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FILENAME : ABOU 10 страница



– Mais au bout du compte, dit Belbo, vous n'avancez jusque‑ là que des hypothè ses...

– Hypothè ses de dé part. Je vous ai dit les raisons pour lesquelles je me suis mis à explorer Provins. Venons‑ en maintenant à l'histoire proprement dite. Au centre de Provins il y a un grand é difice gothique, la Grange‑ aux‑ Dî mes, et vous savez qu'un des points forts des Templiers é tait qu'ils recueillaient directement les dî mes sans devoir rien à l'É tat. Dessous, comme partout, un ré seau de souterrains, aujourd'hui en trè s mauvais é tat. Bien; alors que je fouillais dans les archives de Provins, il me tombe entre les mains un journal local de l'anné e 1894. On y raconte que deux dragons, les cavaliers Camille Laforgue de Tours et Edouard Ingolf de Pé tersbourg (exactement: de Pé tersbourg), visitaient quelques jours auparavant la Grange avec le gardien, et ils é taient descendus dans une des salles souterraines, au deuxiè me é tage sous la surface du sol, quand le gardien, pour dé montrer qu'il existait d'autres é tages sous‑ jacents, frappa du pied par terre et des é chos et des ré sonances se firent entendre. Le chroniqueur loue les hardis dragons qui se munissent de lanternes et de cordes, pé nè trent dans Dieu sait quelles galeries comme des enfants dans une carriè re, en rampant sur les coudes, et se glissent par de mysté rieux conduits. Et ils arrivent, dit le journal, dans une grande salle, avec une belle cheminé e, et un puits au milieu. Ils font descendre une corde avec une pierre au bout et dé couvrent que le puits a une profondeur de onze mè tres... Ils reviennent une semaine aprè s avec des cordes plus solides, et tandis que les deux autres tiennent la corde, Ingolf descend dans le puits et dé couvre une grande piè ce aux murs de pierre, dix mè tres sur dix, et d'une hauteur de cinq. A tour de rô le, les deux autres aussi descendent, et ils se rendent compte qu'ils sont au troisiè me é tage sous la surface du sol, à trente mè tres de profondeur. Ce que ces trois hommes font et voient dans cette salle, on l'ignore. Le chroniqueur avoue que quand il s'est rendu sur place pour vé rifier, il n'a pas eu la force de suivre le mê me chemin dans le puits. L'histoire m'excita, et il me vint l'envie de visiter l'endroit. Mais de la fin du siè cle passé à aujourd'hui, beaucoup de souterrains s'é taient é croulé s, et si mê me ce puits avait jamais existé, qui sait où il se trouvait maintenant. Il me passa par l'esprit que les dragons avaient dé niché quelque chose au troisiè me sous‑ sol. J'avais lu, et pré cisé ment ces jours‑ là, un livre sur le secret de Rennes‑ le‑ Châ teau, encore une histoire où, d'une certaine maniè re, les Templiers sont de la partie. Un curé sans le sou et sans avenir s'avise d'effectuer la restauration d'une vieille é glise dans un petit bourg de deux cents â mes, il soulè ve une pierre du pavement du choeur et trouve un é tui avec des manuscrits fort anciens, qu'il dit. Uniquement des manuscrits? On ne sait trop ce qui se passe, mais dans les anné es qui suivent le curé devient immensé ment riche, brû le la chandelle par les deux bouts, vit dans la dissipation, subit un procè s devant les tribunaux ecclé siastiques... Et si à l'un des dragons ou à tous les deux il é tait arrivé quelque chose de semblable? Ingolf descend le premier, il trouve un objet pré cieux de dimensions ré duites, le cache sous son blouson, remonte, ne dit rien aux deux autres... Bref, je suis tê tu, et s'il n'en avait pas toujours é té ainsi, j'aurais eu une vie diffé rente. » De ses doigts il avait effleuré sa balafre. Puis il avait porté les mains à ses tempes, et, dans un mouvement vers sa nuque, il s'é tait assuré que ses cheveux adhé raient comme il faut.

