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I. PRÉAMBULE: JEAN-PAUL II ET L’HÉRITAGE ROMAIN, DES JUIFS À LA YOUGOSLAVIE



 

STEPINAC, SYMBOLE DE LA POLITIQUE À L’EST DU VATICAN

Annie Lacroix-Riz, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris VII Publié dans Golias, n° 63, novembre-dé cembre 1998, p. 52-59

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I. PRÉ AMBULE: JEAN-PAUL II ET L’HÉ RITAGE ROMAIN, DES JUIFS À LA YOUGOSLAVIE

La presse a fait grand cas des ré centes cé lé brations historiques du Vatican de Jean-Paul II (octobre 1998), de la bé atification de Mgr Stepinac à la canonisation d’É dith Stein, peut-ê tre conç ue à titre de compensation au caractè re provocateur de la premiè re initiative. La seconde ne vaut pourtant pas moins approbation d’une vieille politique que le pré sent pape incarne aussi nettement que ses pré dé cesseurs considé ré s comme les plus « inté gristes », de Pie X à Pie XII. Malgré des apparences trompeuses ou par lesquelles des moyens d’information complaisants se sont laissé duper, une sé rie de dé marches ont valu ces derniè res anné es consé cration d’une politique antisé mite romaine dont l’entre-deux-guerres puis la Deuxiè me Guerre mondiale avaient donné toute la mesure. Plusieurs initiatives de Jean- Paul II attestent qu’il ne renie rien de son auguste pré dé cesseur et inspirateur Pacelli-Pie XII - sans parler de Pie XI, qui, malgré les lé gendes tenaces n’assura ni la dé fense ni la protection des juifs, italiens inclus. Je ne retiendrai que trois é lé ments de cette continuité dans la ré cente action du pape en exercice:

 

1 ° le brû lot qu’il a entretenu depuis des anné es sur Auschwitz, avec la tentative de « catholiciser » le lieu le plus symbolique de La destruction des juifs d'Europe: l’affaire, parsemé e de provocations diverses, de la cré ation d’un carmel à la plantation de croix avec la bé né diction des é vê ques - donc du pape -, montre à quel point la Pologne catholique institutionnelle continue à servir une straté gie orientale du Vatican dé crite plus loin à propos du cas yougoslave;

 

2° la « repentance » pontificale allé gué e intitulé e « Ré flexion sur la Shoah » du 16 mars 1998, qui met au compte du « nazisme paï en » les abominations du ré gime hitlé rien dont le Saint-Siè ge reconnut solennellement le caractè re catholique en lui octroyant entre autres le « concordat du Reich » de juillet 1933. L’immense cadeau fut appré cié à sa juste valeur par Mussolini, qui dé clara le 4 juillet à l’ambassadeur d’Allemagne que Pie XI offrait ainsi à celle-ci « dans la position isolé e où [elle] se trouvait actuellement (... ) une immense victoire morale » qui permettrait enfin au fascisme de « se rallier l'opinion catholique à travers le monde ». Hitler jugea de mê me, estimant sobrement, dans son communiqué à la presse du 9 juillet, que cet accord lui donnait « la garantie suffisante que les citoyens allemands de la foi catholique et romaine se mettr[aie]nt dé sormais sans ré serve au service du nouvel É tat national-socialiste ».

 

3° le dossier Stein, qui relè ve de la logique des pontificats de l’è re des persé cutions, dont nous bornerons l’examen aux traits fixé s dè s l’installation au pouvoir des nazis. Le sort vatican des juifs fut en effet scellé alors, qu’ils demeurassent juifs ou qu’il s'agî t de juifs qui avaient souhaité ne plus l’ê tre en se convertissant. Le Saint-Siè ge n’avait rien trouvé à redire à la persé cution nazie officialisé e par le boycott des magasins juifs du 1er avril 1933 et les violences des SA et SS. Il fit davantage, puisque, selon Franç ois Charles-Roux, ambassadeur de France au Vatican de 1932 à 1940, le secré taire d’É tat Pacelli veilla en personne aux « mé nagements » romains envers Berlin: « les persé cutions contre les juifs » ayant provoqué « l'indignation du monde » et avec lui celle de Mgr Verdier, archevê que de Paris, celui-ci adressa une lettre de solidarité au grand rabbin de France. « La publication [en] fut annoncé e [en avril? ]: elle ne fut pas publié e ». Reste la question du sort des « catholiques non aryens », lot auquel appartenait É dith Stein. Le Vatican ne parla que d’eux, mais fort peu et fort bas. Ce souci exclusif exprimé du bout des lè vres visait à figurer pour l'avenir dans le lot des notes communicables. L’atteste un é pisode du feuilleton trè s long, mais vide de contenu ré el, des pseudo-« né gociations » et « notes de Pacelli » sur le concordat du Reich de 1933, exemples-types des courriers-paravents sans aucun lien avec la pratique ré elle dont la correspondance officielle du Saint-Siè ge regorge. On y perç oit que le sort des « catholiques non aryens » rejoignit au plus tô t celui des autres «


non-aryens ». Le 12 septembre 1933, Pacelli remit à Klee, chargé d'affaires d’Allemagne au Vatican, un « mé morandum en trois points », dont le troisiè me faisait allusion aux « catholiques d’origine juive », simple é lé ment d’une rubrique intitulé e « le renvoi des fonctionnaires catholiques et les catholiques d'origine juive ». Klee lui ré pliqua sè chement que le point 3 n'avait « rien à voir avec le concordat », « objection qu'il reconnut justifié e », puis ajouta que ce problè me é tait « non pas religieux mais de race »: l’argument suscita la penaude ré ponse de Pacelli que ce texte « é tait remis à la demande du pape, qui n'é tait guidé que par des points de vue religieux et humains ».

