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La sorcière du placard aux balais



C'est moi, monsieur Pierre, qui parle, et c'est à moi qu'est arrivé e l'histoire. Un jour, en fouillant dans ma poche, je trouve une piè ce de cinq nouveaux francs. Je me dis:

 — Chouette! je suis riche! Je vais pouvoir m'acheter une maison! Et je cours aussitô t chez le notaire:

 — Bonjour, monsieur le Notaire! Vous n'auriez pas une maison, dans les cinq cents francs?

 — Cinq cents francs comment? Anciens ou nouveaux?

 — Anciens, naturellement!

 — Ah non, me dit le notaire, je suis dé solé ! J'ai des maisons à deux millions, à cinq millions, à dix millions, mais pas à cinq cents francs!

Moi, j'insiste quand mê me:

 — Vraiment? En cherchant bien, voyons… Pas mê me une toute petite?

À ce moment, le notaire se frappe le front:

 — Mais si, j'y pense! Attendez un peu…

Il fouille dans ses tiroirs et en tire un dossier:

 — Tenez, voici: une petite villa situé e sur la grand- rue, avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais.

 — Combien?

— Trois francs cinquante. Avec les frais, cela fera cinq nouveaux francs exactement.

 — C'est bon, j'achè te.

Je pose fiè rement sur le bureau ma piè ce de cent nouveaux sous. Le notaire la prend, et me tend le contrat:

 — Tenez, signez ici. Et là, vos initiales. Et là encore. Et là aussi.

Je signe et je lui rends le papier en lui disant:

 — Ç a va, comme ç a?

Il me ré pond:

 — Parfait. Hihihihi!

Je le regarde, intrigué :

 — De quoi riez-vous?

 — De rien, de rien… Haha!

Je n'aimais pas beaucoup ce rire. C'é tait un petit rire nerveux, celui de quelqu'un qui vient de vous jouer un mé chant tour. Je demande encore:

 — Enfin quoi, cette maison, elle existe?

 — Certainement. Hé hé hé !

 — Elle est solide, au moins? Elle ne va pas me tomber sur la tê te?

 — Hoho! Certainement non!

 — Alors? Qu'est-ce qu'il y a de drô le?

 — Mais rien, je vous dis! D'ailleurs, voici la clef, vous irez voir vous-mê me… Bonne chance! Houhouhou!

Je prends la clé, je sors, et je vais visiter la maison. C'é tait ma foi, une fort jolie petite maison, coquette, bien exposé e, avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais. La visite une fois terminé e, je me dis:

« Si j'allais saluer mes nouveaux voisins? » Allez, en route! Je vais frapper chez mon voisin de gauche:

 — Bonjour, voisin! Je suis votre voisin de droite! C'est moi qui viens d'acheter la petite maison avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais!

Là -dessus je vois le bonhomme qui devient tout pâ le. Il me regarde d'un air horrifié, et pan! sans une parole, il me claque la porte au nez! Moi, sans malice, je me dis: « Tiens! Quel original! » Et je vais frapper chez ma voisine de droite:

 — Bonjour, voisine! Je suis votre voisin de gauche! C'est moi qui viens d'acheter la petite maison avec chambre, cuisine, salle de bains, living-room, pipi-room et placard aux balais!

Là -dessus, je vois la vieille qui joint les mains, me regarde avec infiniment de compassion et se met à gé mir!

 — Hé là, mon pauv'[1] Monsieur, v'[2]avez ben du malheur! C'est-y pas une misé re, un gentil p'tit jeune homme comme vous! Enfin p'tê te[3] ben qu'vous vous

en sortirez… Tant qu'y a d'la vie y a d'l'espoir, comme on dit, et tant qu'on a la santé …

Moi, d'entendre ç a, je commence à m'inquié ter:

 — Mais enfin, chè re Madame, pouvez-vous m'expliquer, à la fin? Toutes les personnes à qui je parle de cette maison…

Mais la vieille m'interrompt aussitô t:

 — Excusez-moi, mon bon Monsieur, mais j'ai mon rô ti au four… Faut que j'y aile voir si je veux point qu'y grâ le!

