot, disait Belbo, agents du diabolique docteur Fu Manchu... Et puis? »

Et puis, expliquait, patient, Diotallevi, à la lumiè re du Jugement Sé vè re, de Gé bura, dite aussi Pachad, ou Terreur, la sefira où, selon Isaac l'Aveugle, le Mal s'exhibe, les coquilles prennent une existence ré elle.

« Elles sont parmi nous, disait Belbo.

– Regarde autour de toi, disait Diotallevi.

– Mais on en sort?

– On rentre, plutô t, disait Diotallevi. Tout é mane de Dieu, dans la contraction du tsimtsum. Notre problè me, c'est de ré aliser le retour, la ré inté gration de l'Adam Qadmon. Alors nous reconstruirons le tout dans la structure é quilibré e des partsufim, les visages, autrement dit les formes qui prendront la place des sefirot. L'ascension de l'â me, tel un cordon de soie, permet à l'intention dé vote de trouver comme à tâ tons, dans l'obscurité, le chemin vers la lumiè re. Ainsi le monde à chaque instant, combinant les lettres de la Torah, s'efforce de retrouver la forme naturelle qui le fasse sortir de son effroyable confusion. »

Et c'est ce que je suis en train de faire moi, à pré sent, en pleine nuit, dans le calme innaturel de ces collines. Mais l'autre soir dans le pé riscope, je me trouvais encore enveloppé de la bave visqueuse des coquilles, que je sentais autour de moi, imperceptibles escargots incrusté s dans les vasques de cristal du Conservatoire, confondues au milieu des baromè tres et des roues rouillé es d'horloges en sourde hibernation. Je pensais que, si bris des vases il y eut, la premiè re fê lure se forma sans doute ce soir‑ là, à Rio, durant le rite, mais ce fut à mon retour au pays que se produisit l'explosion. Lente, sans fracas, si bien que nous nous trouvâ mes tous pris dans la boue de la matiè re grossiè re, où des cré atures vermineuses é closent par gé né ration spontané e.

 

J'é tais revenu du Bré sil sans plus savoir qui j'é tais. J'approchais dé sormais de la trentaine. A cet â ge mon pè re é tait pè re, il savait qui il é tait et où il vivait.

J'é tais resté trop loin de mon pays, alors que s'y passaient de grands é vé nements, et j'avais vé cu dans un univers gonflé d'incroyable, où mê me les affaires italiennes parvenaient avec un halo de lé gende. Peu avant de quitter l'autre hé misphè re, tandis que j'achevais mon sé jour en m'offrant un voyage aé rien au‑ dessus des forê ts de l'Amazonie, il me tomba sous les yeux un quotidien local embarqué pendant une halte à Fortaleza. En premiè re page s'é talait la photo de quelqu'un que je reconnus pour l'avoir vu siroter des petits blancs pendant des anné es chez Pilade. La lé gende disait: « O homen que matou Moro. »

Naturellement, comme je l'appris à mon retour, ce n'est pas lui qui avait assassiné Moro. Lui, devant un pistolet chargé, il se serait tiré dans l'oreille pour vé rifier s'il marchait. Il avait seulement é té pré sent au moment où la police politique faisait irruption dans un appartement: quelqu'un y avait caché trois pistolets et deux pains d'explosif sous le lit. Lui il se trouvait sur le lit, extatique, parce que c'é tait l'unique meuble de cette piè ce unique qu'un groupe de rescapé s de 68 louait en socié té, pour satisfaire les besoins de la chair. Si l'ameublement ne s'é tait pas ré duit à une affiche des Inti Illimani, on aurait pu l'appeler une garç onniè re. Un des locataires é tait lié à un groupe armé, et les autres ignoraient qu'ils lui finanç aient une planque. Ainsi avaient‑ ils tous fini en cabane, pendant un an.

De l'Italie des derniè res anné es, j'avais compris bien peu de chose. Je l'avais quitté e au bord de grands changements, me sentant presque en faute parce que je m'enfuyais au moment de la reddition des comptes. Quand j'é tais parti, je savais reconnaî tre l'idé ologie de quelqu'un au ton de sa voix, à la tournure de ses phrases, à ses citations canoniques. Je revenais, et je ne comprenais plus qui é tait avec qui. On ne parlait plus de ré volution, on citait le Dé sir; qui se disait de gauche mentionnait Nietzsche et Cé line; les revues de droite cé lé braient la ré volution du Tiers Monde.