« Je vais à Paris, aux té lé phones de la poste centrale, et recherche systé matiquement dans les Bottin de la France entiè re une famille Ingolf. J'en trouve une seule, à Auxerre, et j'é cris en me pré sentant comme un chercheur dans le domaine arché ologique. Deux semaines plus tard, je reç ois la ré ponse d'une vieille sage‑ femme: c'est la fille de cet Ingolf, et elle est curieuse de savoir pourquoi je m'inté resse à lui, et mê me elle me demande si, pour l'amour de Dieu, je sais quelque chose au sujet de son pè re... Je le disais bien que derriè re tout ç a il y avait un mystè re. Je me pré cipite à Auxerre, la demoiselle Ingolf vit dans une maisonnette toute recouverte de lierre, avec un petit portail de bois fermé par une ficelle et un clou. Une vieille demoiselle bien proprette, gentille, peu cultivé e. Elle me demande aussitô t ce que je sais sur son pè re et je lui dis que je sais seulement qu'un jour il est descendu dans un souterrain, à Provins, et que je suis en train d'é crire un essai historique sur cette ré gion. Elle tombe des nues, elle n'a jamais su que son pè re é tait allé à Provins. Il avait é té dans les dragons, certes, mais il avait quitté le service en 95, avant sa naissance à elle. Il avait acheté cette maisonnette à Auxerre, et, en 98, il avait é pousé une fille du coin, qui avait un petit pé cule. Elle avait cinq ans quand sa mè re é tait morte, en 1915. Quant à son pè re, il avait disparu en 1935. Litté ralement disparu. Il é tait parti pour Paris, comme il le faisait au moins deux fois par an, et il n'avait plus donné de nouvelles. La gendarmerie locale avait té lé graphié à Paris: volatilisé. Dé claration de mort pré sumé e. Et comme ç a notre demoiselle é tait resté e seule et elle s'é tait mise à travailler, car l'hé ritage paternel n'allait pas trè s loin. É videmment elle n'avait pas trouvé de mari, et, d'aprè s les soupirs qu'elle poussa, il devait y avoir eu une histoire, la seule de sa vie, qui s'é tait mal terminé e. " Et toujours avec cette angoisse, avec ce remords continuel, monsieur Ardenti, de ne rien savoir de mon pauvre papa, pas mê me où est sa tombe, si toutefois elle existe quelque part. " Elle avait envie de parler de lui: si tendre, si tranquille, mé thodique et si cultivé. Il passait ses journé es dans son petit studio, là ‑ haut dans la mansarde, à lire et à é crire. Pour le reste, un petit coup de pioche dans le jardin et il taillait une petite bavette avec le pharmacien – dé sormais mort lui aussi. De temps en temps, comme elle l'avait dit, un voyage à Paris, pour affaires, c'é tait son expression. Mais il revenait toujours avec un paquet de livres. Son studio en é tait encore plein, elle voulut me les faire voir. Nous sommes monté s. Une chambrette ordonné e et propre, que la demoiselle Ingolf é poussetait encore une fois par semaine: pour sa maman, elle pouvait apporter des fleurs au cimetiè re; pour son pauvre papa, c'é tait la seule chose qu'elle pouvait faire. Tout comme il l'avait laissé e, lui; elle aurait aimé avoir poursuivi des é tudes afin de pouvoir lire ces livres, mais c'é taient des choses en ancien franç ais, en latin, en allemand, mê me en russe, parce que le papa é tait né et avait passé son enfance là ‑ bas, il é tait le fils d'un fonctionnaire de l'ambassade de France. La bibliothè que contenait une centaine de volumes, la plupart (et j'exultai) sur le procè s des Templiers, par exemple les Monumens historiques relatifs à la condamnation des chevaliers du Temple, de Raynouard, imprimé en 1813, une piè ce d'antiquaire. Beaucoup de volumes sur des é critures secrè tes, une vé ritable collection de cryptologue, quelques livres de palé ographie et de diplomatique. Il y avait un registre avec de vieux comptes, et en le feuilletant j'ai trouvé une note qui m'a fait sursauter: elle concernait la vente d'un é tui, sans autres pré cisions, et sans le nom de l'acqué reur. Point de chiffres mentionné s, mais la date é tait de l'anné e 1895, et, sitô t aprè s, suivaient des comptes pré cis, le grand‑ livre d'un monsieur prudent qui administrait avec discernement son magot. Quelques notes sur l'acquisition de livres chez des antiquaires parisiens. La mé canique de l'histoire me devenait claire: Ingolf trouve dans la crypte un é tui d'or incrusté de pierres pré cieuses, il n'hé site pas un instant, l'enfile dans son blouson, remonte et ne souffle mot à ses compagnons. Chez lui, il en extrait un parchemin, cela me paraî t é vident. Il va à Paris, contacte un antiquaire, un usurier, un collectionneur, et avec la vente de l'é tui, mê me au rabais, il devient pour le moins aisé. Mais il fait davantage, il abandonne le service, se retire à la campagne et commence à acheter des livres et à é tudier le parchemin. Sans doute y a‑ t‑ il dé jà en lui le chercheur de tré sors, autrement il ne serait pas descendu dans les souterrains à Provins, et il a probablement assez de culture pour dé cider qu'il peut dé chiffrer tout seul ce qu'il a trouvé. Il travaille, tranquille, sans soucis, en bon monomane, durant plus de trente ans. Parle‑ t‑ il à quelqu'un de ses dé couvertes? Qui sait. Le fait est qu'en 1935 il doit penser avoir bien avancé ou bien, au contraire, ê tre arrivé à un point mort, parce qu'il dé cide de s'adresser à quelqu'un, soit pour lui dire ce qu'il sait soit pour se faire dire ce qu'il ne sait pas. Mais ce qu'il sait doit ê tre si secret, et terrible, que le quelqu'un à qui il s'adresse le fait disparaî tre... Revenons à la mansarde. Pour l'instant, il fallait voir si Ingolf avait laissé quelque piste. J'ai dit à la bonne demoiselle que, peut‑ ê tre, en examinant les livres de son pè re, je trouverais trace de sa dé couverte de Provins, et que dans mon essai je donnerais de lui un ample té moignage. Elle en fut enthousiaste, ah! son pauvre papa, elle me dit que je pouvais rester tout l'aprè s‑ midi et revenir le lendemain si c'é tait né cessaire, elle m'apporta un café, m'alluma les lampes et s'en retourna dans le jardin, me laissant maî tre de la place. La chambre avait des murs lisses et blancs, elle ne pré sentait pas de coffres, d'é crins, d'anfractuosité s où je pusse fouiller, mais je n'ai rien né gligé, j'ai regardé dessus, dessous et dedans les rares meubles, dans une armoire quasi vide avec quelques vê tements garnis seulement de naphtaline, j'ai retourné les trois ou quatre tableaux, des gravures de paysages. Je vous é pargne les dé tails, je ne vous dis que ç a: j'ai bien travaillé, le rembourrage des divans, on ne doit pas uniquement le tâ ter, il faut aussi y enfiler des aiguilles pour sentir si on ne rencontre pas de corps é trangers... »