Et pan! Elle me claque la porte au nez, elle aussi.

Cette fois, la colè re me prend. Je retourne chez le notaire et je lui dis:

 — Maintenant, vous allez me dire ce qu'elle a de particulier, ma maison, que je m'amuse avec vous! Et si vous ne voulez pas me le dire, je vous casse la tê te! Et, en disant ces mots, j'attrape le gros cendrier de verre. Cette fois, le type ne rit plus:

 — Hé là, doucement! Calmez-vous, cher Monsieur! Posez ç a là ! Asseyez-vous!

 — Parlez d'abord!

 — Mais oui, je vais parler! Aprè s tout, maintenant que le contrat est signé, je peux bien vous le dire… la maison est hanté e!

 — Hanté e? Hanté e par qui?

 — Par la sorciè re du placard aux balais!

 — Vous ne pouviez pas me le dire plus tô t?

 — Eh non! Si je vous l'avais dit, vous n'auriez plus voulu acheter la maison, et moi je voulais la vendre. Hihihi!

 — Finissez de rire, ou je vous casse la tê te!

 — C'est bon, c'est bon..

 — Mais dites-moi donc, j'y pense Je l'ai visité, ce placard aux balais, il y a un quart d'heure à peine… Je n'y ai pas vu de sorciè re!

 — C'est qu'elle n'y est pas dans la journé e! Elle ne vient que la nuit!

 — Et qu'est-ce qu'elle fait, la nuit?

 — Oh! Elle se tient tranquille, elle ne fait pas de bruit, elle reste là, bien sage, dans son placard… seulement, attention! Si vous avez le malheur de chanter:

Sorciè re, sorciè re,

 Prends garde à ton derriè re!

À ce moment-là, elle sort… Et c'est tant pis pour vous!

Moi, en entendant ç a, je me relè ve d'un bond et je me mets à crier:

 — Espè ce d'idiot! Vous aviez bien besoin de mechanter ç a! Jamais il ne me serait venu l'idé e d'une pareille â nerie! Maintenant, je ne vais plus penser à autre chose!

 — C'est exprè s! Hihihi!

Et comme j'allais sauter sur lui, le notaire s'enfuit par  une porte dé robé e.

Que faire? Je rentre chez moi en me disant:

 — Aprè s tout, je n'ai qu'à faire attention.. Essayons d'oublier cette chanson idiote! Facile à dire! Des paroles comme celles-là ne se laissent pas oublier! Les premiers mois, bien sû r, je me tenais sur mes gardes… Et puis, au bout d'un an et

 demi, la maison, je la connaissais, je m'y é tais habitué, elle m'é tait familiè re… Alors j'ai commencé à chanter  la chanson pendant le jour, aux heures où la sorciè re n'é tait pas là … Et puis dehors, où je ne risquais rien… Et puis je me suis mis à la chanter la nuit, dans la maison – mais pas entiè rement! Je disais simplement:

Sorciè re, sorciè re…

et puis je m'arrê tais. Il me semblait alors que la porte du placard aux balais se mettait à fré mir… Mais comme j'en restais là, la sorciè re ne pouvait rien. Alors, voyant cela, je me suis mis à en dire chaque jour un peu plus: Prends garde…  puis Prends garde à … et puis Prends garde à ton… et enfin Prends garde à ton derr… je m'arrê tais juste à temps! Il n'y avait plus de doute, la porte fré missait, tremblait, sur le point de s'ouvrir… Ce que la sorciè re devait rager, à l'inté rieur! Ce petit jeu s'est poursuivi jusqu'à Noë l dernier. Cette nuit-là, aprè s avoir ré veillonné chez des amis, je rentre chez moi, un peu pompette, sur le coup de quatre heures du matin, en me chantant tout au long de la route:

Sorciè re, sorciè re,

 Prends garde à ton derriè re!