Poursuivant sa tactique « à la prussienne », Klee « insista » sur l'engagement que le Vatican avait pris « depuis le dé but » des né gociations-é clair sur le concordat de ne « pas se mê ler des affaires politiques inté rieures de l’Allemagne », sur la né cessité de rayer la partie juive du point 3 et de « baisser le ton sur le reste »: Pacelli « dé cid[a alors] de ne pas remettre le mé morandum ». Il adressa à Klee, le soir mê me, une note conforme à ses exigences et antidaté e du 9 septembre (date anté rieure d’un jour à la ratification du concordat du Reich, pour laisser croire qu’on continuait à « né gocier » sur ce texte en ré alité bouclé ): elle comptait dix-huit lignes de pleurnicheries et requê tes sur

« les fonctionnaires catholiques » dont les dé clarations de mars du chancelier « et plus encore (... ) la conclusion du Concordat » avaient « rendu possible la coopé ration pratique au sein du nouvel É tat »; 5 lignes et demi « pour ajouter un mot pour les catholiques allemands d'origine juive » ré cente ou lointaine, « et qui pour des raisons connues du gouvernement allemand souffrent é galement de difficulté s é conomiques et sociales ».

 

Il reste donc de la canonisation d’une juive qui croyait ne plus l’ê tre à dé duire soit que les seuls juifs inté ressants sont ceux qui ont cessé de l’ê tre soit qu’un bon juif est un juif mort. Conclusion excessive? On ne risque en tout cas pas cette appré ciation quand on aborde l’autre é vé nement de ces derniè res semaines, le premier par la chronologie, par son retentissement et par ses liens avec des tensions qui nous ramè nent à l’avant 14 et à l’avant 39. Car la bé atification de Stepinac consacre la continuité de la politique yougoslave c'est à dire anti-serbe de la Curie, en pleins dé chirements balkaniques aux consé quences dramatiques sur le sort, non seulement de la Yougoslavie, mais de l’ensemble de l’Europe - France incluse.

J’ai naguè re pour Golias é tudié un aspect majeur de la politique à l’Est du Vatican, celui de la Pologne. Que la Pologne fû t catholique ne la proté gea jamais, en dé pit de ses illusions à cet é gard, des consé quences dramatiques d’une straté gie austro-vaticane puis germano-vaticane fondé e sur l’espoir de domination de l’ensemble de l’Est europé en. La politique de la Curie varia peu - jamais sur le fond -, que l’Est europé en fû t demeuré catholique, comme la Pologne officiellement appré cié e mais en ré alité dé testé e, ou qu’il eû t é chappé à l’influence germano- catholique et fû t officiellement voué aux gé monies comme « schismatique ». Pendant des siè cles, c’est aux cô té s de l’empire apostolique et romain des Habsbourg que le Vatican mena le combat: l’influence autrichienne progressa en Europe, et notamment contre l’empire ottoman, en symbiose avec le catholicisme romain (latin ou uniate). Entre la fin du 19è siè cle et celle de la Premiè re Guerre mondiale, le puissant Reich tendit à supplanter pour la mê me mission l’empire des Habsbourg voué d’abord à l’agonie, puis à la mort. En 1919, dans les cé nacles catholiques chapeauté s par le grand pourvoyeur allemand des fonds vaticans de guerre (au nom de Berlin mê me), Erzberger, le chef du parti catholique (le Zentrum), le Vatican accepta dé finitivement de seconder le Reich dans l’ensemble de l’Europe: non seulement en lui apportant sa pré cieuse aide catholique pour la ré cupé ration de l’Altreich (celui des frontiè res de 1918) c'est à dire de tous les « territoires allemands provisoirement occupé s par les Allié s », Alsace-Lorraine et Pologne incluse; mais aussi pour l’ensemble des « buts de guerre », allant de la saisie de l’hé ritage de la totalité du vieil empire austro-hongrois mort, à commencer par l’Anschluss, à la pé né tration dans la profonde Russie, si riche de ressources.

 

 

II. STEPINAC, LE SYMBOLE D’UNE ANTIQUE POLITIQUE ANTI-SERBE LA POLITIQUE VATICANE JUSQU'AUX ANNÉ ES TRENTE

De cette politique à l’Est, la dimension anti-serbe - les Serbes apparaissant comme les principaux ennemis de l’expansion autrichienne - s’imposa avec une continuité totale, sans né gliger un seul pontificat, à commencer par celui de Lé on XIII, ouvert l’anné e mê me de la naissance dé finitive de la Serbie au congrè s de Berlin de 1878. Le « serbisme » haï fut combattu à l’aide de l’é lé ment croate: leur longue catholicisation par les Habsbourg et un


analphabé tisme gé né ral maintenu par l’É glise au sein de ces « masses incultes » avaient fait oublier à ces « Slaves catholiques » qu’« un Croate n’est qu’un Serbe catholicisé, rien de plus ». À la veille de la Grande Guerre, cet ensemble compact dans l’empire austro-hongrois - en 1909, 18, 9 millions contre 1, 9 million de « Slaves orthodoxes

