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FILENAME : ABOU 1 страница



Ô quelle belle matiné e de fin novembre, au commencement é tait le verbe, chante‑ moi ô dé esse d'Achille fils de Pé lé e les femmes les chevaliers les armes les amours. Point et va à la ligne tout seul. Essaie essaie essaie parakalo parakalo, avec le bon programme tu fais mê me des anagrammes, si tu as é crit tout un roman sur un hé ros sudiste qui s'appelle Rhett Butler et une jeune fille capricieuse qui s'appelle Scarlett, et puis que tu changes d'avis, tu n'as qu'à donner un ordre et Abou change tous les Rhett Butler en prince Andrei et les Scarlett en Natacha, Atlanta en Moscou, et tu as é crit guerre et paix.

Abou va faire maintenant une chose: je tape cette phrase, je donne l'ordre à Abou de changer chaque « a » en « akka » et chaque « o » en « oulla », et il en ré sultera un morceau quasi finnois.

Akkaboullau fakkait makkaintenakkant une choullase: je takkape cette phrakkase, je doullanne l'oullardre akka Akkaboullau de chakkanger chakkaque « akka » en « akkakkakka » et chakkaque « oulla » en « oullakka », et il en ré sulterakka un moullarceakkau quakkasi finnoullais.

Oh joie, oh vertige de la diffé rance, ô mon lecteur/ é crivain idé al affecté d'une idé ale insomnie, oh veille de finnegan, oh cré ature gracieuse et bé nigne. Il ne t'aide pas toi à penser mais il t'aide toi à penser pour lui. Une machine totalement spirituelle. Si tu é cris avec une plume d'oie il te faut gratter du papier plein de sueur et tremper à tout instant dans l'encrier, les pensé es se superposent et le poignet ne suit plus, si tu tapes à la machine les lettres se chevauchent, tu ne peux avancer à la vitesse de tes synapses mais seulement au rythme maladroit de la mé canique. Par contre avec lui, avec celui‑ ci (celle‑ là ? ) les doigts laissent errer leur imagination, l'esprit effleure le clavier, emporté sur les ailes doré es, tu mé dites enfin la sé vè re raison critique sur le bonheur du prime abord.

Et voilce que je faisà prsent, jprends ce clob de tré atologies orthigrphiques et je commande la machien cde le cupier etde le grader en mé moire de trasit et puis de lefairaffleurer dces limbse sur lé cran, enfin de cours,

Voilà, je tapais à l'aveuglette, et à pré sent j'ai pris ce bloc de té ratologies orthographiques et j'ai ordonné à la machine de ré pé ter son erreur en fin de course, mais cette fois je l'ai corrigé e et elle est enfin apparue en toute lisibilité, parfaite, de caca de ma mie j'ai tiré Acadé mie.

J'aurais pu me repentir et jeter le premier bloc: je le laisse uniquement pour montrer comment peuvent coexister sur cet é cran ê tre et devoir ê tre, contingence et né cessité. Mais je pourrais soustraire le bloc infâ me au texte visible et pas à la mé moire, conservant ainsi les archives de mes refoulements, ô tant aux freudiens omnivores et aux virtuoses des variantes le goû t de la conjecture, et le mé tier et la gloire acadé mique.