Bien entendu, je ne risquais rien, puisque j'é tais dehors. J'arrive dans la grand-rue: Sorciè re, sorciè re…

je m'arrê te devant ma porte:

 Prends garde

à ton derriè re! …

Je sors la clef de ma poche : Sorciè re, sorciè re, je ne risquais toujours rien… Je glisse la clef dans la serrure:

 Prends garde à ton derriè re…

Je tourne, j'entre, je retire la clef, je referme la porte derriè re moi, je m'engage dans le couloir en direction de l'escalier… Sorciè re, sorciè re, Prends garde à ton derriè re!

Zut! Ç a y é tait! Cette fois, je l'avais dit! Au mê me moment j'entends, tout prè s de moi, une petite voix pointue, aigre, mé chante:

 — Ah, vraiment! Et pourquoi est-ce que je dois prendre garde à mon derriè re?

C'é tait elle. La porte du placard é tait ouverte, et elle é tait campé e dans l'ouverture, le poing droit sur la hanche et un de mes balais dans la main gauche. Bien entendu j'essaye de m'excuser:

— Oh! je vous demande pardon, Madame! C'est un moment de distraction… J'avais oublié que… Enfin je veux dire… J'ai chanté ç a sans y penser…

Elle ricane doucement:

 — Sans y penser? Menteur! Depuis deux ans tu ne penses qu'à ç a! Tu te moquais bien de moi, n'est-ce pas, lorsque tu t'arrê tais au dernier mot, à

 la derniè re syllabe! Mais moi, je me disais: « Patience, mon mignon! » Un jour, tu la cracheras, ta petite chanson, d'un bout à l'autre, et ce jour-là ce sera mon tour de m'amuser… Eh bien, voilà ! C'est arrivé!

Moi, je tombe à genoux et je me mets à supplier:

 — Pitié, Madame! Ne me faites pas de mal Je n'ai pas voulu vous offenser! J'aime beaucoup les sorciè res! j'ai de trè s bonnes amies sorciè res! Ma pauvre mè re elle-mê me é tait sorciè re! Si elle n'é tait pas morte, elle pourrait vous le dire… Et puis d'ailleurs, c'est aujourd'hui Noë l! Le petit Jé sus est né cette nuit… Vous ne pouvez pas me faire disparaî tre un jour pareil! …

La sorciè re me ré pond.

 — Taratata! Je ne veux rien entendre! Mais puisque tu as la langue si bien pendue, je te propose une é preuve: tu as trois jours, pour me demander trois choses. Trois choses impossibles! Si je te les donne, je t'emporte. Mais si, une seule des trois, je ne suis pas capable de te la donner, je m'en vais pour toujours et tu ne me verras plus. Allez, je t'é coute!

Moi, pour gagner du temps, je lui ré ponds:

 — Ben, je ne sais pas… Je n'ai pas d'idé e… Il faut que je ré flé chisse… Laissez-moi la journé e!

 — C'est bon, dit-elle, je ne suis pas pressé e. À ce soir!

Et elle disparaî t.

Pendant une bonne partie de la journé e, je me tâ te, je me creuse, je me fouille les mé ninges – et tout à coup je me souviens que mon ami Bachir a deux petits poissons dans un bocal, et que ces deux petits poissons, m'a-t-il dit, sont magiques. Sans perdre une seconde, je fonce rue Broca et je demande à Bachir:

 — Tu as toujours tes deux poissons?

 — Oui. Pourquoi?

 — Parce que, dans ma maison, il y a une sorciè re, une vieille, une mé chante sorciè re. Ce soir, je dois lui demander quelque chose d'impossible. Sinon, elle

m'emportera. Tes petits poissons pourraient peut-ê tre me donner une idé e?

— Sû rement, dit Bachir, je vais les chercher.

Il s'en va dans l'arriè re-boutique, puis il revient avec un bocal plein d'eau dans lequel nagent deux petits poissons, l'un rouge et l'autre jaune tacheté de noir. C'est bien vrai qu'ils ont l'air de poissons magiques. Je demande à Bachir:

 — Maintenant, parle-leur!