», Bosnie-Herzé govine comprise - demeurait, dans sa masse, fé al aux Habsbourg. Vienne s’appuya ouvertement dans sa mission anti-serbe sur la Curie et sur ses pré lats, en tê te desquels figurait Stadler, é vê que croate de Sarajevo depuis les anné es 1890, chef de fait des jé suites voué s à la catholicisation des masses, et dé crit en ces termes par le consul de France à Sarajevo: « il est devenu en peu de temps un des gros capitalistes de Bosnie-Herzé govine comme il en est aussi un des politiciens les plus actifs. Ses seules pré occupations semblent ê tre de thé sauriser et d'autrichianiser ». « Trè s allemand d'origine et de sentiments », d’une extrê me violence, cette brute é tait un spé cialiste de la conversion forcé e, dont les é pisodes ré pé té s é taient rapporté s avec indignation par les diplomates franç ais: les musulmans, population de mê me souche que tous les Slaves de cet ensemble balkanique, mais constitué e des hé ritiers des proprié taires fonciers qui avaient emprunté à l’è re de la conquê te ottomane la religion du vainqueur, et que Vienne s’efforç ait de sé duire contre les Serbes, se plaignaient à cet é gard du pré lat presque autant que les Serbes orthodoxes. La ligne Stadler, fixé e par Vienne et le Vatican, incarnait la ligne d’expansion du germanisme et du catholicisme contre le slavisme et l’orthodoxie adopté e dans la perspective du rè glement de comptes imminent. Le ré gime impé rial, aprè s avoir transformé en arsenal, croatisé et catholicisé en masse, de gré ou de force, la Bosnie- Herzé govine qu’elle dirigeait de fait depuis le congrè s de Berlin de 1878, l’annexa enfin en octobre 1908. L’empire ré alisait ainsi « ce but [qui] est depuis 30 ans la pensé e directrice de [s]a diplomatie [,... ] l'annexion de la Serbie », et qui « fera naî tre forcé ment, un jour ou l'autre, un conflit armé ». De Fontenay, attaché d’ambassade à Budapest de 1906 à 1914 (aprè s un poste à Belgrade), comprit que derriè re « la haine du Serbe (... ) chauffé e à blanc » par l’empire rival en dé composition et son obsessionnel « projet de ré union », avec « l’appui du Saint-Siè ge [,... ] de la Bosnie- Herzé govine, de la Dalmatie et de la Croatie afin de former un royaume autonome sous la dé pendance des Habsbourg» avanç ait le Reich: « l’Autriche-Hongrie en suivant pareille politique travaille donc, avant tout, pour l’Allemagne, dont l’unité s’é tendra et se fortifiera, dont l’influence progressera vers les bords de la Mé diterrané e tant convoité e ». La poussé e autrichienne vers le Sud s’inscrivait dans « le redoutable “Drang nach Osten” (poussé e vers l’Est) » qui remettrait à Berlin, à la mort de l’É tat des Habsbourg, l’hé ritage balkanique convoité .

Nous avons montré ailleurs à quel point Vienne se ré jouit avant l’hallali - le 29 juillet 1914 - de l’humeur « belliqueuse » de Pie X et de son secré taire d’É tat Merry del Val, excité s par la liquidation imminente de ce « mal qui ronge et pé nè tre la monarchie jusqu’à la moelle et qui finira par la dé sagré ger ». La haine de la Serbie n’é tait pas moins recuite chez son successeur (depuis aoû t 1914) Benoî t XV, qui, de la guerre à ses lendemains, conduisit contre la Serbie des assauts contre lesquels la seule parade (provisoire) fut la victoire franç aise. Au lendemain de la dé faite des deux empires ché ris, le mort et le bien vivant, la croisade fut mené e avec la Serbie renforcé e et devenue « É tat serbo-croato-slovè ne » les mê mes armes clé ricales, et au bé né fice de deux allié s: l’un, l’italien, ne rê vant que de tailler en piè ces la Dalmatie yougoslave, l’autre, moins connu, qui avait repris l’hé ritage du mort, le Reich. Les Serbes se heurtè rent si directement aux Italiens soutenus en permanence par la Curie qu’ils sous-estimè rent longtemps l’ennemi plus discret, l’allemand, dont on ne perç ut concrè tement la poussé e qu’à partir des anné es trente. La premiè re phase de la lutte acharné e contre la Yougoslavie fut mené e au bé né fice apparent de l’Italie, servie par le solide tandem du Vatican et de l’é piscopat demeuré autrichien en territoire « yougoslave », devenu italien dans toutes les zones arraché es au royaume.

En Yougoslavie mê me, il ne s'agissait point d’« autonomie » croate ou slovè ne, mais de sé cession, pré paré e en la compagnie militaire des Italiens, des Hongrois et des Allemands dè s le dé but des anné es vingt. L’É glise catholique assuma avec efficacité pour sa part, dans les ré gions catholiques hé rité es par l’allié e serbe de la France, le harcè lement visant la destruction inté rieure du nouvel É tat. Tâ che, il est vrai, facilité e par la politique de la dynastie ré gnante, qui ne ré gla aucun des problè mes é conomiques et sociaux des masses paysannes: de celles-ci l’é lé ment catholique demeura donc aisé ment le jouet, comme naguè re, de pré lats qui en assuraient le contrô le de la naissance à la mort, en passant par l’é cole et presque tous les moments de la vie. Pendant plusieurs anné es la gué rilla clé ricale fut dirigé e par l’ancien « proté gé » puis successeur - depuis 1920 - de Stadler, Johannes Saric: ce chef politique des ultras anti-serbes avait é té avant 1914 et pendant la guerre comme son maî tre « l’instrument en Bosnie [de... ] la Cour de Vienne [qui] dressait les catholiques et les musulmans contre les orthodoxes » en vue d'aggraver « la dé sunion » propice à ses inté rê ts. « Dé puté au Sabor de Bosnie avant la guerre », il avait mené, pendant, une violente action anti-