Je compris que le colonel n'avait pas fré quenté que des champs de bataille.

« Il me restait les livres, dans tous les cas il é tait bon que je relè ve les titres, et vé rifie s'il n'y avait pas d'annotations dans les marges, des mots souligné s, quelques indices... Enfin, voilà que je prends maladroitement un vieux volume à la lourde reliure, il tombe: un feuillet é crit à la main en sort. D'aprè s le type de papier quadrillé et d'aprè s l'encre, il ne paraissait pas trè s vieux, il pouvait avoir é té é crit dans les derniè res anné es de vie d'Ingolf. Je le parcourus à peine, assez pour y lire une annotation en marge: " Provins 1894 ". Vous imaginerez mon é motion, la vague de sentiments qui m'a assailli... Je compris qu'Ingolf é tait allé à Paris avec le parchemin original, mais ce feuillet en constituait la copie. Je n'ai pas hé sité. La demoiselle Ingolf avait é pousseté ces livres pendant des anné es, mais elle n'avait jamais repé ré ce feuillet, sinon elle m'en aurait parlé. Bien, elle continuerait à l'ignorer. Le monde se divise entre vaincus et vainqueurs. J'avais eu pour ma part mon compte de dé faites, je devais maintenant saisir la victoire par les cheveux. Je fis glisser le feuillet dans ma poche. Je pris congé de la demoiselle en lui disant que je n'avais rien trouvé d'inté ressant mais que je citerais son pè re, si j'é crivais quelque chose, et elle me bé nit. Messieurs, un homme d'action, et brû lé par une passion comme celle qui me brû lait, ne doit pas se faire trop de scrupules devant la grisaille d'un ê tre que le destin a dé sormais condamné.