Mieux que la mé moire vraie parce que celle‑ ci, et mê me au prix d'un dur exercice, apprend à se souvenir mais pas à oublier. Diotallevi raffole sefarditiquement de ces palais avec un escalier monumental et la statue d'un guerrier qui perpè tre un horrible forfait sur une femme sans dé fense, et puis des couloirs avec des centaines de piè ces, chacune avec la repré sentation d'un prodige, apparitions subites, vicissitudes inquié tantes, momies animé es, et à chaque image, parfaitement mé morable, tu associes une pensé e, une caté gorie, un é lé ment du trousseau cosmique, mê me un syllogisme, un sorite dé mesuré, des chaî nes d'apophtegmes, des colliers d'hypallages, des roses de zeugmes, des danses d'hysté rons proté rons, des aposiopè ses de logorrhé e, des hié rarchies de stoï ké ia, des pré cessions d'é quinoxes, des parallaxes, des herbiers, des gé né alogies de gymnosophistes – et ainsi à l'infini – ô Raimundo, ô Camillo, vous à qui il suffisait de reparcourir en esprit vos visions pour aussitô t reconstruire la grande chaî ne de l'ê tre, en love and joy, car tout ce qui dans l'univers s'offre au regard, s'é tait dé jà ré uni en un volume dans votre esprit, et Proust vous aurait fait sourire. Mais la fois où nous pensions avec Diotallevi construire un ars oblivionalis, nous n'avons pas ré ussi à trouver les rè gles pour l'oubli. C'est inutile, tu peux aller à la recherche du temps perdu en suivant des traces labiles comme le Petit Poucet dans le bois, mais tu n'arrives pas à é garer exprè s le temps retrouvé. Le Petit Poucet revient toujours, comme une idé e fixe. Il n'existe pas de technique de l'oubli, nous en sommes encore aux processus naturels de hasard – lé sions cé ré brales, amné sie ou l'improvisation manuelle, que sais‑ je, un voyage, l'alcool, la cure de sommeil, le suicide.

Abou, par contre, peut aller jusqu'à te consentir des petits suicides locaux, des amné sies provisoires, des aphasies indolores.

Où é tais‑ tu hier soir, L

Voilà, indiscret lecteur, tu ne sauras jamais, et pourtant cette ligne brisé e, là en haut, qui donne sur le vide, é tait pré cisé ment le dé but d'une longue phrase qu'en fait j'ai bien é crite mais qu'ensuite j'ai voulu ne pas avoir é crite (et ne pas avoir mê me pensé e) car j'aurais voulu que ce que j'avais é crit ne fû t pas mê me arrivé. Il a suffi d'un ordre, une bave laiteuse s'est é tendue sur le bloc fatal et inopportun, j'ai pressé un « efface» et pchittt, tout disparu.

Mais ce n'est pas tout. La tragé die du suicidé est que, à peine a‑ t‑ il sauté par la fenê tre, entre le septiè me et le sixiè me é tage il change d'avis: « Oh, si je pouvais revenir en arriè re! » Rien à faire. Jamais vu ç a. Splatch. Au contraire, Abou est indulgent, il te permet la ré sipiscence, je pourrais encore ravoir mon texte disparu si je me dé cidais à temps et appuyais sur la touche de ré cupé ration. Quel soulagement. Du seul fait de savoir que, si je veux, je pourrais me souvenir, j'oublie aussitô t.

Je n'irai jamais plus de troquet en troquet pour dé sinté grer des nacelles é trangè res avec des balles traç antes tant que le monstre ne te dé sintè gre pas toi. Ici c'est bien mieux, tu dé sintè gres des pensé es. C'est une galaxie de milliers et de milliers d'asté roï des, tous en file, blancs ou verts, et c'est toi qui les cré es. Fiat Lux, Big Bang, sept jours, sept minutes, sept secondes, et naî t devant tes yeux un univers en pé renne liqué faction, où n'existent mê me pas des lignes cosmologiques pré cises et des liens temporels, bien loin du numerus Clausius, ici on va en arriè re mê me dans le temps, les caractè res surgissent et ré affleurent avec un air indolent, ils pointent le nez du né ant et, dociles, y retournent, et quand tu rappelles, rattaches, effaces, ils se dissolvent et ré ectoplasment dans leur lieu naturel, c'est une symphonie sous‑ marine de raccordements et de fractures molles, une danse gé latineuse de comè tes autophages, comme le brochet de Yellow Submarine, tu appuies le bout des doigts et l'irré parable commence à glisser en arriè re vers un mot vorace et disparaî t dans sa gueule, il suce et swrrrlourp, le noir, si tu ne t'arrê tes pas il se mange soi‑ mê me et s'engraisse de son né ant, trou noir du Cheshire.

