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– Et les Rose‑ Croix?

– Un silence de mort. Post cent vingt annos patebo mon oeil. Ils observent du né ant de leur palais. Je crois que c'est pré cisé ment leur silence qui é chauffe les esprits. S'ils ne ré pondent pas, cela veut dire qu'ils sont vraiment là. En 1617, Fludd é crit un Tractatus apologeticus integritatem societatis de Rosea Cruce defendens et, dans un De Naturae Secretis de 1618, on dit qu'est venu le moment de dé voiler le secret des Rose‑ Croix.

– Et ils le dé voilent.

– Penses‑ tu. Ils le compliquent. Parce qu'ils dé couvrent que si l'on soustrait de 1618 les 188 anné es promises par les Rose‑ Croix, on obtient 1430 qui est l'anné e où est institué l'ordre de la Toison d'or.

– Quel rapport?

– Je ne comprends pas les 188 anné es parce qu'il devrait y en avoir 120, mais quand tu veux faire des soustractions et des additions mystiques tu retombes toujours sur tes pieds. Quant à la Toison d'or, c'est celle des Argonautes, et j'ai appris de source sû re qu'elle a quelque chose à voir avec le Saint Graal, et donc, si tu permets, avec les Templiers. Mais ce n'est pas fini. Entre 1617 et 1619, Fludd, qui é videmment publiait encore plus que Barbara Cartland, fait imprimer quatre autres livres, parmi lesquels son Utriusque Cosmi historia, quelque chose comme de courts aperç us sur l'univers, illustré, tout rose et croix. Maier prend son courage à deux mains et publie son Silentium post clamores et soutient que la confré rie existe, que non seulement elle est lié e à la Toison d'or mais aussi à l'ordre de la Jarretiè re. Lui, cependant, est une personne trop humble pour y ê tre reç ue. Pense un peu les doctes d'Europe. Si ces gens n'acceptent pas mê me Maier, il s'agit d'une chose vraiment exclusive. Et donc tous les demi‑ portions font de faux papiers pour ê tre admis. Tous de dire que les Rose‑ Croix sont une ré alité, tous d'avouer ne les avoir jamais vus, tous d'é crire comme pour fixer un rendez‑ vous, pour qué mander une audience, personne n'a tout de mê me le culot de dire moi j'en suis, certains disent qu'il n'existent pas parce qu'ils n'ont pas é té contacté s, d'autres disent qu'ils existent justement pour ê tre contacté s.

– Et les Rose‑ Croix, muets.

– Comme des carpes.

– Ouvre la bouche. Il te faut de la mamaia.

– Un dé lice. En attendant dé bute la guerre de Trente Ans et Johann Valentin Andreae é crit une Turris Babel pour promettre que dans l'anné e l'Anté christ sera vaincu, tandis qu'un certain Ireneus Agnostus é crit un Tintinnabulum sophorum...

– Super le tintinnabulum!

–... où je ne comprends pas ce que foutre il dit, mais il est certain que Campanella ou quelqu'un à sa place intervient dans la Monarchie Espagnole et dit que toute l'histoire rose‑ croix est un divertissement d'esprits corrompus... Et puis ç a suffit, entre 1621 et 1623 ils arrê tent tous.

 

– Comme ç a?

– Comme ç a. Ils se sont lassé s. Comme les Beatles. Mais seulement en Allemagne. Parce qu'on dirait l'histoire d'un nuage toxique. Il se dé place en France. Par une belle matiné e de l'an 1623, apparaissent sur les murs de Paris des manifestes rose‑ croix qui avertissent les bons citoyens que les dé puté s du collè ge principal de la confré rie se sont transfé ré s là ‑ bas et sont prê ts à ouvrir les inscriptions. Cependant, selon une autre version, les manifestes disent clair et net qu'il s'agit de trente‑ six invisibles dispersé s de par le monde en groupes de six, et qui ont le pouvoir de rendre invisibles leurs adeptes... Cré nom, de nouveau les trente‑ six...

– Lesquels?

– Ceux de mon document des Templiers.