– Ne vous justifiez pas, dit Belbo. Vous l'avez fait. A pré sent, dites.

– A pré sent, je vous montre à vous, messieurs, ce texte. Vous me permettrez de produire une photocopie. Non par dé fiance. Pour ne pas soumettre l'original à l'usure.

– Mais Ingolf ne dé tenait pas l'original, dis‑ je. C'é tait sa copie d'un pré sumé original.

– Monsieur Casaubon, quand les originaux n'existent plus, la derniè re copie est l'original.

– Mais Ingolf pourrait avoir mal transcrit.

– Vous ne savez pas, vous, s'il en est ainsi. Et moi je sais que la transcription d'Ingolf dit la vé rité, car je ne vois pas comment la vé rité pourrait ê tre diffé rente. Par consé quent la copie d'Ingolf est l'original. Nous sommes d'accord sur ce point, ou on se met à faire des petits jeux d'intellectuels?

– Je ne peux pas les souffrir, dit Belbo. Voyons votre copie originale. »

 

19

Depuis Beaujeu l'Ordre n'a jamais cessé un instant de subsister et nous connaissons depuis Aumont une suite ininterrompue des Grands Maî tres de l'Ordre jusqu'à nos jours et, si le nom et la ré sidence du vé ritable Grand Maî tre et des vrais Supé rieurs, qui ré gissent l'Ordre et dirigent ses sublimes travaux aujourd'hui, est un mystè re qui n'est connu que des vrais Illuminé s, tenu à cet é gard en secret impé né trable, c'est parce que l'heure de l'Ordre n'est pas encore venue et le temps n'est pas accompli...

Manuscrit de 1760, in G. A. SCHIFFMANN, Die Entstehung der Rittergrade in der Freimauerei um die Mitte des XVIII Jabrbunderts, Lipsia, Zechel, 1882, pp. 178‑ 190.

Ce fut notre premier, lointain contact avec le Plan. Ce jour‑ là j'aurais pu ê tre ailleurs. Si ce jour‑ là je n'avais pas é té dans le bureau de Belbo, maintenant je serais... à Samarcande en train de vendre des graines de sé same, é diteur d'une collection en braille, directeur de la First National Bank sur la Terre de Franç ois‑ Joseph? Les conditionnels contrefactuels sont toujours vrais parce que la pré misse est fausse. Mais ce jour j'é tais là, et c'est pour cela qu'à pré sent je suis où je suis.

D'un geste thé â tral, le colonel nous avait montré le feuillet. Je l'ai encore ici, au milieu de mes papiers, dans une chemise de plastique, plus jaune et dé lavé qu'il n'é tait alors, avec ce papier thermique qu'on utilisait dans ces anné es‑ là. Il y avait en ré alité deux textes, le premier, serré, qui occupait la premiè re moitié de la page, et le second, espacé dans ses versiculets mutilé s...

Le premier texte é tait une sorte de litanie dé moniaque, une parodie de langue sé mitique:

 

Kuabris Defrabax Rexulon Ukkazaal Ukzaab Urpaefel Taculbain Habrak Hacoruin Maquafel Tebrain Hmcatuin Rokasor Himesor Argaabil Kaquaan Docrabax Reisaz Reisabrax Decaiquan Oiquaquil Zaitabor Qaxaop Dugraq Xaelobran Disaeda Magisuan Raitak Huidal Uscolda Arabaom Zipreus Mecrim Cosmae Duquifas, Rocarbis

 

 

« Ce n'est pas é vident, observa Belbo.