Et si tu é cris ce que la pudeur ré prouverait, tout finit dans la disquette et tu mets un mot de passe à la disquette et personne ne pourra plus te lire, excellent pour agents secrets, tu é cris le message, tu termines et le protè ges, puis tu fourres le disque dans ta poche et tu vas te balader, et, fû t‑ ce Torquemada, on ne pourra jamais savoir ce que tu as é crit, rien que toi et l'autre (l'Autre? ). A supposer mê me qu'on te torture, tu fais semblant d'avouer et de taper le mot, quand au contraire tu é crases une touche secrè te et le message disparaî t.

Oh, j'avais é crit quelque chose, j'ai bougé le pouce par erreur, tout s'est volatilisé. De quoi s'agissait‑ il? Je ne me rappelle pas. Je sais que je n'é tais en train de ré vé ler aucun Message. Mais sait‑ on jamais par la suite.

 

Qui cherche à pé né trer dans la Roseraie des Philosophes sans la clef ressemble à un homme qui voudrait marcher sans les pieds.

Michael MAIER, Atalanta Fugiens, Oppenheim, De Bry, 1618, emblè me XXVII.

Il n'y avait rien d'autre, à dé couvert. Il fallait que je cherche dans les disquettes du word processor. Elles é taient classé es par numé ros, et j'ai pensé qu'autant valait commencer par le premier. Mais Belbo avait fait mention du mot de passe. Il avait toujours é té jaloux des secrets d'Aboulafia.

De fait, à peine ai‑ je chargé la machine qu'est apparu un message qui me demandait: « Tu as le mot de passe? » Formule non impé rative, Belbo é tait un homme poli.

Une machine ne collabore pas, elle sait qu'elle doit recevoir le mot; elle ne le reç oit pas, elle ne dit mot. Comme si toutefois elle me signifiait: « Pense un peu, tout ce que tu veux savoir, moi je l'ai ici, dans mon ventre, mais tu peux toujours gratter, vieille taupe, tu ne le retrouveras jamais. » Tu vas avoir ici à prouver, me dis‑ je, ci paraî tra..., tu aimais tant jouer aux permutations avec Diotallevi, tu é tais le Sam Spade de l'é dition, comme aurait dit Jacopo Belbo, trouve le faucon.

 

 

Sur Aboulafia le mot de passe pouvait ê tre de sept lettres. Combien de permutations de sept lettres pouvaient offrir les vingt‑ cinq lettres de l'alphabet italien, en calculant aussi les ré pé titions, car rien n'empê chait que le mot fû t « cadabra »? La formule existe quelque part, et le ré sultat devrait donner six milliards et quelque chose. A supposer un calculateur gé ant, capable de trouver six milliards de permutations à la vitesse de un million à la seconde, il aurait dû cependant les communiquer une par une à Aboulafia, pour les trouver, et je savais qu'Aboulafia employait environ dix secondes pour demander et puis vé rifier le password. Donc: soixante milliards de secondes. Vu qu'en un an il y a un peu plus de trente et un millions de secondes, disons trente pour arrondir, le temps de travail aurait é té d'environ deux mille ans. Pas mal.

Il fallait procé der par conjecture. A quel mot pouvait avoir pensé Belbo? Et d'abord, é tait‑ ce un mot trouvé au dé but, quand il avait commencé à se servir de la machine, ou bien concocté, et changé, au cours des derniers jours quand il s'é tait rendu compte que les disquettes contenaient du maté riel explosif et que, au moins pour lui, le jeu n'é tait plus un jeu? Ç 'aurait é té trè s diffé rent.

Mieux valait miser sur la seconde hypothè se. Belbo se sent traqué par le Plan, il prend le Plan au sé rieux (c'est ce qu'il m'avait laissé entendre au té lé phone), et il pense alors à quelque terme lié à notre histoire.

Ou peut‑ ê tre que non: un terme lié à la Tradition aurait pu leur venir à l'esprit à Eux aussi. Pendant un moment j'ai pensé qu'Eux aussi é taient entré s dans l'appartement, qu'Ils avaient fait une copie des disquettes, et qu'en cet instant Ils essayaient toutes les combinaisons possibles en quelque lieu é loigné. Le calculateur suprê me dans un châ teau des Carpates.