 — Ah non! ré pond Bachir. Je ne peux pas leur parler  moi-mê me, ils ne comprennent pas le franç ais. Il faut un interprè te!

 — Ne t'en fais pas. Moi, j'en ai un.

Et voilà mon Bachir qui se met à chanter:

 Petite souris

 Petite amie

Viens par ici

 Parle avec mes petits poissons

 Et tu auras du saucisson!

À peine a-t-il fini de chanter qu'une adorable souris grise arrive en trottinant sur le comptoir, s'assied sur  son petit derriè re à cô té du bocal et pousse trois petits cris, comme ceci:

 — Hip! Hip! Hip!

Bachir traduit:

 — Elle dit qu'elle est prê te. Raconte-lui ce qui t'est arrivé.

Je me penche vers la souris et je lui raconte tout: lenotaire, la maison, les voisins, le placard, la chanson, la sorciè re et l'é preuve qu'elle m'a imposé e. Aprè s m'avoir é couté en silence, la souris se retourne vers les petits poissons et leur dit dans sa langue:

 — Hippi hipipi pipi ripitipi…

Et comme ç a pendant cinq minutes. Aprè s avoir, eux aussi, é couté en silence, les poissons se regardent, se consultent, se parlent à l'oreille, et pour finir le poisson rouge monte à la surface de l'eau et ouvre plusieurs fois la bouche avec un petit bruit, à peine perceptible:

 — Po – po – po – po…

Et ainsi de suite, pendant prè s d'une minute. Quand c'est fini, la petite souris se retourne vers Bachir et recommence à pé pier:

 — Pipiri pipi ripipi.

Je demande à Bachir:

 — Qu'est-ce qu'elle raconte?

Il me ré pond:

 — Ce soir, quand tu verras la sorciè re, demande-lui des bijoux en caoutchouc, qui brillent comme des vrais. Elle ne pourra pas te les donner.

Je remercie Bachir, Bachir donne une pincé e de daphnies aux petits poissons, à la souris une rondelle de saucisson, et sur ce nous nous sé parons.

Dans le couloir, la sorciè re m'attendait:

 — Alors? Qu'est-ce que tu me demandes?

Sû r de moi, je ré ponds:

 — Je veux que tu me donnes des bijoux en caoutchouc qui brillent comme des vrais!

Mais la sorciè re se met à rire:

 — Haha! Cette idé e-là n'est pas de toi! Mais peu importe, les voilà !

Elle fouille dans son corsage, et en tire une poigné e de bijoux: deux bracelets, trois bagues et un collier, tout ç a brillant comme de l'or, é tincelant comme du

diamant, de toutes les couleurs – et mou comme de la gomme à crayon!

 — À demain, me dit-elle, pour la deuxiè me demande! Et cette fois, tâ che d'ê tre un peu plus malin!

Et hop! La voilà disparue.

Le lendemain matin, j'emporte les bijoux chez un de mes amis qui est chimiste, et je lui dis:

 — Qu'est-ce que c'est que cette matiè re?

 — Fais voir, me dit-il.

Et il s'enferme dans son laboratoire. Au bout d'une heure il en ressort en me disant:

 — Ç a, c'est extraordinaire! Ils sont en caoutchouc! Je n'ai jamais vu ç a! Tu permets que je les garde?

Je lui laisse les bijoux et je retourne chez Bachir.

 — Les bijoux, ç a ne va pas, je lui dis. La sorciè re me les a donné s tout de suite.

 — Alors, il faut recommencer, dit Bachir.

Il retourne chercher le bocal, le pose sur le comptoir  et se remet à chanter:

 Petite souris

 Petite amie

Viens par ici

 Parle avec mes petits poissons

 Et tu auras du saucisson!

La petite souris accourt, je la mets au courant, elle traduit, puis recueille la ré ponse et transmet à Bachir:

 — Pipi pirripipi hippi hippi hip!

