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FILENAME : ABOU 11 страница



– Mais pourquoi chaque fois vingt ans? demanda Diotallevi.

– Ces chevaliers de la vengeance doivent accomplir une mission en un lieu dé terminé tous les cent vingt ans. Il s'agit d'une forme de relais Il est é vident qu'aprè s la nuit de l'an 1344, six chevaliers partent et chacun va dans un des six lieux pré vus par le plan. Mais le gardien du premier sceau ne peut certes pas rester en vie pendant cent vingt ans. Il faut comprendre que chaque gardien de chaque sceau doit rester en charge vingt ans, et puis passer l'ordre à un successeur. Vingt anné es est un terme raisonnable, six gardiens par sceau, pendant vingt anné es chacun, donnent la garantie qu'à la cent vingtiè me anné e le dé tenteur du sceau puisse lire une instruction, mettons, et la passer au premier des gardiens du deuxiè me sceau. Voilà pourquoi le message s'exprime au pluriel, que les premiers aillent par ici, que les deuxiè mes aillent par là... Chaque lieu est pour ainsi dire contrô lé, en l'espace de cent vingt ans, par six chevaliers. Faites le compte: du premier au sixiè me lieu il y a cinq passages, qui prennent six cents anné es. Ajoutez 600 à 1344 et vous obtiendrez 1944. Ce qui est aussi confirmé par la derniè re ligne. Clair comme le jour.

– C'est‑ à ‑ dire?

– La derniè re ligne pré cise " trois fois six avant la fê te (de la) Grande Prostitué e ". Là aussi un jeu numé rologique, parce que la somme interne de 1944 donne pré cisé ment 18. Dix‑ huit, c'est trois fois six, et cette nouvelle, admirable coï ncidence numé rique suggè re aux Templiers une autre trè s subtile é nigme. 1944 est l'anné e où le plan doit parvenir à son terme. En vue de quoi? Mais de l'an deux mille! Les Templiers pensent que le deuxiè me millé naire marquera l'avè nement de leur Jé rusalem, une Jé rusalem terrestre, l'Anté jé rusalem. Ils sont persé cuté s en tant qu'hé ré tiques? En haine de l'É glise, ils s'identifient à l'Anté christ. Vous savez que le 666 dans toute la tradition occulte est le nombre de la Bê te. Le six cent soixante‑ six, anné e de la Bê te, est l'an deux mille où triomphera la vengeance templiè re, l'Anté jé rusalem est la Nouvelle Babylone dont parle l'Apocalypse! La ré fé rence au 666 est une provocation, une bravade d'hommes d'armes. Une prise en charge de sa diversité, comme on dirait aujourd'hui. Belle histoire, n'est‑ ce pas? »

Il nous regardait avec des yeux humides, des lè vres et des moustaches humides, tandis que de la main il caressait son classeur.

« D'accord, dit Belbo, on a là, dans leurs grandes lignes, les é ché ances d'un plan. Mais lequel?

– Vous en demandez trop. Si je le savais, je n'aurais pas besoin de lancer mon appâ t. Mais je sais une chose. Qu'en cet espace de temps, il est arrivé un accident de parcours et le plan ne s'est pas accompli: autrement, permettez, on le saurait. Et je peux mê me comprendre pourquoi: 1944 n'est pas une anné e facile, les Templiers ne pouvaient pas savoir qu'il y aurait eu une guerre mondiale rendant tout contact plus difficile.

– Excusez‑ moi si j'interviens, dit Diotallevi, mais si je comprends bien, une fois ouvert le premier sceau, la dynastie de vos gardiens ne s'é teint pas. Elle continue jusqu'à l'ouverture du dernier sceau, quand sera né cessaire la pré sence de tous les repré sentants de l'Ordre. Et par consé quent, chaque siè cle, ou bien chaque cent vingt anné es, nous aurions toujours six gardiens pour chaque lieu, donc trente‑ six.

– Affirmatif, dit Ardenti.