– Non, n'est‑ ce pas? acquiesç a avec malice le colonel. Et j'y aurais perdu ma vie si un jour, presque par hasard, je n'avais trouvé sur l'é ventaire d'un bouquiniste un livre consacré à Trithè me et si mes yeux n'é taient tombé s sur un de ses messages en chiffre: " Pamersiel Oshurmy Delmuson Thafloyn... " Je tenais une piste, je l'ai suivie jusqu'au bout. Trithè me é tait pour moi un inconnu, mais je retrouvai à Paris une é dition de sa Steganographia, hoc est ars per occultam scripturam animi sui voluntatem absentibus aperiendi certa, Francfort 1606. L'art d'ouvrir à travers une é criture occulte son esprit aux personnes é loigné es. Personnage fascinant, ce Trithè me. Abbé bé né dictin de Spannheim, vivant entre le XVe et le XVIe siè cle, un é rudit, qui connaissait l'hé breu et le chaldé en, les langues orientales comme le tartare, en contact avec des thé ologiens, des kabbalistes, des alchimistes, certainement avec le grand Cornelius Agrippa de Nettesheim et peut‑ ê tre avec Paracelse... Trithè me masque ses ré vé lations sur les é critures secrè tes avec des fumisteries né cromantiques, il dit qu'il faut envoyer des messages chiffré s du type de celui que vous avez sous les yeux, et puis le destinataire devra é voquer des anges tels Pamersiel, Padiel, Dorothiel et ainsi de suite, qui l'aideront à comprendre le vrai message. Mais les exemples qu'il fournit sont souvent des messages militaires, et le livre est dé dié au comte palatin et duc de Baviè re Philippe, et il constitue un des premiers exemples de travail cryptographique sé rieux, dignes de services secrets.

– Pardon, demandai‑ je, mais si j'ai bien compris, Trithè me a vé cu au moins cent ans aprè s la ré daction du manuscrit qui nous inté resse...

– Trithè me é tait affilié à une Sodalitas Celtica, où on s'occupait de philosophie, d'astrologie, de mathé matique pythagoricienne. Vous saisissez le rapport? Les Templiers sont un ordre initiatique qui remonte aussi à la science des anciens Celtes, c'est dé sormais amplement prouvé. Par une voie quelconque, Trithè me apprend les mê mes systè mes cryptographiques utilisé s par les Templiers.

– Impressionnant, fit Belbo. Et la transcription du message secret, qu'est‑ ce qu'elle dit?

– Du calme, messieurs. Trithè me pré sente quarante cryptosystè mes majeurs et dix mineurs. J'ai eu de la chance, ou bien les Templiers de Provins ne s'é taient pas trop creusé les mé ninges, sû rs que personne ne devinerait leur clef. J'ai tout de suite essayé avec le premier des quarante cryptosystè mes majeurs et j'ai fait l'hypothè se que dans ce texte comptent seules les initiales. »

Belbo demanda le feuillet et le parcourut: « Mais mê me comme ç a il en sort une suite de lettres sans signification: kdruuuth...

– Normal, dit avec condescendance le colonel. Les Templiers ne s'é taient pas trop creusé les mé ninges, mais ils n'é taient pas non plus trop paresseux. Cette premiè re sé quence est à son tour un autre message chiffré, et j'ai aussitô t pensé à la seconde sé rie des dix cryptosystè mes. Vous voyez, pour cette seconde sé rie Trithè me utilisait des rotules, et voici celle du premier cryptogramme... »

Il tira de son classeur une autre photocopie, approcha sa chaise de la table et fit suivre sa dé monstration en touchant les lettres de son stylo fermé.