– Des gens sans imagination. Et puis?

– Et puis il en dé coule une folie collective; qui les dé fend, qui veut les connaî tre, qui les accuse de diabolisme, alchimie et hé ré sie, avec Astaroth qui intervient pour les rendre riches, puissants, capables de voler en un clin d'œ il d'un lieu à un autre, bref, le scandale du jour.

– Rusé s, ces Rose‑ Croix. Il n'y a rien de tel qu'un lancement à Paris pour devenir à la mode.

– On dirait que tu as raison, parce que é coute un peu ce qui se passe, mamma mia quelle é poque. Descartes, lui en personne, au cours des anné es pré cé dentes s'é tait rendu en Allemagne et les avait cherché s, mais son biographe dit qu'il ne les avait pas trouvé s car, nous le savons, ils circulaient sous des apparences trompeuses. Quand il revient à Paris, aprè s l'apparition des manifestes, il apprend que tout le monde le considè re comme un Rose‑ Croix. Par les temps qui couraient, ce n'é tait pas une belle renommé e, et ç a ennuyait aussi son ami Mersenne qui, contre les Rose‑ Croix, tempê tait dé jà en les traitant de misé rables, subversifs, magiciens, kabbalistes, dont la seule intention é tait de semer des doctrines perverses. Et alors, qu'est‑ ce qu'il va te combiner, le Descartes? Il se fait voir à droite et à gauche, partout où il peut. Et puisque tout le monde le voit, et c'est incontestable, c'est signe qu'il n'est pas invisible, donc pas Rose‑ Croix.

– Ç a c'est de la mé thode.

– Il ne suffisait certes pas de nier. Ils avaient fait les choses de telle sorte que, si un type venait à ta rencontre et te disait bonsoir, je suis un Rose‑ Croix, c'é tait signe qu'il ne l'é tait pas. Le Rose‑ Croix qui se respecte ne le dit pas. Mieux, il le nie à voix bien haute.

– Mais on ne peut pas dire que celui qui affirme n'ê tre pas un Rose‑ Croix l'est forcé ment, parce que moi je dis que je ne le suis pas, et ce n'est pas pour ç a que je le suis.

– Mais le nier est dé jà un indice suspect.

– Non. Car que fait le Rose‑ Croix quand il a compris que les gens ne croient pas ceux qui disent l'ê tre et soupç onnent ceux qui disent ne l'ê tre pas? Il commence à dire qu'il l'est pour faire croire qu'il ne l'est pas.

– Diable. Alors doré navant tous ceux qui disent ê tre Rose‑ Croix mentent, et par consé quent ils le sont vraiment! Ah non non, Amparo, ne tombons pas dans leur piè ge. Eux, ils ont des espions partout, jusque sous ce lit, et donc ils savent dé sormais que nous savons. Donc ils disent qu'ils ne le sont pas.

– Mon amour, à pré sent j'ai peur.

– Sois calme, mon amour; je suis ici moi qui suis stupide, quand ils disent qu'ils ne le sont pas, moi je crois qu'ils le sont, et comme ç a je les dé masque tout de suite. Le Rose‑ Croix dé masqué devient inoffensif, et tu le fais sortir par la fenê tre en agitant le journal.

– Et Agliè ? Lui il tente de nous faire croire qu'il est le comte de Saint‑ Germain. É videmment afin que nous pensions qu'il ne l'est pas. Donc il est Rose‑ Croix. Ou non?

– Ecoute Amparo, on dort?

– Ah! non, maintenant je veux entendre la fin.

– Bouillie gé né rale. Tous Rose‑ Croix. En 27 paraî t la Nouvelle Atlantide de Bacon et les lecteurs pensent qu'il parlait du pays des Rose‑ Croix, mê me s'il ne les nommait jamais. Le pauvre Johann Valentin Andreae meurt en continuant à se parjurer: ou ç a n'avait pas é té lui ou si ç 'avait é té lui c'é tait pour rire, mais maintenant la chose est faite. Avantagé s par leur non‑ ê tre, les Rose‑ Croix sont partout.