– Trente‑ six chevaliers pour chacun des six endroits, cela fait 216, dont la somme inté rieure fait 9. Et puisqu'il y a 6 siè cles, multiplions 216 par 6 et nous avons 1296, dont la somme inté rieure fait 18, c'est‑ à ‑ dire 3 par 6, 666. » Diotallevi aurait peut‑ ê tre procé dé à la refonte arithmologique de l'histoire universelle si Belbo, d'un coup d'œ il, ne l'avait arrê té, comme font les mè res quand leur enfant commet une gaffe. Mais le colonel é tait en train de reconnaî tre en Diotallevi un illuminé.

« C'est magnifique ce que vous me montrez là, professeur! Vous savez que neuf est le nombre des premiers chevaliers qui formè rent le noyau du Temple à Jé rusalem!

– Le Grand Nom de Dieu, tel qu'il est exprimé dans le té tragrammaton, dit Diotallevi, est de soixante‑ douze lettres, et sept et deux font neuf. Mais je vous dirai davantage, si vous me le permettez. Selon la tradition pythagoricienne, que la Kabbale reprend (ou inspire), la somme des nombres impairs de un à sept donne seize, et la somme des nombres pairs de deux à huit donne vingt, et vingt plus seize ç a fait trente‑ six.

– Mon Dieu, professeur, fré missait le colonel, je le savais, je le savais. Vous me ré confortez. Je suis prè s de la vé rité. »

Je ne comprenais pas jusqu'à quel point Diotallevi faisait de l'arithmé tique une religion ou de la religion une arithmé tique, probablement faisait‑ il l'une et l'autre chose, et j'avais en face de moi un athé e qui jouissait de son ravissement dans quelque ciel supé rieur. Il pouvait devenir un dé vot de la roulette (il l'eû t mieux valu), et il s'é tait voulu rabbin mé cré ant.

A pré sent, je ne me rappelle pas exactement ce qui se passa, mais Belbo intervint avec son bon sens des gens du Pô et rompit le charme. Il restait au colonel d'autres lignes à interpré ter et nous voulions tous savoir. Il é tait dé jà six heures du soir. Six heures, pensai‑ je, qui sont aussi dix‑ huit heures.

« D'accord, dit Belbo. Trente‑ six par siè cle, les chevaliers pas à pas s'apprê tent à dé couvrir la Pierre. Mais quelle est cette Pierre?

– Allons! Il s'agit naturellement du Graal. »

 

– 20 –

Le Moyen Age attendait le hé ros du Graal et que le chef du Saint Empire Romain devî nt une image et une manifestation du « Roi du Monde » mê me... que l'Empereur invisible fû t aussi le manifeste et l'Age du Milieu... eû t aussi le sens d'un Age du Centre... Le centre invisible et inviolable, le souverain qui doit se ré veiller, et jusqu'au hé ros vengeur et restaurateur, ne sont pas imaginations d'un passé mort plus ou moins romantique, mais bien la vé rité de ceux qui, aujourd'hui, seuls, peuvent lé gitimement s'appeler vivants.

Julius EVOLA, Il mistero del Graal, Roma, Edizioni Mediterranee, 1983, c. 23 et É pilogue.

« Vous dites qu'il y a aussi un rapport avec le Graal? s'informa Belbo.