 

« C'est le systè me le plus simple. Ne tenez compte que du cercle exté rieur. Pour chaque lettre du message en clair, on substitue la lettre qui pré cè de. Pour A on é crit Z, pour B on é crit A et ainsi de suite. Enfantin pour un agent secret, aujourd'hui, mais en ces temps‑ là c'é tait considé ré comme de la sorcellerie. Naturellement, pour dé chiffrer, on suit le chemin inverse, et on substitue à chaque lettre du message chiffré la lettre qui suit. J'ai essayé, et certes j'ai eu de la chance de ré ussir à la premiè re tentative, mais voici la solution. » Il transcrivit: « Les XXXVI inuisibles sé parez en six bandes, les trente‑ six Invisibles sé paré s en six groupes.

– Et qu'est‑ ce que ç a signifie?

– A premiè re vue, rien. Il s'agit d'une sorte d'en‑ tê te, de constitution d'un groupe, é crit en langue secrè te pour des raisons rituelles. Puis, pour le reste, certains qu'ils plaç aient leur message dans un recoin inviolable, nos Templiers se sont limité s au franç ais du XIVe siè cle. En effet, voyons le second texte.

a la... Saint Jean

36 p charrete de fein

6... entiers avec saiel

p... les blancs mantiax

r... s... chevaliers de Pruins pour la... j. nc.

6 foiz 6 en 6 places

chascune foiz 20 a... 120 a...

iceste est l'ordonation

al donjon li premiers

it li secunz joste iceus qui... pans

it al refuge

it a Nostre Dame de l'altre part de l'iau

it a l'ostel des popelicans

it a la pierre

3 foiz 6 avant la feste... la Grant Pute.

 

– Et ce serait là le message non chiffré ? demanda Belbo, dé ç u et amusé.

– Il est é vident que dans la transcription d'Ingolf les petits points repré sentaient des mots illisibles, des espaces où le parchemin é tait consumé... Mais voici ma transcription finale où, par conjectures que vous me permettrez de qualifier de lucides et inattaquables, je restitue le texte dans son ancienne splendeur – comme on dit. »

Il retourna, d'un geste de prestidigitateur, la photocopie et nous montra ses notes à lui en caractè res d'imprimerie.

 

LA (NUIT DE) SAINT JEAN

36 (ANS) P(OST) LA CHARRETTE DE FOIN

6 (MESSAGES) INTACTS AVEC SCEAU

P(OUR LES CHEVALIERS AUX) BLANCS MANTEAUX [LES TEMPLIERS]

R(ELAP)S DE PROVINS POUR LA (VAIN) JANCE [VENGEANCE]

6 FOIS 6 DANS 6 LOCALITÉ S CHAQUE FOIS 20 A(NS FAIT) 120 A(NS)

CECI EST LE PLAN

QUE LES PREMIERS AILLENT AU CHÂ TEAU

IT(ERUM) [DE NOUVEAU APRÈ S 120 ANS] QUE LES SECONDS REJOIGNENT CEUX (DU) PAIN

DE NOUVEAU AU REFUGE

DE NOUVEAU A NOTRE DAME AU‑ DELÀ DU FLEUVE

DE NOUVEAU A L'HOSTELLERIE DES POPELICANTS

DE NOUVEAU A LA PIERRE

3 FOIS 6 [666] AVANT LA FÊ TE (DE LA) GRANDE PROSTITUÉ E.

 

« Pire que d'avancer dans le noir, dit Belbo.

– Certes, c'est encore tout à interpré ter. Mais Ingolf y é tait certainement arrivé, comme j'y suis arrivé moi. C'est moins obscur qu'il n'y paraî t, pour qui connaî t l'histoire de l'Ordre. »

Une pause. Il demanda un verre d'eau, et il continua à nous faire suivre le texte mot à mot.

« Alors: dans la nuit de la Saint‑ Jean, trente‑ six ans aprè s la charrette de foin. Les Templiers destiné s à la perpé tuation de l'Ordre é chappent à la capture en septembre 1307, sur une charrette de foin. En ces temps‑ là, l'anné e se calculait d'une Pâ ques à l'autre. 1307 finit donc vers ce qui, selon notre comput, serait la Pâ ques 1308. Essayez de calculer trente‑ six ans aprè s la fin de l'anné e 1307 (qui est notre Pâ ques 1308) et nous arrivons à la Pâ ques 1344. Aprè s les trente‑ six ans fatidiques, nous sommes en notre anné e 1344. Le message est dé posé dans la crypte, à l'inté rieur d'un ré ceptacle pré cieux, comme sceau, acte notarié de quelque é vé nement qui s'est accompli dans ce lieu, aprè s la constitution de l'Ordre secret, la nuit de la Saint‑ Jean, c'est‑ à ‑ dire le 23 juin 1344.