serbe, et à son terme troqua brutalement le loyalisme autrichien contre « l'influence du Quirinal ». Aussitô t nommé, il s'autoproclama chef des Croates et des Slovè nes contre les Serbes, et pratiqua dè s les anné es vingt la provocation permanente, en un style é clairé par « son journal Istina » au « ton extrê mement violent ».

La politique italienne de conquê te ou de grignotage de territoires dalmates yougoslaves - symbolisé e notamment par le cas de Rieka-Fiume puis par les cessions du traité de Rapallo de novembre 1920 - fut servie dè s lors autant par les pré lats particuliè rement brutaux contre tous les Slaves que par la police (de l’É tat fasciste depuis octobre 1922, aprè s avoir é té fasciste de fait en ces lieux avant cette date): le « Vé nitien » Mgr Santin, originaire de Rovigno, sur la cô te sud de l'Istrie, nommé en dé cembre 1922 dans le diocè se de Rieka (devenu Fiume), et Mgr Radossi (Radoslavic italianisé ) dans celui de Pola et Porec (devenu Porenzo) « se distinguè rent dè s leur arrivé e par leur acharnement contre les Slaves, interdisant l’usage du croate dans les sermons, au caté chisme, dans les priè res et mê me au confessionnal, supprimant l’enseignement des langues slaves au petit sé minaire, faisant punir les é lè ves s’entretenant dans leur langue maternelle, envoyant le plus possible d’entre eux se former en Italie et, semble-t-il, dé nonç ant mê me à la police des religieux, des prê tres et des fidè les qui s'opposaient à la dé nationalisation des Slaves ». Cette politique de force suscita des haines aussi fortes du cô té slovè ne et croate que du cô té serbe, ce qui risquait de souder contre les inté rê ts conjugué s de la Curie et de l’É tat italien l’ensemble des populations yougoslaves. Jugeant ce « nationalisme

» du bas clergé mortel pour les inté rê ts italiens, le Saint-Siè ge se dé barrassa dè s l'é té 1920 des « curé s croato- slovè nes les plus militants, pour les remplacer par des religieux choisis dans un ordre international »: celui des franciscains en particulier, qui s’é tait partagé avec les jé suites la catholicisation des zones croates ou croatisé es avant 1914. Cet ordre pivot d’une É glise « fanatique » d’Inquisition, naguè re au service, comme les jé suites rivaux, de l’expansion anti-serbe autrichienne, allait ainsi ré gner presque sans partage sur les ré gions catholiques, la Slové nie, la Croatie (dalmate ou non) et la Bosnie, y compris chez les curé s de paroisse: au dé but des anné es 40, les franciscains repré sentaient en Croatie un tiers des prê tres eux-mê mes, et « les quatre cinquiè mes des religieux du pays ». Cette tutelle aurait, compte tenu des « traditions spé cialement violentes de leur ré sistance sé culaire contre les Turcs et les orthodoxes, surtout en Bosnie », des consé quences mortelles à partir d’avril 1941 pour les Serbes et les juifs de Yougoslavie.

 

STEPINAC, L’INCARNATION D’UNE POLITIQUE ALLEMANDE

Comme en tout point europé en, au dé but des anné es trente, Berlin obtint de la Curie un soutien plus ré solu, qui lui imposa d’opter parfois clairement entre les inté rê ts italiens et allemands. Ce soutien fut affiché par l’article 29 du fameux concordat du Reich, dont von Papen dit à Hitler les 2 et 14 juillet 1933 qu’il lui semblait un des plus importants de ce pacte: il « garantissait la protection des minorité s allemandes » en reconnaissant leur droit à l’usage de la langue allemande dans le culte et autres activité s, et amé liorait encore cette « concession » par « le protocole additionnel final » qui garantissait le respect de ce droit dans les futurs concordats que le Vatican signerait avec les autres É tats é trangers: « c’est la premiè re fois », s’enflamma-t-il, « que le Saint-Siè ge a affirmé son soutien (... ) sous cette forme ». Bien qu’il y eû t peu de « minorité s allemandes » en Yougoslavie, le Vatican y agit comme dans les Sudè tes. Le harcè lement « italien » ne disparut pas à l’è re hitlé rienne, mais en Yougoslavie, le Reich fut plus qu’avant maî tre du jeu dè s les premiers mois de 1933.