 — Qu'est-ce qu'elle dit?

Et Bachir me traduit:

 — Demande à la sorciè re une branche de l'arbre à macaroni, et repique-la dans ton jardin pour voir si elle pousse!

Et, le soir mê me, je dis à la sorciè re:

 — Je veux une branche de l'arbre à macaroni!

 — Haha! Cette idé e-là n'est pas de toi! Mais ç a ne fait rien: voilà !

Et crac! Elle sort de son corsage un magnifique rameau de macaroni en fleurs, avec des branchettes en spaghetti, de longues feuilles en nouilles, des fleurs en

coquillettes, et mê me de petites graines en forme de lettres de l'alphabet!

Je suis bien é tonné, mais tout de mê me, j'essaie de chercher la petite bê te:

 — Ce n'est pas une branche d'arbre, ç a, ç a nerepousse pas!

 — Crois-tu? dit la sorciè re. Eh bien, repique-la dans ton jardin, et tu verras! Et à demain soir!

Moi, je ne fais ni une ni deux, je sors dans le jardin, je creuse un petit trou dans une plate-bande, j'y plante la branche de macaroni, j'arrose et je vais me coucher.

Le lendemain matin, je redescends. La branche est devenue é norme: c'est presque un petit arbre, avec plusieurs nouvelles ramures, et deux fois plus de

fleurs. Je l'empoigne à deux mains, j'essaie de l'arracher… impossible! Je gratte la terre autour du tronc, et je m'aperç ois qu'il tient au sol par des centaines de petites racines en vermicelle… Cette fois, je suis dé sespé ré. Je n'ai mê me plus envie de retourner chez Bachir. Je me promè ne dans le pays, comme une â me en peine, et je vois les bonnes gens se parler à l'oreille, quand ils me regardent passer. Je sais ce qu'ils se disent!

« Pauvre petit jeune homme! Regardez-le! C'est sa derniè re journé e, ç a se voit tout de suite! La sorciè re va sû rement l'emporter cette nuit! »

Sur le coup de midi, Bachir me té lé phone:

 — Alors? Ç a a marché ?

 — Non, ç a n'a pas marché. Je suis perdu. Ce soir, la sorciè re va m'emporter. Adieu, Bachir!

 — Mais non, rien n'est perdu, qu'est-ce que tu racontes? Viens tout de suite, on va interroger les petits poissons!

— Pour quoi faire? Ç a ne sert à rien!

 — Et ne rien faire, ç a sert à quoi? Je te dis de venir  tout de suite! C'est honteux de se dé courager comme ç a!

 — Bon, si tu veux, je viens…

Et je vais chez Bachir. Quand j'arrive, tout est prê t: le bocal aux poissons et la petite souris, assise à cô té. Pour la troisiè me fois je raconte mon histoire, la petite souris traduit, les poissons se consultant longuement, et c'est le poisson jaune, cette fois, qui remonte à la surface et se met à bâ iller en mesure:

 — Po – Po – Po – Po – Po – Po…

Pendant prè s d'un quart d'heure. La souris à son tour se retourne vers nous et fait tout un discours, qui dure bien dix minutes. Je demande à Bachir:

 — Mais qu'est-ce qu'ils peuvent raconter?

Bachir me dit:

 — É coute bien, et fais trè s attention, car ce n'est pas simple! Ce soir, en retournant chez toi, demande à la sorciè re qu'elle te donne la grenouille à cheveux. Elle sera bien embarrassé e, car la grenouille à cheveux, c'est la sorciè re elle-mê me. Et la sorciè re n'est rien d'autre que la grenouille à cheveux qui a pris forme humaine. Alors, de deux choses l'une: ou bien elle ne peut pas te la donner, et en ce cas elle est obligé e de partir pour toujours – ou bien elle voudra te la montrer quand mê me, et pour cela elle sera obligé e de se transformer. Dè s qu'elle sera devenue grenouille à cheveux, toi, attrape-la et ligote-la bien fort et bien serré avec une grosse ficelle. Elle ne pourra plus se dilater pour redevenir sorciè re. Aprè s cela, tu lui raseras les cheveux, et ce ne sera plus qu'une grenouille ordinaire, parfaitement inoffensive.