– Pourquoi l'anné e 1344?

– Je pense que de 1307 à 1344 l'Ordre secret se ré organise et travaille au projet dont le parchemin ratifie la mise en marche. Il fallait attendre que les eaux se calment, que les fils se renouent entre les Templiers de cinq ou six pays. D'autre part, les Templiers ont attendu trente‑ six ans, pas trente‑ cinq ou trente‑ sept, parce que, é videmment, le nombre 36 avait pour eux des valeurs mystiques, comme vient nous le confirmer aussi le message chiffré. La somme interne de 36 donne neuf, et je n'ai pas besoin de vous rappeler les significations profondes de ce nombre.

– Je peux? » C'é tait la voix de Diotallevi, qui s'é tait glissé derriè re nous, à pas feutré s tel un Templier de Provins.

« De l'eau à ton moulin », dit Belbo. Qui le pré senta rapidement; le colonel ne parut pas excessivement dé rangé, il donnait plutô t l'impression de dé sirer un auditoire nombreux et attentif. Il poursuivit son interpré tation, et Diotallevi buvait du petit‑ lait numé rologique. Pure Gematria.

« Nous en arrivons aux sceaux: six choses intactes avec un sceau. Ingolf trouve un é tui, d'é vidence fermé par un sceau. Par qui a é té scellé cet é tui? Par les Manteaux Blancs, et donc par les Templiers. Or nous voyons dans le message un r, quelques lettres effacé es, et un s. Moi je lis " relaps ". Pourquoi? Parce que nous savons tous que les relaps é taient des accusé s qui avaient avoué et se ré tractaient, et les relaps ont joué un rô le non indiffé rent dans le procè s des Templiers. Les Templiers de Provins assument orgueilleusement leur nature de relaps. Ce sont ceux qui se dissocient de l'infâ me comé die du procè s. Il est donc question des chevaliers de Provins, relaps, prê ts pour quoi? Les rares lettres à notre disposition suggè rent " vainjance ", pour la vengeance.

– Quelle vengeance?

– Messieurs! Toute la mystique templiè re, depuis le procè s, tourne autour du projet de venger Jacques de Molay. Je ne tiens pas en grande estime les rites maç onniques, mais eux, caricature bourgeoise de la chevalerie templiè re, en sont quand mê me un reflet, pour dé gé né ré qu'il soit. Et un des grades de la maç onnerie de rite é cossais est celui de Chevalier Kadosch, en hé breu chevalier de la vengeance.

– D'accord, les Templiers se pré parent à la vengeance. Et puis?

– Combien de temps devra prendre ce plan de vengeance? Le message chiffré nous aide à comprendre le message traduit. Six chevaliers sont requis pour six fois en six lieux, trente‑ six divisé s en six groupes. Ensuite il est dit " Chaque fois vingt ", et ici il y a quelque chose qui n'est pas clair, mais qui, dans la transcription d'Ingolf, semble ê tre un a. J'en ai dé duit: chaque fois vingt ans, par six fois, cent vingt ans. Si nous suivons le reste du message, nous trouvons une liste de six lieux ou de six tâ ches à accomplir. Il est question d'une " ordonation ", un plan, un projet, une marche à suivre. Et il est dit que les premiers doivent se rendre à un donjon ou châ teau, les deuxiè mes dans un autre endroit, et ainsi de suite jusqu'aux sixiè mes. Par consé quent le document nous dit qu'il devrait y avoir six autres documents encore scellé s, ré partis dans des lieux diffé rents, et il me semble é vident qu'il faut briser les sceaux l'un aprè s l'autre, et à distance de cent vingt ans l'un de l'autre...



  

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