La Curie n’avait jamais né gligé, dans la Yougoslavie maintenue, la carte germanique, repré senté e notamment par des pré lats autrichiens ou allemands, parmi lesquels l’archevê que de Zagreb, l’Allemand Bauer. Il é tait, comme Saric, l’animateur de la gué rilla conduite contre la dynastie, bien que le roi Alexandre crû t sottement que sa dictature (depuis 1929) caracté risé e par un solide antibolchevisme lui assurerait le soutien d’un é piscopat soucieux de stabilité politique et de conservation sociale. Les diplomates franç ais avaient accordé en 1933 - anné e ouvrant la voie à un cortè ge d’avanies pour les « É tats successeurs » - grande importance à ce chef des pè lerinages croates: le 24 mai, Bauer dirigea un pè lerinage de 500 Croates et cinq é vê ques qui donna à Pie XI l’occasion de bafouer la Yougoslavie et d’honorer ses « bons fils de la Croatie », « notre chè re Croatie » qui comptait parmi « les ré gions les plus é prouvé es et qui souffrent le plus »: un des scandales de 1933 qui en compta une sé rie et où le vieil archevê que allemand joua un rô le é minent. Mais l’attention du Quai d'Orsay fut vite attiré e par un personnage devenu son adjoint depuis 1931, un certain Stepinac, tard venu à l’é tat ecclé siastique. Et qui ne vint pas au monde politique, comme semblent le croire tous les journalistes et publicistes franç ais qui se sont ré cemment exprimé s, en avril 1941.


Ce Croate, fils d'un gros proprié taire foncier né en 1898 à Krasic prè s de Zagreb, fut, au contraire de ce que suggé rait son autobiographie avantageuse et lacunaire largement diffusé e à l’é poque de sa nomination de coadjuteur de 1934, lié au sé paratisme croate dè s son arrivé e, pré coce, à la vie politique. Prisonnier de guerre austro-hongrois sur le front italien, il se fit passer pour un Croate rallié au « comité yougoslave (... ) pour se faire engager dans le camp des officiers serbes » en Italie puis sur le front de Salonique, moyen de fournir des renseignements sur l’ennemi. Sa biographie officielle, qui pré senta cette affaire en termes trè s « yougoslaves », est quasi muette sur ses activité s entre la fin de la guerre et 1924 (retour à Krasic pour gé rer une des importantes proprié té s de son pè re, à Kamenarevo, é tudes agronomiques inachevé es ou au grand sé minaire de Zagreb). Mais la diplomatie franç aise savait que ce dirigeant des Jeunesses catholiques participa au Congrè s international de Brno en 1922, où il « porta le grand drapeau croate à la tê te d'[une] dé lé gation croate » de 1 500 personnes. En 1924, ce proté gé des jé suites entra pour sept ans au Germanicum - institut allemand de Rome qui, avec l’ordre et son chef, l’austro-« polonais » Ledochowski, servit au premier plan la ré alisation de l’Anschluss de 1918 à 1938, et plus largement de reconquê te « catholique » de l’Est europé en que nous avons mentionné e plus haut. Devenu prê tre en octobre 1930, puis docteur en thé ologie à la Gré gorienne, en juillet 1931, Stepinac fut nommé aussitô t aprè s, à son retour de Rome, maî tre de cé ré monies de Bauer, puis en mai 1934 son coadjuteur. À peine nommé, cet ennemi de la Yougoslavie, dont « la forte personnalité tend[ait... ] à prendre le pas sur celle du vieux pré lat », orchestra l’agitation sé cessionniste croate avec une vigueur qui frappa tous les observateurs. Il fut notamment l’un des deux organisateurs d’une é meute, durement ré primé e assuré ment, des « paysans catholiques » litté ralement jeté s contre la police serbe pour pré parer les é lections fixé es au 5 mai 1935. Lié au sé cessionnisme de Macek et des oustachis d’Ante Pavelic, il anima, outre la gué rilla pré é lectorale, l’agitation tous azimuts sur le « concordat » (avorté ). Cette furie quotidienne acheva la dé sinté gration de la Yougoslavie dans les trois anné es qui suivirent l’assassinat à Marseille du roi Alexandre, en octobre 1934, aux cô té s de Barthou, ministre franç ais des Affaires é trangè res, par un complice de Pavelic. Assassinat perpé tré avec la complicité de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie; liquidation aussi des tentatives de Barthou d’une « politique de revers » franç aise contre la poussé e du Reich, qui ré jouit tous les ennemis de la Yougoslavie, Curie en tê te, repré senté e sur place par un nonce sur lequel la correspondance du Quai d'Orsay est fé roce, Pellegrinetti. L’é piscopat ne parvint pas mê me à faire semblant de dé plorer la mort du roi serbe haï: « le clergé croate », Bauer et Stepinac en tê te, manifesta « un certain dé faut de chaleur dans l'expression des sentiments », selon l’euphé misme de Charles- Roux.