Cette fois, l'espoir me revient. Je demande à Bachir:

 — Peux-tu me vendre la ficelle?

Bachir me vend une pelote de grosse ficelle, je remercie et je m'en vais. Le soir venu, la sorciè re est au rendez-vous:

 — Alors, mignon, c'est maintenant que je t'emporte? Qu'est-ce que tu vas me demander à pré sent?

Moi, je m'assure que la ficelle est bien dé roulé e dans ma poche, et je ré ponds:

 — Donne-moi la grenouille à cheveux!

Cette fois, la sorciè re ne rit plus. Elle pousse un cri de rage:

 — Hein? Quoi? Cette idé e-là n'est pas de toi! Demande-moi autre chose!

Mais je tiens bon:

 — Et pourquoi autre chose? Je ne veux pas autre chose, je veux la grenouille à cheveux!

 — Tu n'as pas le droit de me demander ç a!

 — Tu ne peux pas me donner la grenouille à cheveux?

 — Je peux, mais ce n'est pas de jeu!

 — Alors, tu ne veux pas? — Non, je ne veux pas!

 — En ce cas, retire-toi. Je suis ici chez moi!

À ce moment, la sorciè re se met à hurler:

 — Ah, c'est comme ç a! Eh bien, la voilà, puisque tu la veux, ta grenouille à cheveux!

Et je la vois qui se ratatine, qui rapetisse, qui rabougrit, qui se dé gonfle et se dé fait, comme si elle fondait, tant et si bien que cinq minutes aprè s je n'ai plus devant moi qu'une grosse grenouille verte, avec plein de cheveux sur la tê te, qui se traî ne sur le parquet en criant comme si elle avait le hoquet:

 — Coap! Coap! Coap! Coap!

Aussitô t, je saute sur elle, je la plaque sur le sol, je tire la ficelle de ma poche, et je te la prends, et je te la ligote, et je te la saucissonne… Elle se tortille, elle é touffe presque, elle essaie de se regonfler… mais la ficelle est trop serré e! Elle me regarde avec des yeux furieux en hoquetant comme elle peut:

 — Coap! Coap! Coap! Coap!

Moi, sans perdre de temps, je l'emporte dans la salle de bains, je la savonne, je la rase, aprè s quoi je la dé tache et je la laisse passer la nuit dans la baignoire, avec un peu d'eau dans le fond. Le lendemain, je la porte à Bachir, dans un bocal avec une petite é chelle, pour qu'elle serve de baromè tre. Bachir me remercie et place le nouveau bocal sur une é tagè re, à cô té de celui des poissons. Depuis ce temps-là, les deux poissons et la grenouille n'arrê tent pas de se parler. La grenouille dit: Coap! Coap! et les poissons : Po – po! et cela peut durer des journé es entiè res!

Un beau jour, j'ai demandé à Bachir:

 — Et si tu appelais ta souris, qu'on sache un peu ce qu'ils se racontent?

 — Si tu veux! a dit Bachir.

Et il s'est remis à chanter:

 Petite souris

 Petite amie

Viens par ici…

Quand la souris est venue, Bachir lui a demandé d'é couter et de traduire. Mais la souris, cette fois, a refusé tout net.

 — Pourquoi - ai-je demandé.

Et Bachir a ré pondu:

 — Parce que ce ne sont que des gros mots!

Voilà l'histoire de la sorciè re. Et maintenant, quand vous viendrez me rendre visite, soit de jour, soit de nuit, dans la petite maison que j'ai acheté e, vous pourrez chanter tout à votre aise:

Sorciè re, sorciè re,

 Prends garde à ton derriè re!

Je vous garantis qu'il n'arrivera rien!


[1] pauvre

[2] vous

[3] Peut-ê tre



  

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