– Comme Dieu.

– A pré sent que tu m'y fais penser... Voyons, Matthieu, Luc, Marc et Jean sont une bande de joyeux compè res qui se ré unissent quelque part et dé cident de faire un concours, inventent un personnage, é tablissent un petit nombre de faits essentiels et puis allez, pour le reste chacun est libre et puis on voit qui a mieux fait. Aprè s quoi les quatre ré cits finissent dans les mains d'amis qui commencent à pontifier, Matthieu est assez ré aliste mais il insiste trop avec cette affaire du messie, Marc n'est pas mal mais un peu dé sordonné, Luc est é lé gant, il faut bien l'admettre, Jean exagè re avec la philosophie... mais en somme les livres plaisent, circulent de main en main, et, quand les quatre hommes se rendent compte de ce qui se passe, il est trop tard, Paul a dé jà rencontré Jé sus sur le chemin de Damas, Pline commence son enquê te sur ordre de l'empereur soucieux, une lé gion d'apocryphes font semblant d'en savoir long eux aussi... toi, apocryphe lecteur, mon semblable, mon frè re... Pierre se monte la tê te, se prend au sé rieux, Jean menace de dire la vé rité, Pierre et Paul le font capturer, on l'enchaî ne dans l'î le de Patmos et le pauvret commence à avoir des visions, il voit les sauterelles sur le montant de son lit, faites taire ces trompettes, d'où vient tout ce sang... Et les autres de dire qu'il boit, que c'est l'arté riosclé rose... Et si ç a s'é tait vraiment passé comme ç a?

– Ç a s'est passé comme ç a. Lis Feuerbach au lieu de tes vieux bouquins.

– Amparo, c'est l'aube.

– On est fous.

– L'aurore aux doigts de rosecroix caresse doucement l'onde...

– Oui, fais comme ç a. C'est Yemanjá, é coute, elle vient.

– Fais‑ moi des ludibria...

– Oh le Tintinnabulum!

– Tu es mon Atalanta Fugiens...

– Oh la Turris Babel...

– Je veux les Arcana Arcanissima, la Toison d'or, pâ le et rose comme un coquillage marin...

– Chuuut... Silentium post clamores », dit‑ elle.

 

– 31 –

Il est probable que la plupart des pré tendus Rose‑ Croix, communé ment dé signé s comme tels, ne furent vé ritablement que des Rosicruciens... On peut mê me ê tre assuré qu'ils ne l'é taient point, et cela du seul fait qu'ils faisaient partie de telles associations, ce qui peut sembler paradoxal et mê me contradictoire à premiè re vue, mais est pourtant facilement compré hensible...

René GUÉ NON, Aperç u sur l'initiation, Paris, É ditions Traditionnelles, 1981, XXXVIII, p. 241.

Nous revî nmes à Rio et je repris mon travail. Un jour, dans une revue illustré e, je vis qu'il existait dans la ville un Ordre de la Rose‑ Croix Ancien et Accepté. Je proposai à Amparo d'aller donner un coup d'œ il, et elle me suivit à contrecoeur.

Le siè ge se trouvait dans une rue secondaire, à l'exté rieur il y avait une vitrine avec des statuettes en plâ tre qui reproduisaient Ché ops, Né fertiti, le Sphinx.

Sé ance plé niè re justement cet aprè s‑ midi‑ là : « Les Rose‑ Croix et l'Umbanda ». Orateur, un certain professeur Bramanti, Ré fé rendaire de l'Ordre en Europe, Chevalier Secret du Grand Prieuré In Partibus de Rhodes, Malte et Thessalonique.

Nous dé cidâ mes d'entrer. L'endroit é tait plutô t mal arrangé, dé coré de miniatures tantriques qui repré sentaient le serpent Kundalinî, celui que les Templiers voulaient ré veiller avec leur baiser sur le derriè re. Je me dis qu'en fin de compte cela ne valait pas la peine de traverser l'Atlantique pour dé couvrir le Nouveau Monde, é tant donné que j'aurais pu voir la mê me chose au siè ge de la Picatrix.