À la mort de Bauer le 7 dé cembre 1937, le secré taire d’É tat Pacelli, futur Pie XII, promut une fois de plus cet agent des Allemands, le pré fé rant à l’autre « ennemi acharné des Serbes », l’oustachi Saric. Ayant cru enfin arrivé e son heure quand on avait parlé au dé but de 1934 d’un successeur pour le vieux Bauer, l’instrument « anti-serbe (... ) de Rome [sous] l'influence du Quirinal aussi bien que (... ) du Vatican » é tait jugé trop « italien » bien qu’il eû t rendu au Germanicum, notamment à l’automne 1932, les visites d’un pré lat germanophile. C’est donc le germanisé Stepinac qui fut choisi et qui, aussitô t nommé pré sident de la confé rence é piscopale, dirigea officiellement la sé cession de la « gens croatica » (« nation croate »). Pacelli devenu Pie XII depuis mars 1939 lui apporta sa caution officielle en bé nissant, sans prononcer le mot de Yougoslavie, un pè lerinage mené par Stepinac le 14 novembre: il y cé lé bra « notre peuple croate » et dit « tout ce que [devait] faire ce peuple » auquel é taient « ouvertes les voies lui assurant la liberté de sa voie nationale », sous la houlette de Macek, qualifié de « dux populi Croatici » (chef du peuple croate). La Yougoslavie agonisait de l’inté rieur, comme l’attesta le silence de la presse serbe, muselé e par les dirigeants d’un É tat dé liquescent et gagné à la capitulation. Comme l’avait montré aussi l’octroi à la Croatie d’une « autonomie » qui fit de Stepinac le « Gouverneur de Zagreb »: il passait à ce poste en janvier 1939 pour le symbole d’une « influence hitlé rienne » qui avait triomphé en Croatie dè s l’installation du gouvernement hitlé rien (la litté rature croate aussi antisé mite qu’anti-serbe provenait en large masse de Berlin, comme l’é vidence s’en imposa dè s les premiers mois de 1933). Au tournant de 1939, Stepinac exulta devant Gueyraud, consul de France à Zagreb, sur l’imminence de la destruction de la Yougoslavie: il se dé clara partisan de « la constitution d'un É tat croate autonome ou indé pendant », mais dit « accepter, en cas de né cessité, une autre formule d'association avec la Hongrie ou l'Italie. “Tout, a-t-il dit, plutô t que de vivre avec les Serbes! ” ». Il omit alors (devant un Franç ais) le morceau essentiel - allemand - de cette « association » qui lui apporta l’invasion de l’Axe et la fondation de « l’É tat indé pendant de Croatie » de Pavelic en avril 1941.

La thè se, trè s en vogue sous nos cieux, des douceurs de ce membre du Parlement oustachi pour les martyrs juifs,


serbes, tsiganes, slovè nes, croates dissidents et de ses condamnations de l’É tat croate repose sur: 1° les travaux hagiographiques de Stella Alexander, qui ne dispose que d’une source originale, Katolicki List, journal de l'archevê ché: toutes les citations qu’elle en fournit ne ré vè lent que des signes d’adhé sion au ré gime: tous les documents de dé fense qu’elle pré sente sont de seconde main; 2° des hagiographies romaines et « ré vé lations » de Guerre froide de l’Osservatore Romano qui suscitè rent en janvier 1951 l’ironie de l’ambassadeur de France Wladimir d’Ormesson à l’è re où Stepinac é tait é rigé en martyr des bourreaux communistes de Tito: « on peut s'é tonner » que le quotidien du Vatican « n’ait pas donné plus tô t une large publicité » à ces informations sur la thè se d’un Stepinac ré sistant de la premiè re heure à Pavelic.

Les sources originales dé crivent à l’inverse ce que l’é crivain catholique italien Falconi appelait en 1965, fonds de l’É tat croate à l’appui, « hideux mé lange de boucheries et de fê tes». Les franciscains, dont Stepinac é tait le chef sur place, y participè rent à la masse, à la hache et au poignard avec un allant iné dit en notre siè cle: destruction des bâ timents des cultes « ennemis », tortures, assassinats en masse de Serbes, juifs et tsiganes, dans les villages (dont celui de Glina en mai 1941: 2 000 morts dans la nuit, hommes, femmes et enfants, pillé s ensuite) et les camps de concentration (tel l’abominable camp de Jasenovac, ouvert dè s mai 1941), lutte contre la ré sistance, etc. L’Amé ricain Biddle, ministre auprè s du gouvernement yougoslave en exil, é valua en septembre 1942 les seuls « atroces massacres de Serbes », poursuivis alors « avec fré né sie », à « 600 000 hommes, femmes et enfants ». Les archives oustachies furent à l’é poque de la dé route, regroupé es, symbole d’une exceptionnelle fusion de l'É glise et de l'É tat, dans le palais de Stepinac. Le ré gime yougoslave nouveau n’y dé couvrit en 1945 « aucun document protestant contre les crimes commis en Croatie par les Oustachis et les Allemands »; mais quantité de photos de l’archevê que, faisant à travers la contré e le salut oustachi (bras levé ) auprè s des hauts fonctionnaires; et des textes, telle sa circulaire du 28 avril 1941 aux é vê ques glorifiant « l’É tat croate ressuscité » et « le chef de l’É tat croate », et ordonnant un « Te Deum solennel dans toutes les é glises paroissiales ». Comme Saric et bien d’autres en Yougoslavie, Stepinac pilla aussi biens juifs (fait clé rical retrouvé dans l’ensemble de l’Europe orientale catholique, Slovaquie en tê te) - et serbes, avec l’aval é crit (en latin) du Saint-Siè ge, via son lé gat Marcone les 9 dé cembre 1941 et 23 dé cembre 1943 (et fut convaincu par ses hé ritiers d’avoir dé tourné les biens de Bauer, de « plusieurs dizaines de millions de dinars

»).

Stepinac fut aussi l’exé cutant du dé cret « oustachi » du 3 mai 1941 de « conversion forcé e » des orthodoxes, intelligentsia exclue car considé ré e comme irré cupé rable: ce retour à « l'Inquisition espagnole » donnait aux Serbes non massacré s d'emblé e le « choix » (qu’Henri Tincq dé clarait « musclé » dans son article du Monde du 1er octobre 1998) entre adhé sion immé diate au catholicisme et mort. Ce texte non é tatique mais vatican fut contresigné, en tant que secré taire de la Congré gation de l’Orientale, par le cardinal franç ais Tisserant. « Contre son gré », insista Belgrade tout en le ré vé lant en 1952, au cours d’une anné e particuliè rement riche en provocations vaticanes, dans un Livre Blanc sur les relations Vatican-« É tat indé pendant de Croatie » puisé au « journal » de l’archevê que et aux archives oustachies. Tisserant, juge impitoyable en privé du ré gime de Pavelic (comme le pré cise le Livre blanc), confirma l’information à l’attaché franç ais à Rome de Margerie.