– Naturellement. Et ce n'est pas moi qui le dis. Sur ce qu'est la lé gende du Graal, je ne crois pas devoir m'é tendre, je parle avec des personnes cultivé es. Les chevaliers de la Table ronde, la recherche mystique de cet objet prodigieux qui, pour certains, serait la coupe où le sang de Jé sus fut recueilli, transporté e en France par Joseph d'Arimathie, pour d'autres une pierre aux pouvoirs mysté rieux. Souvent le Graal apparaî t comme une lumiè re fulgurante... Il s'agit d'un symbole, qui repré sente une force, une source d'immense é nergie. Il nourrit, gué rit des blessures, aveugle, foudroie... Un rayon laser? On a aussi pensé à la pierre philosophale des alchimistes, mais mê me dans cette hypothè se, que fut la pierre philosophale si ce n'est le symbole de quelque é nergie cosmique? La litté rature sur ce sujet est innombrable, mais on repè re facilement certains signaux irré futables. Si vous lisez le Parzival de Wolfram von Eschenbach, vous verrez que le Graal y apparaî t comme gardé dans un châ teau de Templiers! Eschenbach é tait‑ il un initié ? Un imprudent qui a ré vé lé quelque chose qu'il valait mieux taire? Mais ce n'est pas tout. Ce Graal gardé par les Templiers est dé fini comme une pierre tombé e du ciel: lapis exillis. On ne sait pas si cela signifie pierre du ciel (" ex coelis " ) ou qui vient de l'exil. En tout cas c'est quelque chose qui vient de loin, et on a suggé ré que cela pourrait ê tre un mé té orite. En ce qui nous concerne, nous y sommes: une Pierre. Quoi que fû t le Graal, pour les Templiers il symbolise l'objet ou le but du plan.

– Pardon, dis‑ je, selon la logique du document, au sixiè me rendez‑ vous les chevaliers devraient se trouver prè s d'une pierre ou dessus, mais pas trouver une pierre.

– Autre subtile ambiguï té, autre lumineuse analogie mystique! Bien sû r que le sixiè me rendez‑ vous est sur une pierre, et nous verrons où, mais sur cette pierre, une fois achevé e la transmission du plan et brisé s les six sceaux, les chevaliers sauront où trouver la Pierre! C'est en somme le jeu é vangé lique: tu es Pierre et sur cette pierre... Sur la pierre vous trouverez la Pierre.

– Il ne peut en ê tre qu'ainsi, dit Belbo. Je vous en prie, poursuivez. Casaubon, n'interrompez pas toujours. Nous sommes impatients de connaî tre le reste.

– Donc, dit le colonel, la ré fé rence é vidente au Graal m'a longtemps fait penser que le tré sor é tait un immense dé pô t de matiè res radioactives, à la limite tombé es d'autres planè tes. Veuillez considé rer, par exemple, dans la lé gende, la mysté rieuse blessure du roi Amfortas... On dirait d'un radiologue qui s'est trop exposé... De fait, il ne faut pas le toucher. Pourquoi? Songez à l'é motion que les Templiers doivent avoir é prouvé e quand ils sont arrivé s sur le rivage de la mer Morte: vous le savez, des eaux bitumeuses trè s lourdes où on flotte comme du liè ge, et qui ont des proprié té s curatives... Ils pourraient avoir dé couvert en Palestine un dé pô t de radium, d'uranium, qu'ils ont compris ne pas pouvoir exploiter sur‑ le‑ champ. Les rapports entre le Graal, les Templiers et les Cathares ont é té scientifiquement é tudié s par un valeureux officier allemand, je veux parler d'Otto Rahn, un Obersturmbannfü hrer des SS qui a consacré sa vie à mé diter avec rigueur sur la nature europé enne et aryenne du Graal – je ne veux pas dire comment et pourquoi il a perdu la vie en 1939, mais il y en a qui affirment... eh, puis‑ je oublier ce qui est arrivé à Ingolf?... Rahn nous montre les rapports entre la Toison d'or des Argonautes et le Graal... en somme, il est é vident qu'il y a un lien entre le Graal mystique de la lé gende, la pierre philosophale (lapis! ) et cette source de puissance immense que convoitaient les fidè les de Hitler à la veille de la guerre, et jusqu'à leur dernier souffle. Remarquez que dans une version de la lé gende les Argonautes voient une coupe, je dis bien une coupe, planer au‑ dessus de la Montagne du Monde avec l'Arbre de la Lumiè re. Les Argonautes trouvent la Toison d'or et leur navire est emporté par enchantement en pleine Voie Lacté e, dans l'hé misphè re Austral où, avec la Croix, le Triangle et l'Autel, il domine et affirme la nature lumineuse du Dieu é ternel. Le triangle symbolise la Trinité divine, la croix le divin Sacrifice d'amour et l'autel est la Table de la Cè ne, qui portait la Coupe de la Ré surrection. L'origine celtique et aryenne de tous ces symboles est é vidente. »

Le colonel semblait pris par la mê me exaltation hé roï que qui avait poussé au suprê me sacrifice son... comment dé jà? obersturmunddrang, n'importe, diable de nom. Il fallait le ramener à la ré alité.