Quelle bê tise, me dis‑ je, ce n'é taient pas là des gens à calculateur, ils auraient procé dé avec le Notarikon, avec la Gé matria, avec la Té murah, en traitant les disquettes comme la Torah. Et ils y auraient mis autant de temps qu'il en é tait passé depuis la ré daction du Sefer Jesirah. Cependant, il ne fallait pas né gliger la conjecture. Eux, s'Ils existaient, Ils auraient suivi une inspiration kabbalistique, et si Belbo s'é tait convaincu de Leur existence, il aurait sans doute suivi la mê me voie.

Par acquit de conscience, j'essayai avec les dix sefirot: Ké té r, Hokhma, Bina, Hé sé d, Gé bura, Tif'é ré t, Né tsah, Hod, Yesod, Malkhut, et, par‑ dessus le marché, j'y mis aussi la Shekhina... Ç a ne marchait pas, normal, c'é tait la premiè re idé e qui aurait pu venir à l'esprit de n'importe qui.

Pourtant le mot devait ê tre quelque chose d'é vident, qui vient à l'esprit presque par la force des choses, parce que quand on travaille sur un texte, et de faç on obsessionnelle, comme avait dû travailler Belbo dans les derniers jours, on ne peut se soustraire à l'univers du discours où l'on vit. Il est inhumain de penser qu'il perdait la tê te sur le Plan et qu'il lui venait à l'esprit, que sais‑ je, Lincoln ou Mombassa. Ce devait ê tre quelque chose en rapport avec le Plan. Mais quoi?

J'ai cherché à faire miens les processus mentaux de Belbo, qui avait é crit en fumant compulsivement, et en buvant, et en regardant autour de lui. Je suis allé à la cuisine pour me verser la derniè re goutte de whisky dans le seul verre propre que j'ai trouvé, je suis revenu à la console, les reins calé s contre le dossier, les jambes sur la table, buvant à petites gorgé es (il ne faisait pas comme ç a, Sam Spade – ou peut‑ ê tre que non, c'é tait pas Marlowe? ) et le regard balayant autour de moi. Les livres é taient trop loin et on ne pouvait lire les titres sur les dos.

J'avalai la derniè re gorgé e de whisky, fermai les yeux, les rouvris. Devant moi, la gravure du XVIIe siè cle. C'é tait une allé gorie rose‑ croix typique de cette é poque, si riche en messages codé s, à la recherche des membres de la Fraternité. D'é vidence, elle repré sentait le Temple des Rose‑ Croix, et y apparaissait une tour surmonté e par une coupole, suivant le canon iconographique de la Renaissance, chré tien et juif, où le Temple de Jé rusalem é tait reconstruit sur le modè le de la mosqué e d'Omar.

Le paysage environnant la tour é tait incongru et incongrû ment habité, comme il arrive dans ces ré bus où l'on voit un palais, une grenouille au premier plan, un mulet avec son bâ t, un roi qui reç oit un pré sent d'un page. Ici, en bas à gauche, un gentilhomme sortait d'un puits en se suspendant à la corde d'une poulie fixé e, par d'absurdes cabestans, à un point à l'inté rieur de la tour, au travers d'une fenê tre circulaire. Au centre, un cavalier et un passager, à droite un pè lerin agenouillé qui tenait une grosse ancre en guise de bourdon. Sur le cô té droit, presque en face de la tour, un pic, un rocher d'où tombait un personnage pré cé dé dans sa chute par son é pé e, et, du cô té opposé, en perspective, l'Ararat avec l'Arche é choué e sur son sommet. En haut, dans les angles, deux nué es é clairé es chacune par une é toile, qui diffusaient sur la tour des rayons obliques, le long desquels lé vitaient deux figures, un homme nu pris dans les spires d'un serpent, et un cygne. En haut, au centre, un nimbe surmonté du mot « oriens » avec des caractè res hé braï ques en surimpression, d'où sortait la main de Dieu qui, par un fil, tenait la tour.