Les monastè res-arsenaux des franciscains, dont certains furent arrê té s armes à la main en 1945, s’é taient depuis la certitude de la dé faite mué s en receleurs de tré sors et de criminels de guerre en instance de dé part pour l’Ouest. Dans leur couvent du Kaptol, à Zagreb, on trouva au dé but 1946 le tré sor oustachi, contenant bijoux, or, dents en or scellé es à des mâ choires, bagues sur des doigts coupé s, etc., arraché s aux orthodoxes et juifs assassiné s; un PV d'emballage ré digé pour chaque caisse attestait la pré sence de fonctionnaires à chaque opé ration. La masse de la correspondance est telle sur les horreurs accumulé es par « l'occupant et (... ) les Oustachis [, avec lesquels] beaucoup de (... ) chefs [musulmans] ont collaboré » que je renvoie le lecteur, pour les sources, à mon ouvrage sur le Vatican. L’É glise catholique yougoslave s’é tait « compromise à tel point qu'il serait possible de dresser contre elle un ré quisitoire en n'invoquant que des té moignages religieux », ré suma en aoû t 1947 Guy Radenac, consul de France à Zagreb, qui en entendait encore de nouveaux, raconté s par des clercs franç ais en poste pendant l’occupation allemande.

Resté à Zagreb, Stepinac organisa la fuite des bourreaux, clercs (tel Saric) ou non (tel Pavelic), sur mandat du Vatican, avec les fonds alloué s par les É tats-Unis à un recyclage jugé né cessaire à leurs inté rê ts dans la zone adriatique et ne relevant pas, comme on le croit volontiers, de la seule lutte idé ologique dite de « Guerre froide ». Zagreb fut un pivot des Rat Lines dé crits par le renseignement amé ricain: 30 000 criminels croates s’é chappè rent par


la filiè re du pè re Draganovic, secré taire de Saric et familier de guerre de Maglione (secré taire d’É tat mort en 1944), Montini (futur Paul VI) et Pie XII. Ils é taient regroupé s par l’archevê ché de Zagreb, les couvents et autres institutions croates (dont la Croix-Rouge) de « croisé s » sous la tutelle de Stepinac; ils gagnaient ensuite l’Autriche, accueillis par le haut-clergé autrichien et la « mission pontificale » de Salzbourg; puis rejoignaient Rome, é tape souvent avant le dé part depuis Gê nes, aidé s par la Curie, l'archevê que de Gê nes, « la police italienne » et des chefs de la Dé mocratie chré tienne (tel de Gasperi). Selon Radenac, « les milieux oustachis de Zagreb » diffusaient encore en 1947 les adresses connues des couvents accueillant les fugitifs, pris en charge par des bourses de l’association catholique « Pax romana »; lui-mê me en connaissait « de source directe » maint cas. En Yougoslavie mê me, l’association catholique Caritas subventionnait les secours aux familles d'é migré s et d'oustachis terroristes resté s fort actifs sur place.

Ce qui pré cè de rend é tonnante l’indulgence infinie de Tito pour le pré lat, dont il ne voulait pas faire un martyr. Car Stepinac conduisit contre le ré gime - ou plutô t, comme naguè re, contre l’existence mê me de la Yougoslavie ressurgie de l’incendie - une gué rilla sans ré pit. Elle est bien reflé té e par la lettre pastorale issue de la confé rence é piscopale de Zagreb, le 20 septembre 1945, qui exigeait pour l'Eglise une totale liberté en tout domaine, é cole incluse, pestait contre la laï cité infâ me et stigmatisait l'expropriation et l'exé cution de 243 prê tres convaincus de collaboration. Elle fut mené e non plus en compagnie des Allemands mais des Amé ricains - notamment du « ré gent de la nonciature » Hurley, arrivé en fé vrier 1946 à Belgrade, et porte-parole de ce qu’on appelait aux É tats-Unis mê mes pendant la Guerre froide « le lobby Stepinac de Spellman ». Elle atteignit une telle intensité que Tito ne cessa de demander au Vatican son dé part pour n’avoir pas à sé vir. Il ne put obtenir d’Hurley, qui participait en personne à la mise en é bullition des masses catholiques, l’é loignement de « cet é vê que encombrant », qui couvrait « les attentats ou coups de force » surgis « ici et là » et « des manifestations [à... ] allure politico-religieuse ». Ce veto motiva sa dé cision du fameux procè s pour collaboration, ouvert le 10 aoû t 1946, contre 16 accusé s dont 9 franciscains, auxquels fut à la mi- septembre joint Stepinac. Ses subordonné s profitè rent de l’occasion pour conter tout ou presque de ses oeuvres depuis l’avant-guerre. La presse occidentale, amé ricaine en tê te - la France ne fut pas la derniè re -, ne cessa dè s lors de s’indigner du « martyre » de cet « innocent », condamné le 11 octobre à 16 ans de travaux forcé s. La sentence fut comprise partout, Vatican inclus, comme visant à mé nager un compromis (chacun ayant attendu la mort); elle ne fut d'ailleurs « jamais appliqué e » jusqu'à la libé ration de Stepinac dé but dé cembre 1951 - « geste (... ) dicté sous la pression de l'opinion amé ricaine ».