Derriè re une table recouverte d'un drap rouge, et devant un parterre plutô t clairsemé et assoupi, se trouvait Bramanti, un monsieur corpulent que, n'eû t é té sa masse, on aurait pu taxer de tapir. Il avait dé jà commencé à parler, avec rondeur oratoire, mais pas depuis longtemps parce qu'il s'entretenait des Rose‑ Croix au temps de la XVIIIe dynastie, sous le rè gne d'Ahmô sis Ier.

Quatre Seigneurs Voilé s veillaient sur l'é volution de la race qui, vingt‑ cinq mille ans avant la fondation de Thè bes, avait donné naissance à la civilisation du Sahara. Le pharaon Ahmô sis, influencé par eux, avait fondé une Grande Fraternité Blanche, gardienne de cette sagesse pré diluvienne que les É gyptiens possé daient sur le bout des doigts. Bramanti soutenait qu'il avait des documents (naturellement inaccessibles aux profanes) qui remontaient aux sages du Temple de Karnak et à leurs archives secrè tes. Le symbole de la rose et de la croix avait é té ensuite conç u par le pharaon Akhenaton. Quelqu'un a le papyrus, disait Bramanti, mais ne me demandez pas qui.

Dans la ruché e de la Grande Fraternité Blanche, s'é taient formé s Hermè s Trismé giste, dont l'influence sur la Renaissance italienne é tait aussi irré futable que son influence sur la Gnose de Princeton, Homè re, les druides des Gaules, Salomon, Solon, Pythagore, Plotin, les essé niens, les thé rapeutes, Joseph d'Arimathie qui a apporté le Graal en Europe, Alcuin, le roi Dagobert, saint Thomas, Bacon, Shakespeare, Spinoza, Jacob Bœ hme et Debussy, Einstein. Amparo me murmura qu'il lui semblait ne manquer que Né ron, Cambronne, Gé ronimo, Pancho Villa et Buster Keaton.

En ce qui concerne l'influence des Rose‑ Croix originaires sur le christianisme, Bramanti relevait, pour qui n'aurait pas encore fait le rapprochement, que ce n'é tait pas un hasard si la lé gende voulait que Jé sus fû t mort sur la croix.

Les sages de la Grande Fraternité Blanche é taient les mê mes qui avaient fondé la premiè re loge maç onnique aux temps du roi Salomon. Que Dante fû t Rose‑ Croix et maç on – comme d'autre part saint Thomas – c'é tait inscrit en toutes lettres dans son œ uvre. Dans les chants XXIV et XXV du Paradis, on trouve le triple baiser du prince rose‑ croix, le pé lican, les tuniques blanches, les mê mes que celles des vieillards de l'Apocalypse, les trois vertus thé ologales des chapitres maç onniques (Foi, Espé rance et Charité ). En effet, la fleur symbolique des Rose‑ Croix (la rose blanche des chants XXX et XXXI) a é té adopté e par l'É glise de Rome comme figure de la Mè re du Sauveur – d'où la Rosa Mystica des litanies.

Et que les Rose‑ Croix eussent traversé les siè cles mé dié vaux é tait proclamé non seulement par leur infiltration chez les Templiers, mais par des documents beaucoup plus explicites. Bramanti citait un certain Kiesewetter qui, à la fin du siè cle passé, avait dé montré que les Rose‑ Croix du Moyen  ge avaient fabriqué quatre quintaux d'or pour le prince é lecteur de Saxe, preuve en main la page pré cise du Theatrum Chemicum publié à Strasbourg en 1613. Cependant, rares sont ceux qui ont remarqué les ré fé rences templiè res dans la lé gende de Guillaume Tell: Tell taille sa flè che dans une branche de gui,

plante de la mythologie aryenne, et atteint la pomme, symbole du troisiè me œ il activé par le serpent Kundalinî – et on sait que les Aryens venaient de l'Inde, où iront se cacher les Rose‑ Croix lorsqu'ils abandonnent l'Allemagne.