« Conclusion? demandai‑ je.

– Monsieur Casaubon, elle ne vous crè ve pas les yeux? On a parlé du Graal comme d'une Pierre Lucifé rienne, en le rapprochant de la figure du Baphomet. Le Graal est une source d'é nergie, les Templiers é taient les gardiens d'un secret é nergé tique, et ils dressent leur plan. Où s'é tablirent les siè ges inconnus? Là, mes bons messieurs », et le colonel nous regarda d'un air complice, comme si nous conspirions ensemble, « moi j'avais une piste, erroné e mais utile. Un auteur qui devait avoir eu vent de quelque secret, Charles‑ Louis Cadet‑ Gassicourt (quelle coï ncidence, son œ uvre figurait dans la minibibliothè que d'Ingolf) é crit en 1797 un livre, Le tombeau de Jacques Molay ou le secret des conspirateurs à ceux qui veulent tout savoir, et il soutient que Molay, avant de mourir, constitue quatre loges secrè tes, à Paris, en É cosse, à Stockholm et à Naples. Ces quatre loges auraient dû exterminer tous les monarques et dé truire la puissance du pape. D'accord, Gassicourt é tait un exalté, mais moi je suis parti de son idé e pour é tablir où vraiment les Templiers pouvaient situer leurs siè ges secrets. Je n'aurais pas pu comprendre les é nigmes du message si je n'avais pas eu une idé e guide, c'est normal. Mais j'en avais une, et c'é tait la conviction, fondé e sur d'innombrables é vidences, que l'esprit templier é tait d'inspiration celtique, druidique, é tait l'esprit de l'aryanisme nordique que la tradition identifie avec l'î le d'Avalon, siè ge de la vé ritable civilisation hyperboré enne. Vous n'ê tes pas sans savoir que diffé rents auteurs ont identifié Avalon avec le jardin des Hespé rides, avec la Derniè re Thulé et avec la Colchide de la Toison d'or. Ce n'est pas un hasard si le plus grand ordre chevaleresque de l'histoire est la Toison d'or. A partir de quoi devient clair ce que cache l'expression " Châ teau ". C'est le châ teau hyperboré en où les Templiers gardaient le Graal, probablement le Montsalvat de la lé gende. »

Il fit une pause. Il voulait que nous soyons suspendus à ses lè vres. Suspendus, nous l'é tions.

« Venons‑ en au deuxiè me ordre: les gardiens du sceau devront aller là où il y a ceux qui ont fait quelque chose avec le pain. En soi, l'indication é tait fort claire: le Graal est la coupe du sang du Christ, le pain est la chair du Christ, le lieu où on a mangé le pain est le lieu de la Derniè re Cè ne, à Jé rusalem. Impossible de penser que les Templiers, mê me aprè s la reconquê te sarrasine, n'eussent pas conservé une base secrè te là ‑ bas. Pour ê tre franc, cet é lé ment juif me gê nait au dé but, dans un plan qui se trouve entiè rement sous le signe d'une mythologie aryenne. Et puis j'ai changé d'avis, c'est nous qui continuons à voir en Jé sus une expression de la religiosité juive, parce que c'est ce que nous ré pè te l'É glise de Rome. Les Templiers savaient trè s bien que Jé sus est un mythe celtique. Tout le ré cit é vangé lique est une allé gorie hermé tique, ré surrection aprè s s'ê tre dissous dans les entrailles de la terre et cetera et cetera. Le Christ n'est rien d'autre que l'É lixir des alchimistes. Par ailleurs, tout le monde sait que la trinité est une notion aryenne, et voilà pourquoi toute la rè gle templiè re, dicté e par un druide comme saint Bernard, est dominé e par le nombre trois. »

Le colonel avait bu une autre gorgé e d'eau. Il é tait enroué. « Et venons‑ en à la troisiè me é tape, le Refuge. C'est le Tibet.