J’ai expliqué ailleurs avec plus de pré cision pourquoi le problè me é tait insoluble, la Curie menant aprè s 1945 la mê me guerre contre la Yougoslavie, dé sormais « communiste », qu’elle avait conduite du temps de la dynastie serbe des Karageorgevic, et avec les mê mes pré lats catholiques qui, à travers le territoire yougoslave, contestaient ouvertement le tracé de ses frontiè res. Les diplomates franç ais fulminè rent parfois, en pleine guerre froide, de les voir agiter le pays avec la mê me arrogance que vingt ans auparavant, tels Mgrs Santin et Radossi: « On est é tonné de la responsabilité prise par le Vatican en laissant des agents italiens à la tê te du diocè se d'Istrie et on est non moins surpris de voir l'armé e yougoslave les supportant patiemment au lieu de les chasser à coups de botte comme les carabiniers leurs pré dé cesseurs », commenta Radenac, consul à Zagreb en octobre 1947. Les archives que j’ai consulté es mettent, comme dans la premiè re dé cennie du premier aprè s-guerre, l’accent sur la dimension italienne de cette politique de harcè lement de l’É tat yougoslave. Belgrade ne pratiqua à aucun moment de politique de persé cution contre l’É glise catholique, et, comme le ré gime pré cé dent, fit parfois preuve d’un sens du compromis aiguisé (depuis la rupture avec Staline de 1948) par les né cessité s de son alliance avec les É tats-Unis et ses besoins de cré dits amé ricains.

Malgré des apparences pesantes, le problè me ne relevait pas de la Guerre froide, pas plus que le caractè re ultra- ré actionnaire du ré gime serbe des anné es trente n’avait arrê té la main des sicaires. Trieste, acquise à l’Italie (origine de dé bordements d’enthousiasme de Pie XII) le 8 octobre 1953 et le souci d’é largir les frontiè res italiennes expliquaient comme naguè re la fré né sie de la politique romaine anti-yougoslave. Elle culmina au tournant de 1952 par la promotion de Stepinac à la pourpre cardinalice, injure insigne à la « Serbie, où le souvenir du comportement des Croates a laissé de profondes et durables blessures ». L’ambassadeur de France à Belgrade Philippe Baudet, comme tous ses collè gues confronté s à la question, avait admis en juillet 1951 que le veto du Vatican contre le compromis sans trê ve sollicité par Belgrade - la demande de libé ration de Stepinac en é change d’un exil romain - donnait « un fond de vé rité » à l’argumentaire yougoslave d’une coalition Stepinac-Pie XII-la Curie « dans la main


des Germano-Italiens » et de Pavelic: Stepinac « leur est plus utile en prison », sa libé ration « affaiblirait le bloc chauviniste italien anti-yougoslave, puisqu’elle le priverait d’une de ses sources de propagande ». Libé ré, on l’a dit, dè s 1951, Stepinac fut laissé sur place pour transformer son village de Krasic en « lieu de pè lerinage » et entretenir à loisir la flamme.

La fin des anné es cinquante commenç a cependant à laisser percevoir la deuxiè me phase, comme aprè s l’autre guerre, d’une politique vaticane dont Stepinac, aussi coopé ratif fû t-il, n’avait é té qu’un pion en Yougoslavie: celle du service au Reich. La nomination, dè s 1955, d’Allemands comme dé lé gué s apostoliques sous le pré texte « que la majorité des membres du clergé et des fidè les catholiques yougoslaves parlent allemand » rappela l’entre-deux-guerres. La suite des é vé nements confirme que cette alliance allemande l’emporta de faç on dé cisive dans les dé cennies suivantes: elle aboutit à l’é clatement de la Yougoslavie dè s le dé but des anné es 1990, salué officiellement par le tandem germano- vatican, soutien et avocat de la sé cession croate. « L’é lé vation à la dignité de Cardinal de Mgr Stepinac » qui choquait l’ambassadeur Baudet en dé cembre 1952 pré parait les grandes festivité s sur l’acquisition de Trieste à l’Italie

- cadeau amé ricain qui ulcé ra é galement ce diplomate sans que Paris trouvâ t le courage politique de le proclamer. Au terme des deux dé cennies qui ont achevé d’é riger en allié privilé gié de l’Allemagne un pape « polonais » au sens où l’entendait Pie XII, artisan initial de son ascension cracovienne, que pré pare la canonisation d’un des plus grands criminels de guerre clé ricaux de la Deuxiè me Guerre mondiale? La question soulè ve une interrogation plus gé né rale. Si on la compare aux sources originales, l’« information » dont dispose aujourd'hui la population franç aise est le fruit d’une vé ritable entreprise d’intoxication, centré e en octobre 1998 sur le « martyr » Stepinac. La mise en cause du droit ré el à l’information s’est accompagné e d’une effarante dé sinformation sur les problè mes balkaniques, chape de plomb dont on aimerait connaî tre les raisons profondes. Jusqu’à quand sera-t-il de fait interdit d’é clairer à titre autrement que confidentiel les liens entre les misè res balkaniques du temps et la puissance grandissante de l’Allemagne ré unifié e?



  

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