Quant aux diffé rents mouvements qui pré tendent renouer, fû t‑ ce avec beaucoup de pué rilité, avec la Grande Fraternité Blanche, Bramanti reconnaissait par contre comme assez orthodoxe le Rosicrucian Fellowship de Max Heindel, mais seulement parce que dans ce milieu s'é tait formé Allan Kardec. Tout le monde sait que Kardec a é té le pè re du spiritisme, et que c'est à partir de sa thé osophie, qui envisage le contact avec les â mes des tré passé s, que s'est formé e la spiritualité umbanda, gloire du trè s noble Bré sil. Dans cette thé osophie, Aum Bhandà est une expression sanscrite qui dé signe le principe divin et la source de la vie (« Ils nous ont de nouveau trompé s, murmura Amparo, mê me umbanda n'est pas un mot à nous, d'africain il n'a que le son. »)

La racine est Aum ou Um, qui de fait est le Om bouddhiste et le nom de Dieu dans la langue adamique. Um est une syllabe qui, prononcé e exactement, se tranforme en un puissant mantra et provoque des courants fluidiques d'harmonie dans la psyché à travers la siakra ou Plexus Frontal.

« C'est quoi le plexus frontal? demanda Amparo. Un mal incurable? »

Bramanti pré cisa qu'il fallait distinguer entre les vrais Rose‑ Croix, hé ritiers de la Grande Fraternité Blanche, é videmment secrets, comme l'Ordre Ancien et Accepté qu'indignement il repré sentait, et les « rosicruciens », c'est‑ à ‑ dire tous ceux qui, pour des raisons d'inté rê t personnel, s'inspireraient de la mystique rose‑ croix sans y avoir droit. Il recommanda au public de ne prê ter foi à aucun rosicrucien qui se qualifierait de Rose‑ Croix.

Amparo observa que tout Rose‑ Croix est le rosicrucien de l'autre.

Un imprudent au milieu du public se leva et lui demanda comment il se faisait que son ordre pré tendait à l'authenticité, alors qu'il violait la rè gle du silence, caracté ristique de tout vé ritable adepte de la Grande Fraternité Blanche.

Bramanti se leva à son tour et dit: « Je ne savais pas que mê me ici s'infiltraient des provocateurs à la solde du maté rialisme athé e. Dans ces conditions, je ne parle plus. » Et il sortit, non sans une certaine majesté.

Ce soir‑ là Agliè té lé phona, demandant de nos nouvelles et nous avertissant que le lendemain nous serions enfin invité s à un rite. En attendant, il me proposait de boire quelque chose. Amparo avait une ré union politique avec ses amis; je me rendis seul au rendez‑ vous.

 

– 32 –

Valentiniani... nihil magis curant quam occultare quod praedicant: si tamen praedicant, qui occultant... Si bona fide quaeres, concreto vultu, suspenso supercilioaltum estaiunt. Si subtiliter tentes, per ambiguitates bilingues communem fidem affirmant. Si scire te subostendas, negant quidquid agnoscunt... Habent artificium quo prius persuadeant, quam edoceant.

TERTULLIEN, Adversus Valentinianos.

Agliè m'invita à visiter un endroit où on faisait encore une batida comme seuls savent les faire des hommes sans â ge. Nous sortî mes, en quelques pas, de la civilisation de Carmen Miranda, et je me retrouvai dans un lieu obscur, où des natifs du pays fumaient un tabac gras comme une saucisse, roulé en cordes de vieux marin. On manipulait les câ bles avec le bout des doigts, on en obtenait des feuilles larges et transparentes, et on les roulait dans des papiers de paille huileuse. Il fallait rallumer souvent, mais on comprenait ce qu'é tait le tabac quand le dé couvrit sir Walter Raleigh.

Je lui racontai mon aventure de l'aprè s‑ midi.