– Et pourquoi le Tibet?

– Mais, avant tout, parce que von Eschenbach raconte que les Templiers abandonnent l'Europe et transportent le Graal en Inde. Le berceau de la race aryenne. Le refuge est Agarttha. Vous avez dû entendre parler d'Agarttha, siè ge du roi du monde, la cité souterraine d'où les Seigneurs du Monde dominent et dirigent les vicissitudes de l'histoire humaine. Les Templiers ont constitué un de leurs centres secrets là, aux racines mê mes de leur spiritualité. Vous devez connaî tre les rapports entre le royaume d'Agarttha et la Synarchie...

– A dire vrai, non...

– Ç a vaut mieux, il y a des secrets qui tuent. Ne nous é garons pas. En tout cas, tout le monde sait qu'Agarttha a é té fondé e il y a six mille ans, au dé but de l'é poque du Kali‑ Yuga, dans laquelle nous vivons encore actuellement. La tâ che des ordres chevaleresques a toujours é té de maintenir le rapport avec ce centre secret, la communication active entre la sagesse d'Orient et la sagesse d'Occident. Alors, il est clair que le quatriè me rendez‑ vous doit avoir lieu, et dans un autre des sanctuaires druidiques, la cité de la Vierge, c'est‑ à ‑ dire la cathé drale de Chartres. Chartres, par rapport à Provins, se trouve de l'autre cô té du fleuve principal de l'Ile‑ de‑ France, la Seine. »

Nous ne parvenions plus à suivre notre interlocuteur: « Mais que vient faire Chartres dans votre parcours celtique et druidique?

– Mais d'où croyez‑ vous que sort l'idé e de la Vierge? Les premiè res vierges qui apparaissent en Europe sont les Vierges noires des Celtes. Le jeune saint Bernard é tait à genoux dans l'é glise de Saint‑ Voirles, devant une Vierge noire et celle‑ ci pressa de son sein trois gouttes de lait qui tombè rent sur les lè vres du futur fondateur des Templiers. D'où les romans du Graal, pour procurer une couverture aux croisades, et les croisades pour retrouver le Graal. Les bé né dictins sont les hé ritiers des druides, tout le monde sait ç a.

– Mais où sont‑ elles donc ces Vierges noires?

– Ceux qui voulaient corrompre la tradition nordique et transformer la religiosité celtique en religiosité mé diterrané enne, en inventant le mythe de Marie de Nazareth, les ont fait disparaî tre. Ou bien les ont dé guisé es, dé naturé es, telles les si nombreuses madones noires qu'on expose encore au fanatisme des masses. Mais si on prend la peine de lire les images des cathé drales, comme a fait le grand Fulcanelli, on voit que cette histoire est raconté e en lettres claires et en lettres claires est repré senté le rapport liant les vierges celtiques à la tradition alchimique d'origine templiè re, qui fera de la Vierge noire le symbole de la matiè re premiè re sur quoi travaillent les chercheurs de cette pierre philosophale laquelle, on l'a vu, n'est autre que le Graal. Et maintenant, ré flé chissez: d'où est venue l'inspiration à cet autre grand initié par les druides, Mahomet? Par la pierre noire de La Mecque. A Chartres, quelqu'un a muré la crypte qui met en communication avec le site souterrain où se trouve encore la statue paï enne originelle, mais à bien chercher vous pouvez encore dé couvrir une Vierge noire, Notre‑ Dame du Pillier, sculpté e par un chanoine odiniste. La statue serre dans sa main le cylindre magique des grandes prê tresses d'Odin, et à sa gauche est sculpté le calendrier magique où apparaissaient – je dis malheureusement apparaissaient, car ces sculptures n'ont pas é té sauvé es du vandalisme des chanoines orthodoxes – les animaux sacré s de l'odinisme, le chien, l'aigle, le lion, l'ours blanc et le loup‑ garou. Par ailleurs, il n'a é chappé à aucun des spé cialistes de l'é soté risme gothique qu'à Chartres toujours se pré sente une statue qui porte dans sa main la coupe du Graal. Eh, mes bons messieurs, si on savait encore lire la cathé drale de Chartres, non pas selon les guides touristiques catholiques, apostoliques et romains, mais en sachant voir avec les yeux de la Tradition, la vé ritable histoire que cette forteresse d'Erec raconte...