 

La tour se dé plaç ait sur des roues, elle avait un premier niveau carré, des fenê tres, une porte, un pont‑ levis, sur le flanc droit, puis une sorte de galerie avec quatre é chauguettes, chacune habité e par un homme d'armes avec son bouclier (historié de caractè res hé braï ques) qui agitait une palme. Mais des hommes d'armes, on en voyait trois seulement, et le quatriè me se devinait, caché par la masse de la coupole octogonale sur quoi s'é levait une tour‑ lanterne, pareillement octogonale, d'où sortaient deux grandes ailes. Au‑ dessus, une autre coupole plus petite, avec un lanternon quadrangulaire qui, ouvert sur de grands arcs soutenus par de fines colonnes, abritait une cloche. Puis une petite coupole finale, à quatre arcades, sur laquelle prenait son axe le fil tenu en haut par la main divine. De part et d'autre de la petite coupole, le mot « Fa/ma »; au‑ dessus, un cartouche: « Collegium Fraternitatis ».

Les bizarreries ne finissaient pas là : par deux autres fenê tres rondes de la tour sortaient, à gauche, un bras é norme, disproportionné en regard des autres figures, lequel tenait une é pé e, comme s'il appartenait à l'ê tre ailé enfermé dans la tour, et, à droite, une grande trompette. La trompette, encore une fois...

J'eus un soupç on à propos du nombre d'ouvertures de la tour: trop nombreuses et trop ré guliè res dans les lanternes, mais fortuitement disposé es sur les flancs de la base. On ne voyait la tour que de deux quarts, en perspective cavaliè re, et on pouvait imaginer que, pour des raisons de symé trie, les portes, les fenê tres et les hublots qu'on observait sur un cô té é taient reproduits aussi sur le cô té opposé dans le mê me ordre. Donc, quatre arcs dans le lanternon de la cloche, huit fenê tres dans la tour‑ lanterne, quatre é chauguettes, six ouvertures entre la faç ade orientale et l'occidentale, quatorze entre faç ade septentrionale et mé ridionale. J'additionnai: trente‑ six ouvertures.

 

Trente‑ six. Depuis plus de dix ans, ce nombre me hantait. Avec cent vingt. Les Rose‑ Croix. Cent vingt divisé par trente‑ six faisait – en gardant sept chiffres – 3, 333333. Exagé ré ment parfait, mais peut‑ ê tre valait‑ il la peine d'essayer. J'essayai. Sans succè s.

Il me vint à l'esprit que, multiplié par deux, ce chiffre donnait à peu de chose prè s le nombre de la Bê te, 666. Pourtant cette conjecture aussi se ré vé la par trop fantasque.

Soudain, je fus frappé par le nimbe central, siè ge divin. Les lettres hé braï ques é taient trè s é videntes, on pouvait mê me les voir de la chaise. Cependant Belbo ne pouvait pas é crire des lettres hé braï ques sur Aboulafia. Je regardai mieux: oui, bien sû r, je les connaissais, de droite à gauche, jod, he, waw, he. Iahveh, le nom de Dieu.

 

– 5 –

Et commence par combiner ce nom, c'est‑ à ‑ dire IHVH, seul au dé but, et à examiner toutes ses combinaisons, et à le faire mouvoir et tourner comme une roue...

ABOULAFIA, Hayyê Ha‑ Nefeš, Ms. Mü nchen 408.

Le nom de Dieu... Mais bien sû r. Je me rappelai le premier dialogue entre Belbo et Diotallevi, le jour où on avait installé Aboulafia au bureau.

Diotallevi se trouvait sur le seuil de sa piè ce, et il faisait montre d'indulgence. L'indulgence de Diotallevi é tait toujours offensante, mais Belbo paraissait l'accepter, et pré cisé ment avec indulgence.

« Elle ne te servira à rien. Tu n'as pas l'intention de ré crire là ‑ dessus les manuscrits que tu ne lis pas?

– Elle sert à classer, à mettre en ordre des listes, à jour des fiches. Je pourrais y é crire un texte à moi, pas ceux des autres.

– Mais tu as juré que tu n'é criras jamais rien de ton cru.

– J'ai juré que je n'affligerai pas le monde avec un autre manuscrit. J'ai dit que, ayant dé couvert que je n'ai pas l'é toffe du protagoniste...

–... tu seras un spectateur intelligent. Je sais. Et alors?