Je revins chez Pilade, mais je me sentis en terre é trangè re. Restait le billard; il y avait plus ou moins les mê mes peintres; mais la faune juvé nile é tait changé e. J'appris que certains des vieux habitué s avaient dé sormais ouvert des é coles de mé ditation transcendantale et des restaurants macrobiotiques. Je demandai si quelqu'un avait dé jà ouvert une tente de umbanda. Non, sans doute é tais‑ je en avance, j'avais acquis des compé tences iné dites.

Pour complaire au noyau historique, Pilade hé bergeait encore un flipper modè le ancien, de ceux qui paraissaient maintenant copié s de Lichtenstein et avaient é té acheté s en masse par les antiquaires. Mais à cô té, prises d'assaut par les plus jeunes, s'alignaient d'autres machines à é cran fluorescent, où planaient en escouades faucons boulonné s, kamikazes de l'Espace Exté rieur, ou une grenouille qui sautait du coq à l'â ne en é mettant des borborygmes en japonais. Pilade clignotait dé sormais de lumiè res sinistres, et peut‑ ê tre que devant l'é cran de Galactica é taient aussi passé s les messagers des Brigades Rouges en mission d'enrô lement. Mais ils avaient certainement dû abandonner le flipper parce qu'on ne peut pas y jouer en gardant un pistolet dans sa ceinture.

Je m'en rendis compte quand je suivis le regard de Belbo qui se fixait sur Lorenza Pellegrini. Je compris de maniè re impré cise ce que Belbo avait compris avec une plus grande lucidité, et que j'ai trouvé dans un de ses files. Lorenza n'est pas nommé e, mais il est é vident qu'il s'agit d'elle: elle seule jouait au flipper de cette faç on.

 

 

FILENAME: FLIPPER  

On ne joue pas au flipper qu'avec les mains, mais aussi avec le pubis. Au flipper, le problè me n'est pas d'arrê ter la bille avant qu'elle soit avalé e à l'embouchure, ni de la reprojeter à mi‑ terrain avec la fougue d'un arriè re droit, mais de l'obliger à s'attarder en amont, où les cibles lumineuses sont plus abondantes, en rebondissant de l'une à l'autre, en circulant dé boussolé e et dé mente, mais de sa propre volonté. Et ç a, on l'obtient non pas à force de coups à la bille, mais en transmettant des vibrations à la caisse portante, et d'une maniè re douce, afin que le flipper ne s'en rende pas compte et ne fasse pas tilt. On ne peut le faire qu'avec le pubis, mieux: avec un jeu de hanches, de faç on que plus que donner des coups le pubis frotte, et toujours on se retient en deç à de l'orgasme. Et plus que le pubis, si la hanche se meut selon nature, ce sont les fesses qui donnent le coup en avant, mais avec grâ ce, de sorte qu'au moment où l'é lan arrive au pubis il est dé jà amorti; comme pour l'homé opathie: plus on a imposé de succussions à la solution, et la substance s'est dé sormais presque dissoute dans l'eau qu'on ajoute au fur et à mesure, jusqu'à presque complè tement disparaî tre, plus l'effet mé dicamenteux est puissant. Et voici que du pubis un courant infinité simal se transmet à la caisse et que le flipper obé it sans se né vroser, la bille roule contre nature, contre l'inertie, contre la gravité, contre les lois de la dynamique, contre l'astuce du constructeur qui la voulait fugace, et elle s'enivre de vis movendi, reste en jeu pendant des temps mé morables et immé moriaux. Mais il faut un pubis de femme, qui n'interpose pas de corps caverneux entre l'ilion et la machine, et qu'il n'y ait pas de matiè re é rectile au milieu, mais seulement peau nerfs os, moulé s par une paire de jeans, et une fureur é rotique sublimé e, une frigidité malicieuse, une adaptabilité dé sinté ressé e à la sensibilité du partner, un goû t d'en attiser le dé sir sans souffrir de l'excè s du sien propre: l'amazone doit rendre fou le flipper et jouir d'avance du fait qu'ensuite elle l'abandonnera.



  

© helpiks.su При использовании или копировании материалов прямая ссылка на сайт обязательна.