« Les Rose‑ Croix aussi, maintenant? Votre dé sir de savoir est insatiable, mon ami. Mais ne prê tez pas l'oreille à ce que disent ces fous. Ils parlent tous de documents irré futables, mais personne ne les a jamais montré s. Ce Bramanti, je le connais. Il habite à Milan, sauf qu'il va de par le monde pour ré pandre son verbe. Il est inoffensif, mais il croit encore à Kiesewetter. Des lé gions de rosicruciens s'appuient sur cette page du Theatrum Chemicum. Mais si vous allez le consulter – et, en toute modestie, il fait partie de ma petite bibliothè que milanaise – la citation ne s'y trouve pas.

– Un rigolo, ce monsieur Kiesewetter.

– Des plus cité s. C'est que les occultistes du XIXe siè cle aussi ont é té victimes de l'esprit du positivisme: une chose n'est vraie que si on peut la prouver. Voyez le dé bat sur le Corpus Hermeticum. Quand il fut introduit en Europe, au XVe siè cle, Pic de La Mirandole, Ficin et bien d'autres personnes de grande sagesse, virent la vé rité : ce devait ê tre l'œ uvre d'une trè s ancienne sapience, anté rieure aux É gyptiens, anté rieure à Moï se lui‑ mê me, parce qu'on y trouve dé jà des idé es que plus tard é nonceraient Platon et Jé sus.

– Comment plus tard? Ce sont les mê mes arguments de Bramanti sur Dante maç on. Si le Corpus ré pè te les idé es de Platon et de Jé sus, cela signifie qu'il a é té é crit aprè s eux!

– Vous voyez? Vous aussi. Et en effet ce fut l'argument des philologues modernes, qui y ajoutè rent aussi de fumeuses analyses linguistiques pour montrer que le Corpus avait é té é crit entre le IIe et le IIIe siè cle de notre è re. Comme qui dirait que Cassandre é tait né e aprè s Homè re parce qu'elle savait dé jà que Troie serait dé truite. C'est une illusion moderne de croire que le temps est une succession liné aire et orienté e, qui va de A vers B. Il peut aussi aller de B vers A, et l'effet produit la cause... Qu'est‑ ce que cela veut dire venir avant et venir aprè s? Votre splendide Amparo vient avant ou aprè s ses ancê tres confus? Elle est trop belle – si vous permettez un jugement sans passion à qui pourrait ê tre son pè re. Elle vient donc avant. Elle est l'origine mysté rieuse de ce qui a contribué à la cré er.

– Mais à ce point...

– C'est le concept de " ce point " qui est erroné. Les points sont placé s par la science, aprè s Parmé nide, pour é tablir d'où à où quelque chose se meut. Rien ne se meut, et il y a un seul point, le point d'où s'engendrent en un mê me instant tous les autres points. L'ingé nuité des occultistes du XIXe siè cle, et de ceux de notre temps, c'est de dé montrer la vé rité de la vé rité avec les mé thodes du mensonge scientifique. Il ne faut pas raisonner selon la logique du temps, mais selon la logique de la Tradition. Tous les temps se symbolisent entre eux, et donc le Temple invisible des Rose‑ Croix existe et a existé en tout temps, indé pendamment des flux de l'histoire, de votre histoire. Le temps de la ré vé lation derniè re n'est pas le temps des horloges. Ses liens s'é tablissent dans le temps de " l'histoire subtile " où les avant et les aprè s de la science comptent fort peu.

– Mais en somme, tous ceux qui soutiennent l'é ternité des Rose‑ Croix...

– Des bouffons scientistes parce qu'ils cherchent à prouver ce qu'on doit au contraire savoir, sans dé monstration. Vous croyez que les fidè les que nous verrons demain soir savent ou sont en mesure de dé montrer tout ce que leur a dit Kardec? Ils savent parce qu'ils sont disposé s à savoir. Si nous avions tous gardé cette sensibilité au secret, nous serions é blouis de ré vé lations. Il n'est pas né cessaire de vouloir, il suffit d'ê tre disposé.

– Mais en somme, et je m'excuse si je suis banal, les Rose‑ Croix existent ou pas?

– Que signifie exister?

– A vous l'honneur.