– Et alors mê me le spectateur intelligent, quand il revient d'un concert, fredonne le second mouvement. Ç a ne veut tout de mê me pas dire qu'il pré tend le diriger au Carnegie Hall...

– Par consé quent tu feras des expé riences d'é criture fredonné e pour dé couvrir qu'il ne faut pas que tu é crives.

– Ce serait un choix honnê te.

– Plaî t‑ il? »

Diotallevi et Belbo é taient tous deux d'origine pié montaise et ils dissertaient souvent sur cette capacité, qu'ont les Pié montais comme il faut, de vous é couter avec courtoisie, de vous regarder dans les yeux, et de dire « Plaî t‑ il? » sur un ton qui semble d'un inté rê t poli mais qui, en vé rité, vous fait sentir l'objet d'une profonde dé sapprobation. Moi, selon eux, j'é tais un barbare, et ces subtilité s m'é chapperaient toujours.

« Barbare? protestais‑ je alors, je suis né à Milan, mais ma famille est d'origine valdô taine...

– Balivernes, ré torquaient‑ ils, le Pié montais on le reconnaî t tout de suite à son scepticisme.

– Et moi je suis sceptique.

– Non. Vous ê tes seulement incré dule, et c'est diffé rent. »

Je savais pourquoi Diotallevi se mé fiait d'Aboulafia. Il avait entendu dire qu'on y pouvait alté rer l'ordre des lettres, à telle enseigne qu'un texte aurait pu engendrer son propre contraire et promettre d'obscures vaticinations. Belbo tentait de lui expliquer. « Ce sont bien des jeux de permutation, lui disait‑ il, qu'on appelle Temurah? N'est‑ ce pas ainsi que procè de le rabbin dé vot pour s'é lever jusqu'aux portes de la Splendeur?

– Mon ami, lui disait Diotallevi, tu ne comprendras jamais rien. Il est vrai que la Torah, je parle de la visible, n'est qu'une des permutations possibles des lettres de la Torah é ternelle, telle que Dieu la conç ut et la confia aux Anges. Et en permutant les lettres du Livre au cours des siè cles, on pourrait arriver à retrouver la Torah originelle. Mais ce qui compte, ce n'est pas le ré sultat. C'est le processus, la fidé lité avec laquelle tu feras tourner à l'infini le moulin de la priè re et de l'é criture, dé couvrant la vé rité petit à petit. Si cette machine te donnait tout de suite la vé rité, tu ne la reconnaî trais pas car ton cœ ur n'aurait pas é té purifié par une longue interrogation. Et puis, dans un bureau! Le Livre doit ê tre murmuré dans un é troit taudis du ghetto où, jour aprè s jour, tu apprends à te courber et à bouger les bras serré s contre tes hanches, et, entre la main qui tient le Livre et celle qui tourne les pages, il ne doit presque pas y avoir d'espace, et si tu humectes tes doigts, il faut les porter verticalement à tes lè vres, comme si tu rompais en petits morceaux du pain azyme, attentif à n'en point perdre une miette. Le mot, il faut le manger trè s trè s lentement, tu ne peux le dissoudre et le recombiner que si tu le laisses fondre sur la langue, et attention à ne pas le baver sur ton cafetan, car si une lettre s'é vapore, le fil, qui est sur le point de t'unir aux sefirot supé rieures, se casse. C'est à cela qu'Abraham Aboulafia a consacré sa vie, tandis que votre saint Thomas s'escrimait à trouver Dieu avec ses cinq sentiers. Sa Hokmath ha‑ Zeruf é tait en mê me temps science de la combinaison des lettres et science de la purification des cœ urs. Logique mystique, le monde des lettres et de leur tourbillonnement en permutations infinies est le monde de la bé atitude, la science de la combinaison est une musique de la pensé e, mais attention à te mouvoir avec lenteur, et avec prudence, parce que ta machine pourrait te donner le dé lire, et non pas l'extase. Nombre de disciples d'Aboulafia n'ont pas su se retenir sur ce seuil bien mince qui sé pare la contemplation des noms de Dieu de la pratique magique, de la manipulation des noms pour les transformer en talisman, instrument de domination sur la nature. Et ils ne savaient pas, comme toi tu ne sais pas – et ta machine ne sait pas – que chaque lettre est lié e à un des membres du corps, et que si tu dé places une consonne sans en connaî tre le pouvoir, un de tes bras, une de tes jambes pourrait changer de position, ou de nature, et tu te retrouverais bestialement estropié, en dehors, pour la vie, et en dedans, pour l'é ternité.