– Et maintenant nous arrivons aux popelicans. Qui sont‑ ils?

– Ce sont les Cathares. Une des appellations donné es aux hé ré tiques é tait popelicans, a, n, s, ou popelicants, a, n, t, s. Les Cathares du Midi ont é té dé truits, et je ne serai pas ingé nu au point de penser à un rendez‑ vous au milieu des ruines de Montsé gur, mais la secte n'est pas morte, il y a toute une gé ographie du catharisme occulte d'où naissent mê me Dante, les poè tes du Dolce Stilnovo, la secte des Fidè les d'Amour. Le cinquiè me rendez‑ vous est quelque part dans l'Italie septentrionale ou dans la France mé ridionale.

– Et le dernier rendez‑ vous?

– Mais quelle est la plus ancienne, la plus sacré e, la plus stable des pierres celtiques, le sanctuaire de la divinité solaire, l'observatoire privilé gié d'où, parvenus à la fin du plan, les descendants des Templiers de Provins peuvent confronter, dé sormais ré unis, les secrets caché s par les six sceaux et dé couvrir enfin la faç on d'exploiter l'immense pouvoir accordé par la possession du Saint Graal? Voyons! C'est en Angleterre, c'est le cercle magique de Stonehenge! Et quoi encore?

– O basta là », dit Belbo. Seul un Pié montais peut comprendre l'esprit avec lequel on prononce cette expression de stupé faction polie. Aucun de ses é quivalents en d'autres langues ou dialectes (non mi dica, dis donc, are you kidding? ) ne peut rendre le souverain sentiment de dé sinté rê t, le fatalisme avec lequel elle reconfirme l'indé fectible persuasion que les autres sont, et irré mé diablement, les enfants d'une divinité maladroite.

Mais le colonel n'é tait pas pié montais, et il eut l'air flatté de la ré action de Belbo.

« Eh oui. Voilà le plan, voilà l'ordonation, dans son admirable simplicité et cohé rence. Et remarquez, si vous prenez une carte de l'Europe et de l'Asie, et que vous tracez la ligne de dé roulement du plan, du nord, où se trouve le Châ teau, à Jé rusalem, de Jé rusalem à Agarttha, d'Agarttha à Chartres, de Chartres aux bords de la Mé diterrané e et de là à Stonehenge, il en ré sultera un tracé, une rune à peu prè s de cette forme.

 

– Et alors? demanda Belbo.

– Et alors, c'est la mê me rune qui relie idé alement certains des principaux centres de l'é soté risme templier, Amiens, Troyes, royaume de saint Bernard, à l'oré e de la Forê t d'Orient, Reims, Chartres, Rennes‑ le‑ Châ teau et le Mont‑ Saint‑ Michel, lieu de trè s ancien culte druidique. Et ce mê me dessin rappelle la constellation de la Vierge!

– Je fais de l'astronomie en dilettante, dit timidement Diotallevi, et, autant qu'il m'en souvienne, la Vierge a un dessin diffé rent et compte, me semble‑ t‑ il, onze é toiles... »

Le colonel sourit avec indulgence: « Messieurs, messieurs, vous le savez mieux que moi: tout dé pend de la maniè re de tracer les lignes, et on peut avoir un chariot ou une ourse, à volonté, et vous savez comme il est difficile de dé cider si une é toile se trouve en dehors ou en dedans d'une constellation. Revoyez la Vierge, fixez l'É pi comme point infé rieur, correspondant à la cô te provenç ale, identifiez seulement cinq é toiles, et la ressemblance entre les tracé s sera impressionnante.

– Il suffit de dé cider quelles é toiles é carter, dit Belbo.

– Pré cisé ment, confirma le colonel.