– La Grande Fraternité Blanche, que vous les appeliez Rose‑ Croix, que vous les appeliez chevalerie spirituelle dont les Templiers sont une incarnation occasionnelle, est une cohorte de sages, peu, trè s peu d'é lus, qui voyage à travers l'histoire de l'humanité pour pré server un noyau de sapience é ternelle. L'histoire ne se dé veloppe pas au hasard. Elle est l'œ uvre des Seigneurs du Monde, auxquels rien n'é chappe. Naturellement, les Seigneurs du Monde se dé fendent par le secret. Et donc, chaque fois que vous rencontrerez quelqu'un qui se dit Seigneur, ou Rose‑ Croix, ou Templier, celui‑ là mentira. Il faut les chercher ailleurs.

– Mais alors cette histoire continue à l'infini?

– C'est ainsi. Et c'est l'astuce des Seigneurs.

– Mais qu'est‑ ce qu'ils veulent que les gens sachent?

– Qu'il y a un secret. Autrement pourquoi vivre, si tout é tait ainsi qu'il apparaî t?

– Et quel est le secret?

– Ce que les religions ré vé lé es n'ont pas su dire. Le secret se trouve au‑ delà. »

 

– 33 –

Les visions sont blanc, bleu, blanc rouge clair; enfin elles sont mixtes ou toutes blanches, couleur de flamme de bougie blanche, vous verrez des é tincelles, vous sentirez la chair de poule par tout votre corps, tout cela annonce le principe de la traction que la chose fait avec celui qui travaille.

PAPUS, Martines de Pasqually, Paris, Chamuel, 1895, p. 92.

Vint le soir promis. Comme à Salvador, c'est Agliè qui passa nous chercher. La tente où se dé roulerait la session, ou gira, é tait dans une zone plutô t centrale, si on peut parler de centre dans une ville qui é tend ses langues de terre au milieu de ses collines, jusqu'à lé cher la mer, si bien que vue d'en haut, é clairé e dans le soir, elle a l'air d'une chevelure avec des plaques sombres d'alopé cie.

« Vous vous souvenez, ce soir il s'agit d'umbanda. On n'aura pas de possession de la part des orlxá s mais des eguns, qui sont des esprits de tré passé s. Et puis de la part de l'Exu, l'Hermè s africain que vous avez vu à Bahia, et de sa compagne, la Pomba Gira. L'Exu est une divinité yoruba, un dé mon enclin au malé fice et à la plaisanterie, mais il existait un dieu facé tieux dans la mythologie amé rindienne aussi.

– Et les tré passé s, qui sont‑ ils?

Pretos velhos et caboclos. Les pretos velhos sont de vieux sages africains qui ont guidé leur gent au temps de la dé portation, comme Rei Congo ou Pai Agostinho... Ils sont le souvenir d'une phase mitigé e de l'esclavagisme, quand le nè gre n'est plus un animal et devient un ami de la famille, un oncle, un grand‑ pè re. Les caboclos sont par contre des esprits indios, des forces vierges, la pureté de la nature originelle. Dans l'umbanda les orixá s africains restent à l'arriè re‑ plan, dé sormais tout à fait syncré tisé s avec les saints catholiques, et n'interviennent que ces entité s. Ce sont elles qui produisent la transe: le mé dium, le cavalo, à un certain point de la danse sent qu'il est pé né tré par une entité supé rieure et perd la conscience de soi. Il danse, tant que l'entité divinité ne l'a pas abandonné, et aprè s il se sentira mieux, limpide et purifié.

– Les bienheureux, dit Amparo.

– Bienheureux oui, dit Agliè. Ils entrent en contact avec la terre mè re. Ces fidè les ont é té dé raciné s, jeté s dans l'horrible creuset de la ville et, comme disait Spengler, l'Occident mercantile, au moment de la crise, s'adresse de nouveau au monde de la terre. »

Nous arrivâ mes. De l'exté rieur la tente avait l'air d'un é difice ordinaire: là aussi on entrait par un jardinet, plus modeste que celui de Bahia, et devant la porte du barracã o, une sorte de magasin, nous trouvâ mes la statuette de l'Exu, dé jà entouré e d'offrandes propitiatoires.



  

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