– É coute, lui avait dit Belbo, pré cisé ment ce jour‑ là, tu ne m'as pas dissuadé, tu m'encourages. J'ai donc entre les mains, et à mes ordres, comme tes amis avaient le Golem, mon Aboulafia personnel. Je l'appellerai Aboulafia, Abou pour les intimes. Et mon Aboulafia sera plus prudent et respectueux que le tien. Plus modeste. Le problè me n'est‑ il pas de trouver toutes les combinaisons du nom de Dieu? Bien, regarde dans ce manuel, j'ai un petit programme en Basic pour permuter toutes les sé quences de quatre lettres. On dirait qu'il est fait exprè s pour IHVH. Le voilà, tu veux que je le fasse tourner? » Et il lui montrait le programme, cabalistique, ç a oui, pour Diotallevi:

10 REM anagrammi

20 INPUT L$(1), L$(2), L$(3), L$(4)

30 PRINT

40 FOR I1=1 TO 4

50 FOR I2=1 TO 4

60 IF 12=11 THEN 130

70 FOR 13= 1 TO 4

80 IF I3=II THEN 120

90 IF I3=I2 THEN 120

100 LET I4=10‑ (I1+I2+I3)

110 LPRINT L$(I1)¡ L$(I2)¡ L$(I3)¡ L$(I4)

120 NEXT 13

130 NEXT 12

140 NEXT I1

150 END

 

 

« Essaie, é cris I, H, V, H, quand l'input te le demande, et fais partir le programme. Tu seras sans doute dé concerté : les permutations possibles ne sont qu'au nombre de vingt‑ quatre.

– Saints Sé raphins. Et qu'est‑ ce que tu en fais de vingt‑ quatre noms de Dieu? Tu crois que nos sages n'avaient pas dé jà fait le calcul? Mais lis donc le Sefer Jesirah, seiziè me section du chapitre quatre. Et ils n'avaient pas nos calculateurs. " Deux Pierres bâ tissent deux Maisons. Trois Pierres bâ tissent six Maisons. Quatre Pierres bâ tissent vingt‑ quatre maisons. Cinq Pierres bâ tissent cent vingt Maisons. Six Pierres bâ tissent sept cent vingt Maisons. Sept Pierres bâ tissent cinq mille quarante Maisons. A partir de là, va et pense à ce que la bouche ne peut dire et l'oreille ne peut entendre. " Tu sais comment cela s'appelle aujourd'hui? Calcul factoriel. Et tu sais pourquoi la Tradition t'avertit qu'à partir de là il vaut mieux que tu t'arrê tes? Parce que si les lettres du nom de Dieu é taient au nombre de huit, il y aurait quarante mille permutations, et si elles é taient dix, il y en aurait trois millions six cent mille, et les permutations de ton pauvre nom atteindraient presque quarante millions, et tu peux dire merci de ne pas avoir la middle initial comme les Amé ricains, autrement tu grimperais à plus de quatre cents millions. Et si les lettres des noms de Dieu é taient au nombre de vingt‑ sept, parce que l'alphabet hé braï que n'a pas de voyelles, mais bien vingt‑ deux sons plus cinq variantes – ses noms possibles seraient un nombre de vingt‑ neuf chiffres. Mais il faudrait que tu calcules aussi les ré pé titions, car on ne peut exclure que le nom de Dieu soit Aleph ré pé té vingt‑ sept fois, et alors la factorielle ne te suffirait plus et il faudrait calculer vingt‑ sept à la vingt‑ septiè me: et tu aurais, je crois, 444 milliards de milliards de milliards de milliards de possibilité s, ou à peu prè s, en tout cas un nombre de trente‑ neuf chiffres.



  

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