– É coutez, dit Belbo, comment pouvez‑ vous exclure que les rencontres soient ré guliè rement advenues et que les chevaliers soient dé jà au travail sans que nous le sachions?

– Je n'en perç ois pas les symptô mes, et permettez‑ moi d'ajouter " malheureusement ". Le plan s'est interrompu et sans doute ceux qui devaient le porter à terme n'existent plus, les groupes des trente‑ six se sont dissous au cours de quelque catastrophe mondiale. Mais un groupe d'intré pides, qui aurait les bonnes informations, pourrait reprendre les fils de la trame. Ce quelque chose est encore là. Et moi je cherche les hommes qu'il faut. C'est pour cela que je veux publier le livre, pour stimuler des ré actions. Et dans le mê me temps, je cherche à me mettre en contact avec des personnes qui puissent m'aider à chercher la ré ponse dans les mé andres du savoir traditionnel. Aujourd'hui, j'ai voulu rencontrer la sommité en la matiè re. Mais hé las, bien qu'é tant une lumiè re, il n'a rien su me dire, mê me s'il s'est beaucoup inté ressé à mon histoire et m'a promis une pré face...

– Excusez‑ moi, lui demanda Belbo, mais n'a‑ t‑ il pas é té imprudent de confier votre secret à ce monsieur? C'est vous qui nous avez parlé de l'erreur d'Ingolf...

– Je vous en prie, ré pondit le colonel, Ingolf é tait un homme sans dé fense. Moi j'ai pris contact avec un spé cialiste au‑ dessus de tout soupç on. Une personne qui ne hasarde pas des hypothè ses à l'é tourdie. A telle enseigne qu'aujourd'hui il m'a demandé d'attendre encore avant de pré senter mon oeuvre à un é diteur, tant que je n'aurais pas é clairci tous les points controversé s... Je ne voulais pas m'alié ner sa sympathie et je ne lui ai pas dit que je viendrais ici, mais vous comprendrez qu'arrivé à cette phase de mes travaux je sois justement impatient. Ce monsieur... oh! allez, au diable la discré tion, je ne voudrais pas que vous pensiez que je me vante. Il s'agit du grand Rakosky... »

Il fit une pause, attendant nos ré actions.

« Qui? le dé ç ut Belbo.

– Mais le grand Rakosky! Une autorité dans les é tudes traditionnelles, ex‑ directeur des Cahiers du Mystè re!

– Ah, dit Belbo. Oui, oui, il me semble, Rakosky, bien sû r...

– Eh bien, je me ré serve d'achever la ré daction de mon texte aprè s avoir é couté encore les conseils de ce monsieur, mais j'entends brû ler les é tapes et si en attendant j'arrivais à un accord avec votre maison... Je le ré pè te, j'ai hâ te de susciter des ré actions, de recueillir des renseignements... Ici et ailleurs de par le monde, il y a des gens qui savent et ne parlent pas... Messieurs, bien que Hitler se rende compte que la guerre est perdue, c'est pré cisé ment autour de l'anné e 44 qu'il commence à parler d'une arme secrè te qui lui permettra de renverser la situation. Il est fou, dit‑ on. Et s'il n'avait pas é té fou? Vous me suivez? » Il avait le front couvert de sueur et les moustaches presque hé rissé es, comme un fé lin. « Bref, dit‑ il, moi je lance l'appâ t. Nous verrons si quelqu'un se manifeste. »

 

D'aprè s ce que je savais et pensais alors de lui, je m'attendais, ce jour‑ là, que Belbo le mî t dehors avec quelques phrases de circonstance. Il dit au contraire: « É coutez, colonel, la chose est d'un é norme inté rê t, au‑ delà de savoir s'il est opportun de conclure avec nous ou avec d'autres. Vous pouvez rester encore une dizaine de minutes, n'est‑ ce pas colonel? » Puis il s'adressa à moi: « Pour vous, il est tard, Casaubon, et je ne vous ai que trop retenu ici. Nous pourrons peut‑ ê tre nous voir demain, non? »



  

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